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Nickel ou les bons comptes du compte sans banque

DECRYPTAGE - En cinq ans à peine, Compte Nickel est passé du statut de bonne idée à celui de fintech à succès rachetée en 2017 par BNP Paribas. Dans un monde de « néo-banques » largement déficitaires, le modèle prouve déjà son efficacité.

Nickel a célébré en septembre dernier sa millionième ouverture de compte.
Nickel a célébré en septembre dernier sa millionième ouverture de compte. (Stephane Lagoutte/Challenges-REA)

Par Édouard Lederer

Publié le 15 nov. 2018 à 07:30Mis à jour le 15 nov. 2018 à 12:14

De la littérature avant toute chose. Au moment de faire leur « pitch », les jeunes startuppeurs comme les milliardaires de la tech sont désormais tenus de maîtriser l'art du récit. Une touche d'humour, une anecdote personnelle, des idées qui crépitent, une vision pour emporter l'adhésion. Oui, c'est sûr, cette « app » amorce une « révolution » ! Et pourquoi pas, d'ailleurs ? Avec Compte Nickel (devenu depuis « Nickel » tout court) − cette offre qui permet d'obtenir un RIB, un compte sans découvert et une carte de paiement Mastercard en quelques minutes dans un bureau de tabac −, Hugues Le Bret pousse l'exercice plus loin : en guise de « pitch », le cofondateur de Nickel a même publié un récit autobiographique.

En 2013, « No Bank » − c'est son titre et le premier nom imaginé pour ce service novateur − relatait les destins croisés d'Hugues Le Bret − l'ex-directeur de la communication de Société Générale et Pdg de Boursorama, en place au moment de l'affaire Kerviel − et de Ryad Boulanouar, ingénieur et prodige de l'électronique que l'on retrouve sur des projets comme Moneo et le Pass Navigo.

Le récit − la rencontre de deux hommes qui vont apprendre à travailler ensemble − s'achève sur un morceau de bravoure : une course contre la montre pour réunir les 6 millions d'euros de fonds propres qu'exige le régulateur bancaire avant de lui attribuer son agrément. Cinq ans plus tard, enchaînant les cafés, Hugues le Bret raconte ces semaines décisives avec la même fougue, le verbe précis. Fier d'avoir évité les écueils, et conscient que la réussite de l'acte I de Compte Nickel tient pour partie de l'inventivité technique - c'est la partie « Ryad » - et de ce sens abouti du récit, c'est la partie « Hugues ».

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Un million de comptes ouverts

Nickel a célébré en septembre dernier sa millionième ouverture de compte, martèle son credo depuis ses débuts : l'offre doit être accessible à tous, respecter une stricte transparence des prix, et ne pas autoriser de découvert bancaire. Et alors que tant de fintech ne communiquent que sur leurs levées de fonds - c'est-à-dire sur leurs perspectives d'avenir -, Nickel parle résultats : l'offre est devenue rentable (en rythme mensuel) en août 2017. L'année 2018 devrait ainsi devenir son premier exercice comptable dans le vert. La recette ? Des coûts d'acquisition faibles, une offre simple (qui n'inclut ni épargne ni crédit) au tarif clairement affiché. Ce n'est donc pas le modèle de ventes croisées des banques de détail où un crédit vendu bon marché permet ensuite de distribuer d'autres produits nettement plus margés.

Dans le cas de Nickel, le succès repose sur la capacité à faire monter ses volumes, tout en parvenant dans le même temps à augmenter les capacités de son service client ou de sa conformité - un défi permanent. En avril 2017, le rachat de l'entreprise par BNP Paribas - que l'on ne soupçonne pas de s'être laissé séduire à la seule lecture de « No Bank » - est venu répondre à ces interrogations. Pour plus de 200 millions d'euros (montant jamais confirmé officiellement), la première banque de la zone euros par les actifs a repris à 95 % la Financière des paiements électroniques, maison mère de Nickel, la Confédération des buralistes (qui fédère les bureaux de tabac) conservant les 5 % qu'elle y détenait déjà.

