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Chiens, chats : dans le secret de leurs gamelles

REPORTAGE De plus en plus fréquemment mis en cause sur la qualité de l'alimentation pour chiens et chats, Purina et Royal Canin, pourtant très secrets, ouvrent les portes de leurs usines. Ils font valoir leur expertise dans la nutrition animale.

Le suisse Nestlé, au travers de Purina, et l'américain Mars avec Royal Canin se partagent à hauteur de 80 % un marché mondial estimé à 50 milliards de dollars, dont 3,4 milliards en France.
Le suisse Nestlé, au travers de Purina, et l'américain Mars avec Royal Canin se partagent à hauteur de 80 % un marché mondial estimé à 50 milliards de dollars, dont 3,4 milliards en France. (Shutterstock)

Par Marie-Josée Cougard

Publié le 14 nov. 2018 à 16:04Mis à jour le 14 nov. 2018 à 17:29

Mais qu'y a-t-il dans sa gamelle ? Un peu lancinante, la question revient dans toutes les bouches de propriétaires d'animaux. Après s'être inquiétés du contenu de leurs assiettes, les consommateurs s'interrogent sur celui leurs animaux favoris. Ils se demandent ce que cachent croquettes et pâtées. Les réseaux sociaux bruissent d'hypothèses et d'accusations en tout genre. « Trop de sucre, trop de gras. On les rend obèses. On leur fait manger n'importe quoi. Comment peut-on donner des céréales aux chats qui sont carnivores ! »

Comment faire mieux ? Toutes ces préoccupations finissent chez le vétérinaire. C'est la personne ressource pour 85 % des propriétaires d'animaux. Lequel répond d'autant plus volontiers qu'il est prescripteur de croquettes. Pas de toutes, de celles qui ont vocation à soigner diverses affections. Les troubles urinaires, par exemple. Cela concerne un chat sur trois. La tendance à l'embonpoint. Le poil triste. La mauvaise haleine. La vieillesse et sa kyrielle de soucis, parmi lesquels l'arthrose. La croquette antipollution, spécial Japon, où les propriétaires de Hayo et Yuuki s'inquiètent de voir leur nez au ras des pots d'échappement.

La gamme est immense et ne cesse de s'élargir. Ces croquettes médicales sont plus chères. Nettement plus que la grande majorité disponible en grandes surfaces. Et si chiens et chats sont surtout contents de quitter le cabinet du vétérinaire, le maître, lui, sort rassuré et convaincu que cette alimentation très spécifique va remettre son animal favori d'aplomb.

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Les vétérinaires peu formés

En serait-il de même s'il savait que les vétérinaires sont peu formés aux sciences de la nutrition des animaux familiers au cours de leurs pourtant très longues études ? A quelques rares exceptions près, lorsque, pour des raisons de curiosité personnelle ou de choix professionnel, ils ont eu envie de compléter le bagage initial de dix semaines de cours sur la nutrition des chats et chiens sur un cursus de sept ans.

 Très peu de gens préparent les repas de leurs animaux 

« Autant on nous abreuve de cours sur l'alimentation du bétail, autant on nous parle très peu de la nutrition des chiens et des chats », reconnaît une vétérinaire entrée dans le service public. « Les études vétérinaires sont globales. L'alimentation animale y est vue en termes d'impact sur la santé et sur le rendement du bétail », dit un autre praticien. « Très peu de gens préparent les repas de leurs animaux. On ne ressent pas le besoin de connaissances approfondies en matière de nutrition des carnivores de ce fait. L'alimentation industrielle est là toute prête », dit encore un vétérinaire de quartier.

Sur quelles bases les vétérinaires dispensent-ils donc les conseils attendus ? A vrai dire, ils tiennent leur science des fabricants de croquettes et pâtées. « Quand une nouvelle formule sort, les fabricants font des conférences. On y apprend beaucoup. Ils proposent aussi des formations payantes », précise un des vétérinaires que nous avons rencontrés.

Chat dont l'appétance aux croquettes de Royal Canin est testée sur le site d'Aymargues.

Chat dont l'appétance aux croquettes de Royal Canin est testée sur le site d'Aymargues.Royal Canin

Les industriels de la croquette et des pâtées sont au nombre de… deux. En France et dans le monde. Deux mastodontes, qui se partagent à hauteur de 80 % un marché mondial estimé à 50 milliards de dollars, dont 3,4 milliards en France. Le suisse Nestlé au travers de Purina et l'américain Mars avec Royal Canin.

Acquisition de cliniques

Les industriels sont donc fabricants et prescripteurs. Autant dire qu'ils contrôlent entièrement ce marché et que leur emprise va encore beaucoup s'accroître. Mars s'est même lancé dans l'acquisition de réseaux de cliniques vétérinaires, achetant à dix-huit mois d'intervalle les 800 cliniques de VCA aux Etats-Unis puis les 200 cliniques d'AniCura en Europe. Soit un investissement total de 11,4 milliards de dollars.

