Récit

Après le départ des médecins cubains, qui soignera les pauvres au Brésil ?

Anticipant les menaces de Bolsonaro, La Havane met fin au programme d'envoi de professionnels de santé qui a bénéficié à des dizaines de millions de patients de zones défavorisées.
par François-Xavier Gomez
publié le 14 novembre 2018 à 18h57

Le gouvernement cubain a annoncé mercredi qu'il retirait ses médecins du Brésil, après les menaces lancées par Jair Bolsonaro, pendant sa campagne de suspendre ou modifier ce programme. «Le ministère de la Santé de Cuba a pris la décision de ne pas continuer à participer au programme Mais Medicos («Plus de médecins») et en a informé l'Organisation panaméricaine de la Santé et les responsables politiques brésiliens qui ont fondé et défendu cette initiative», lit-on dans un communiqué officiel qui précise qu'en cinq ans, près de 20 000 médecins cubains ont soigné plus de 113 millions de patients au Brésil.

Devant la pénurie de personnel de santé dans de nombreuses zones (milieu rural, régions éloignées comme l'Amazonie, banlieues défavorisées), la présidente Dilma Rousseff avait lancé Mais Medicos par un décret signé en juillet 2013. Ouvert à tous les médecins, ce programme a concerné en majorité des Cubains choisis par leur gouvernement. Pour chaque expatrié, Cuba recevait 15 500 reais (environ 3 600 euros), dont il reversait 30 % au médecin. Une autre partie du salaire était versée à la famille restée à Cuba, puisque les volontaires, engagés pour trois ans, ne pouvaient pas être rejoints par leurs conjoints et enfants.

Défections

L’arrivée des «doctores» en 2013 avait suscité une levée de boucliers des syndicats de médecins brésiliens, qui reprochaient aux nouveaux venus de ne pas parler portugais, et l’absence de validation de leur diplôme. Leur demande d’annulation du décret présidentiel avait cependant été rejetée par le Tribunal suprême. En septembre 2016, Michel Temer, qui avait remplacé la présidente destituée, avait prolongé le programme pour trois ans.

Les défections ont été nombreuses parmi les 20 000 médecins provenant des Caraïbes. Le cas de Ramona Matos Rodriguez, en 2014, avait eu un fort impact médiatique. Mariée à un Brésilien, elle avait dénoncé le contrat «proche de l'esclavage» qui la liait à son gouvernement et demandé à toucher l'intégralité de son salaire : 2 700 reais, et non 800. Le Tribunal suprême ne lui avait pas donné raison.

Pétrole contre santé

L’Organisation panaméricaine de la Santé, une agence de l’OMS, a régulièrement fait l’éloge du travail des médecins cubains. Leur départ va priver de soins des millions d’habitants de zones pauvres où les diplômés brésiliens refusent de s’installer, pour des raisons de salaire, d’éloignement ou d’insécurité.

La présence de médecins cubains est habituelle dans les pays idéologiquement proches de La Havane. On les trouve en Bolivie, au Nicaragua, et surtout au Venezuela, où leurs services sont échangés par le régime de Nicolás Maduro contre des barils de pétrole livrés à La Havane. La semaine dernière, Caracas a annoncé le renforcement de cette coopération avec l’arrivée de 500 nouveaux docteurs cubains, ce qui porte à 21 700 le nombre de praticiens y opérant. Cette «diplomatie médicale» a apporté un ballon d’oxygène à la révolution socialiste, puisque l’exportation de matière grise est une source de devises équivalente aux revenus du tourisme ou aux remesas, l’envoi d’argent de la diaspora.

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