Le rôle des buralistes

Avec le recul, l'arrivée du géant bancaire dans le « compte sans banque » n'a rien d'improbable. BNP Paribas apporte à Nickel sa force de frappe, notamment en matière de conformité et d'informatique, lui permettant de garder son avance industrielle. De son côté, Nickel donne un coup de vitamine à la banque de la rue d'Antin. Si elle est la plus grande banque de la zone euro par les actifs, BNP Paribas compte en France trois à quatre fois moins de clients particuliers que les mutualistes Crédit Agricole ou BPCE (toutes deux au-delà de 20 millions de clients). La force de frappe commerciale de Nickel pourrait lui permettre de toucher une population plus large : l'offre Nickel était distribuée dans 3.800 tabacs à fin septembre (plus de deux fois le réseau d'agences de BNP Paribas) et vise les 10.000 à l'horizon 2020.

Outre les banques mutualistes, Nickel permet aussi de concurrencer la Banque Postale dans les zones rurales. Enfin, BNP Paribas affirme ainsi son intérêt pour la clientèle des buralistes, en leur assurant les services de paiement (au-delà des seuls besoins liés à Nickel). Entre la vente de cigarettes, de jeux à gratter et de timbres fiscaux, ce sont chaque année des dizaines de milliards d'euros de paiement qui transitent dans ces commerces indépendants.

Ce passage sous le pavillon d'une banque « d'un monde qui change » n'était pas sans risque pour l'ADN de Nickel. Initialement pensée pour une population souvent dans le rouge, voire en interdit bancaire, la fintech a en réalité attiré une clientèle plus large : certains recourent à Nickel pour régler sans risque leurs achats en ligne (sans avoir à utiliser sa carte bancaire principale), d'autres y versent de l'argent de poche. Le rachat par BNP Paribas a amené à repréciser le discours : Nickel, ce n'est ni pour les riches, ni pour les pauvres… C'est pour tout le monde ! Une chaîne mondiale de restauration rapide a construit son succès sur un tel postulat. Cela a même permis à Nickel de sortir une nouvelle carte baptisée « Nickel Chrome », jouant des codes du haut de gamme, sans troubler son image de banque pour tous.

Un cocktail difficile à reproduire

Reste, comme pour toute success story française, à tenter le grand saut de l'international. Imparable sur le papier, le concept reste difficile à exporter. La raison réside dans sa principale originalité : Nickel est diffusé via les bureaux de tabac, et à bien y penser, ces commerces offrent un cocktail d'ingrédients difficile à reproduire. Les bureaux de tabac sont à la fois fédérés (confédération des buralistes), ce qui permet de nouer des accords avec l'ensemble de la profession et de proposer des formations. Et dans le même temps, ces commerçants sont des indépendants, ils sont donc directement intéressés au succès de Nickel (plus de passage dans le commerce, commission à l'ouverture du compte…) plus directement que ne le serait un réseau salarié. C'est, par comparaison, le cas du compte C-ZAM, concept proche vendu dans les magasins Carrefour. Autre atout, le bureau de tabac est un lieu de passage quotidien. Le buraliste est une figure familière, relativement « légitime », une qualité essentielle pour vendre des services financiers.

Avant de s'exporter, Nickel devra donc identifier le bon réseau de distribution. L'intention d'y parvenir ne fait guère de doute. L'internationalisation de Nickel viendra « nécessairement », indiquait début octobre le patron de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé dans un entretien aux « Echos ». Reste à deviner la destination choisie. Pour l'heure (et en incluant Nickel), la France est le seul marché sur lequel BNP Paribas exerce l'ensemble de ses métiers. Ses autres marchés dits « domestiques » (Belgique, Luxembourg et l'Italie) pourraient logiquement y prétendre aussi. A moins que Nickel ne permette de serrer les mailles du filet BNP Paribas dans d'autres zones prioritaires pour le groupe, comme l'Allemagne.

CHIFFRES CLEFS :

Nickel vise 2 millions de clients à horizon 2020. Un million de comptes ouverts (été 2018).

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Nickel vise les 10.000 points de vente en 2020 (tabacs). 3.800 tabacs distribuaient Nickel à fin septembre 2018.

Nombre de buralistes français (hors Corse) à fin mars 2018 : 24.869

200 millions d'euros (plus de) : montant non confirmé de l'acquisition de Nickel par BNP Paribas.

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