« La nutrition n'est pas le métier des vétérinaires, dit Magali Gavaret, la directrice de la communication de Purina. Nous les accueillons dans notre centre de développement pour les informer. Mais cela ne peut se faire qu'à petite échelle compte tenu du peu de temps dont ils disposent. » Nestlé a lancé le Purina Institute en 2018 pour « leur présenter les innovations et vulgariser les connaissances nutritionnelles de nos équipes scientifiques ». Royal Canin (Mars) tout comme Purina (Nestlé) comptent dans leurs équipes des vétérinaires qui se sont spécialisés dans la nutrition des chiens et des chats après leurs études.

Ces deux majors de l'industrie alimentaire affichent des chiffres d'affaires très différents pour le total de leurs activités : 89,8 milliards de francs suisses pour Nestlé et 35 milliards de dollars pour Mars. Mais elles sont au coude-à-coude dans le domaine du « pet food ». Croquettes et pâtées. Tous deux en ont fait une vraie priorité compte tenu de la croissance des marchés et de la rentabilité du secteur.

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Confrontées à une vague nouvelle de doutes et de mises en cause, les industriels du pet food, pourtant très secrets, commencent à ouvrir les portes de leurs usines, résolus à faire la preuve de leur intérêt pour les animaux et des soins extrêmes portés à l'élaboration de leur nourriture. « Nous voulons inspirer confiance. Toutes nos actions vont dans ce sens », explique le service de communication.

Plongée au royaume de l'humide

C'est ainsi qu'on est entrés dans l'usine de pet food Purina du leader mondial Nestlé à Veauche, en Auvergne. « C'est vraiment une première », nous répète-t-on. Le site en impose. On y accède par un immense bâtiment blanc sur lequel se détachent en très grandes lettres les noms de Purina et Nestlé suivis du logo à damiers rouge et blanc de Purina. 30.000 mètres carrés, 472 salariés et plusieurs édifices dédiés à la fabrication, entre autres, marques de Felix et Gourmet, deux marques vedettes de l'alimentation féline. Nous sommes dans le temple de l'humide (82 % de l'aliment des chats en France, selon Nielsen). Par opposition aux croquettes. « Des systèmes technologiques très différents. L'humide se prête plus aux variations d'ingrédients et on peut y incorporer de la viande congelée, tandis que dans le sec la viande est incorporée sous forme de farine », indique Purina.

Dans l'usine Purina de Nestle, à Veauche près de Saint-Etienne.

Dans l'usine Purina de Nestle, à Veauche près de Saint-Etienne.PHILIPPE DESMAZES / AFP

 On n'élève pas d'animaux pour en nourrir d'autres. Nous utilisons des matières qui sinon seraient détruites 

Sitôt poussées les portes de la fabrication, on est saisis par l'odeur. Très présente mais pas nauséabonde. La viande arrive ici sous forme d'énormes pains congelés, qu'on ne verra pas. Elle est collectée par des entreprises qui débarrassent les abattoirs des morceaux qui n'ont pas trouvé d'usage dans l'alimentation humaine. Les déchets de la mise en filet des poissons serviront à d'autres pâtées. Les volailles écartées de la chaîne de l'alimentation humaine seront entièrement broyées pour être incorporées au pet food. Un point sur lequel l'équipe dirigeante insiste beaucoup. « On n'élève pas d'animaux pour en nourrir d'autres. Nous utilisons des matières qui sinon seraient détruites. » Première réponse à certaines mises en cause.

Au terme « déchets d'abattoir », le directeur de l'usine, Loïc Cirou, préfère celui de « coproduit animaux » pour ne pas véhiculer l'idée que la viande ou le poisson utilisés par Felix et Gourmet sont malsains. « Nous récupérons la viande sur les carcasses et beaucoup d'abats parfaitement sains mais boudés. Qui aurait envie aujourd'hui de manger du coeur de mouton ? », demande Loïc Cirou. Poumons, foie, coeur, rognons, carcasses, lambeaux de viande… tout cela va être broyé, mixé, porté à des températures très élevées pour être stérilisés, avant d'être mis en sauce ou en gelée. Les Britanniques préfèrent la gelée. Chacun ses goûts. C'est parfois plus celui du propriétaire que du chat. « On prend les deux en compte », ajoute-t-il en souriant.

