PRIS POUR CIBLE«J'ai été harcelé et menacé de mort sur Twitter sans aucune raison»

Cyberharcelé(e)s: «J'ai été insulté, diffamé et menacé de mort sur Twitter sans aucune raison»

PRIS POUR CIBLEMichel Poulain a été harcelé pendant 5 ans sur Twitter par deux comptes anonymes qui s’en sont pris à lui «gratuitement»…
Hakima Bounemoura

Propos recueillis par Hakima Bounemoura

L'essentiel

  • Michel Poulain est harcelé sur Twitter depuis 2013, il a reçu de nombreux messages d’insultes, d’intimidation et des menaces de mort.
  • L’un de ses agresseurs, surnommé la « terreur de Twitter », est connu pour créer et lancer de fausses rumeurs sur les réseaux sociaux.
  • Michel Poulain a porté plainte trois fois, une audience s’est tenue au tribunal correctionnel le 25 septembre dernier, sans les deux prévenus qui ne se sont pas présentés.

Voici l’histoire de Michel Poulain. Son témoignage rejoint notre série « Pris pour cible » sur les persécutions en ligne. A travers ces expériences individuelles, 20 Minutes souhaite explorer toutes les formes de harcèlement en ligne qui, parfois, détruisent des vies. Chaque semaine, nous illustrerons, à l’aide d’un témoignage, une expression de la cyberviolence. Si vous avez été victime de cyberharcèlement, écrivez-nous à lbeaudonnet@20minutes.fr, hsergent@20minutes.fr ou hbounemoura@20minutes.fr.

« J’ai décidé de témoigner à visage découvert, car je ne me suis jamais caché, contrairement à mes agresseurs qui eux ont toujours agi grâce à l’anonymat que leur procurent les réseaux sociaux. Je ne suis pas comme eux. Je me sens responsable de ce que je publie, eux non. Le harcèlement a commencé sur Twitter en 2013 par quelques messages injurieux d’une personne que je ne connaissais pas, et qui s’en est pris à moi gratuitement, sans aucune raison. Des messages publics, vus et lus par des milliers de personnes. Des insultes, des diffamations, des menaces de mort… Cette personne, que j’appellerai Johnny*, a d’abord publié des tweets dans lesquels il mentionnait mon nom, puis ensuite des messages avec des photos de moi accompagnées de commentaires insultants et de menaces de mort. J'ai bloqué son compte Twitter, mais les messages ont continué, et se sont multipliés…

J’ai voulu me renseigner pour savoir qui était cette personne qui me harcelait sans que je sache pourquoi. Ce que j’ai découvert m’a fait froid dans le dos. Johnny avait une petite notoriété sur les réseaux sociaux, il était notamment connu pour créer et lancer de fausses rumeurs. Il a même été interviewé par un grand magazine dans lequel il se vantait, selon ses propres mots, de « pourrir de temps en temps un petit twittos pris au hasard ». L’article de presse en question le dépeignait comme la « terreur de Twitter ». Il se vantait même de recevoir régulièrement des plaintes et des courriers d’avocats mettant en cause « son activité » sur Twitter.

«  « Après être tombé sur mon profil LinkedIn, il a envoyé des messages à l'un de mes clients pour me dénigrer »  »

Johnny a fait une vraie fixation sur moi. Il tweetait sur moi à toute heure de la journée, et même au beau milieu de la nuit, à 3 heures du matin. Chacun des messages publiés dans lesquelles apparaissait mon nom ou ma photo déclenchait tout un flot d’insultes de la part d’autres comptes. En 2014, une seconde personne, Bryan*, est alors venue à son tour me harceler, de manière plus violente encore, et toujours sans aucune raison apparente. Il a repris l’argumentaire de Johnny, mais de manière plus agressive encore en faisant référence à des meurtres, des maladies et des faits divers sordides. Entre eux deux, une « dynamique » de harcèlement s’est mise en place, l’un stimulant l’autre.

J’ai réussi à faire fermer plusieurs de leurs comptes sur Twitter, mais ça les a énervés encore plus. Le harcèlement a alors pris une nouvelle dimension. Après être tombé sur mon profil LinkedIn, Johnny a commencé à envoyer des messages à l'un de mes clients pour me dénigrer et me diffamer. J’ai dû prendre sur moi, et informer mes collègues et mon entourage professionnel que j’étais victime d’un harcèlement.

«  « Il n'avait peur de rien , il a même menacé publiquement le juge sur Twitter »  »

J’ai eu peur qu’un cercle vicieux se mette en place, et que d’autres personnes viennent à leur tour me harceler, l’effet de meute étant démultiplié sur les réseaux sociaux. J’ai alors décidé de porter plainte, une première fois en décembre 2014, puis une seconde fois en septembre 2016, suivie d’une troisième plainte en juillet 2018. Le juge d’instruction a alors émis une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Après quatre longues années de procédure, une audience s’est finalement tenue au tribunal correctionnel le 25 septembre dernier. Aucun des deux prévenus ne s’est présenté au tribunal. Ils n’ont même pas daigné envoyer leurs avocats pour tenter de se défendre. Johnny a même été jusqu’à menacer publiquement le juge sur Twitter. Mon second harceleur, Bryan, a lui purement et simplement disparu des réseaux sociaux après avoir été entendu par la police. J’attends aujourd’hui avec impatience le jugement, qui doit être rendu dans les prochains jours.

Ce cyberharcèlement, que je subis depuis 5 ans déjà, a complètement changé la manière de me comporter avec les gens. Quand je pars en voyage, je ne dis plus où je vais, j’efface régulièrement mes données de géolocalisation, et je demande à mon entourage d’en faire de même. Johnny est venu un jour me parler en privé sous une fausse identité, alors maintenant je me méfie de tout le monde. Il a aussi récupéré une photo de moi pour la donner à un groupuscule d’extrême droite. Ce cliché orne désormais un de leurs sites.

«  « Je ne saurai jamais à quoi ils ressemblent, ni pourquoi ils m’ont harcelé »  »

Ce qui est le plus frustrant, c’est que je ne saurai jamais à quoi ressemblent mes bourreaux, ni pourquoi ils m’ont harcelé. Ne rien savoir de ses agresseurs, alors qu’eux, connaissent tout de vous, c’est vraiment flippant. Devoir jouer au détective pour recueillir des éléments à donner à la police et au juge d’instruction, et revivre à l’audience tout ce qui s’est passé depuis 5 ans, ça a aussi été très éprouvant.

Les réseaux sociaux peuvent être de formidables outils pour rencontrer et tisser des liens avec des gens qu’on n’aurait jamais pu rencontrer autrement. C’est comme dans la vie, on y croise de bonnes et de mauvaises personnes. Mais il ne faut surtout pas laisser faire le harcèlement en ligne. Ceux qui continuent de suivre ces comptes et qui voient défiler chaque jour des messages insultants, sans broncher, sans se désabonner et sans les signaler, portent une part de responsabilité. Ceux qui pensent que ce n’est « pas bien grave », ceux qui se disent « ça ne me concerne pas » sont aussi responsables. Sans eux comme public et comme caisse de résonance, les cyberharceleurs se lasseraient bien vite… »

* Les noms ont été anonymisés.

Retrouvez tous les épisodes de la série, ici.