Retour de la viande crue

C'est le propriétaire qui achète et il n'est plus rare que chats et chiens soient mis au même régime que leurs maîtres. Végétariens et végétaliens « convertissent » leurs fidèles compagnons. Car désormais les maîtres ont les mêmes attentes à l'égard du pet food et de leur propre alimentation. Mêmes exigences de lisibilité des étiquettes de traçabilité, de bio, de naturel, sans arômes, sans colorants, sans OGM, sans antibio… D'où le succès récent du « barf », venu des Etats-Unis. De la viande crue en bocal que chacun peut accommoder comme il l'entend, avec légumes, fruits, céréales ou tout autre ingrédient de son choix. Une tendance très mal perçue chez Mars comme chez Nestlé, qui font valoir les critiques de l'USDA, pour le premier, et « la nécessité », pour le second, « d'être un expert en nutrition pour être capable de faire des rations équilibrées ».

 La viande n'est pas la seule source de protéines 

C'est ce fameux équilibre que revendiquent Mars et Nestlé dans leurs produits. Et qui leur vaut beaucoup d'incompréhension. Pourquoi aussi peu de viande, demandent les propriétaires de chats surtout, les chiens étant plus omnivores. « La viande n'est pas la seule source de protéines », dit Loïc Cirou, chez Nestlé Purina. « Jamais les animaux n'ont vécu aussi longtemps », se défend Fabiano Lima, vice-président des relations extérieures chez Mars.

Dans la pâtée, on trouve au mieux de 16 à 17 % de viande. Le reste se répartit entre légumes (haricots, tomates, épinards, petits pois, aubergines), riz, pâtes, fromage, olives, agents texturants (gomme, amidon de blé ou de maïs) pour faire tenir le tout. La réglementation en exige une trentaine pour accorder la mention « aliment complet ». Les légumes viennent souvent d'Europe centrale pour des raisons de coûts. « Ils sont hachés très finement pour nos besoins dans les usines qui traitent les légumes pour les humains », dit-on chez Nestlé.

Poumons, foie, coeur, rognons, carcasses, lambeaux de viande… tout cela va être broyé, mixé, porté à des températures très élevées pour être stérilisés, avant d'être mis en sauce ou en gelée. Les Britanniques préfèrent la gelée.

Poumons, foie, coeur, rognons, carcasses, lambeaux de viande… tout cela va être broyé, mixé, porté à des températures très élevées pour être stérilisés, avant d'être mis en sauce ou en gelée. Les Britanniques préfèrent la gelée.PHILIPPE DESMAZES / AFP

Obésité

A la question de l'obésité, les fabricants répondent par la responsabilité des maîtres. Ils nourrissent trop leurs animaux et ne leur font pas faire suffisamment d'exercice. Mais, là encore, les industriels ont des solutions. Les croquettes spécial diète pour mettre les voraces au régime. Non sans contrarier les maîtres qui croient gâter leurs compagnons en leur donnant double ration. Attention, prévient-on chez Royal Canin, « un chat obèse devient vite agressif. Et il faut trois ans de diète pour lui faire retrouver la ligne ! ».

Chez Royal Canin, on revendique un produit pour chaque problème, et même un produit par animal d'ici à quelques années, sachant que toutes les espèces n'ont ni les mêmes besoins ni les mêmes fragilités. Cette hypersegmentation conduit à une multitude de formes de croquettes, chacune tenant compte de la gueule de l'animal, de sa manière d'attraper la nourriture et de son appétit. « Les labradors adorent manger. C'est pourquoi nous avons conçu des croquettes qui leur apportent la satiété sans la richesse qui les conduirait au surpoids », explique Fabiano Lima. Les matières premières sont analysées avant d'être utilisées, soulignent les deux groupes, qui multiplient les contrôles et se targuent de s'imposer « beaucoup plus de contraintes sanitaires que l'administration n'en applique ».

Haute couture

L'avenir est clairement à des exigences accrues au moins pour le haut de gamme. Car il en va de la pâtée comme de tous les autres aliments. Sa valeur est directement corrélée au choix des ingrédients et aux services proposés. Ce qui n'a pas échappé à Nestlé. En 2017, le groupe s'est offert Terra Canis, un allemand spécialisé dans le plat préparé pour chiens et chats. Le site, qui affiche une jolie femme mangeant une boîte à la cuillère en dit long sur l'image que cherche à véhiculer Terra Canis. La viande, qui constitue 60 % des plats, est préparée par la boucherie familiale. Les céréales, moins de 10 %. Le reste inclut une multitude de fruits et légumes et des herbes aromatiques.

Plus récemment, Nestlé a fait l'acquisition du britannique Tails.com. L'e-commerce fait 55 % de la croissance des ventes de pet food et 11 % des ventes. Tails.com offre du sur-mesure. Boîtes et croquettes sont fabriquées en fonction de l'animal. De sa race. De son âge. De son style de vie et de ses problèmes. Elles sont livrées à domicile. Le tout pour un coût de 44 à 136 euros par mois. Soit 1,5 à 4 fois plus cher qu'une alimentation achetée en linéaire…

Marie-Josée Cougard

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