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Trois ans après la catastrophe minière de Mariana au Brésil, les sinistrés réclament encore justice

Les participants à la marche dénoncent "trois ans d'injustice". Capture d'écran d'une vidéo publiée sur la page Facebook du "Movimento dos Atingidos por Barragens (MAB)".
Les participants à la marche dénoncent "trois ans d'injustice". Capture d'écran d'une vidéo publiée sur la page Facebook du "Movimento dos Atingidos por Barragens (MAB)".
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Il y a trois ans, le Brésil connaissait la plus grande catastrophe écologique de son histoire : un barrage cédait et libérait des tonnes de déchets miniers sur près de 650 km. Pour demander à ce que justice soit enfin rendue, des membres du Mouvement des personnes affectées par les barrages (MAB) ont organisé ce mois-ci une marche retraçant le parcours de la "vague rouge" qui a tout détruit sur son passage.

Le 5 novembre 2015, la rupture du barrage du Fundão, qui retenait 56,6 millions de mètres cube de déchets d’une mine de fer, avait provoqué une giganstesque coulée de boue toxique du Minas Gerais jusqu’aux côtes de l’État voisin d’Espírito Santo. En empruntant le cours du Rio Doce, le cinquième fleuve le plus important du Brésil, elle avait tué 19 personnes, dévasté la faune, la flore et englouti trois villages.

>> Lire sur Les Observateurs : Un tsunami de boue dévaste la côte sud du Brésil

>> Lire sur France 24 : La catastrophe minière de Mariana au Brésil , désastre écologique et humain

À l'époque, l’entreprise minière Samarco, contrôlée par les multinationales Vale et BHP Billiton, parlait d'un accident. Les sinistrés dénoncent eux un "crime environnemental" : trois ans après, le fleuve est toujours pollué par des métaux lourds et la pêche y est encore en partie impossible.

En mars 2016, la fondation Renova avait été créée avec des fonds apportés par Samarco, BHP Billiton et Vale pour financer les recherches et indemniser les populations jusqu’en 2030. Chaque mois, les habitants des zones touchées reçoivent près de 1 000 reais. Les commerçants, hôteliers et pêcheurs sont eux aussi progressivement indemnisés. 

Mais les dégâts restent "incalculables" pour les victimes qui demandent encore réparation et reconstruction. Pour dénoncer "trois ans d’injustice", des centaines de personnes ont participé ce mois-ci, du 4 novembre au 14 novembre, à une marche organisée par le MAB. Parti de Mariana, où l’accident était survenu en 2015, le petit groupe s’est rendu dans une dizaine de communes affectées pour rencontrer des habitants, organiser des conférences et alerter les autorités. 

 

"S’ils n’ont toujours pas reconstruit les maisons, qui ont été détruites par la boue, c’est-à-dire le problème le plus visible, le plus criant, imaginez la récupération de la mangrove, et des affluents au Rio Doce"

Tchenna Maso, juriste et militante au sein du MAB, a participé à la marche pour ne pas que la catastrophe "tombe dans l’oubli" :

L’objectif était d’abord de dire que cette catastrophe n’est pas tombée dans l’oubli. Tout au long du trajet, nous avons organisé des conférences, des rencontres et des événements culturels. Ce sont trois années d’injustice parce que les personnes affectées par ce crime environnemental n’ont pas accès à la justice. Tout le processus de réparation qui a été mené par l’entreprise génère par ailleurs une série d’autres violations de leurs droits.

Par exemple les femmes, sur lesquelles nous avons beaucoup insisté pendant la marche, ne sont pas toujours reconnues comme des victimes. Certaines deviennent aujourd'hui dépendantes de leurs maris, ce qui porte préjudice à leur autonomie financière [en avril dernier, les ministères publics fédéraux du Minas Gerais et d'Espírito Santo avaient déjà demandé à la fondation Renova de corriger quelques irrégularités, comme le traitement inégal des femmes qui, selon eux, n'étaient pas reconnues de manière autonome, NDLR].

Sur le littoral, dans la mer, on peut encore voir une bande de boue qui n’a toujours pas disparue. Les pêcheurs montrent aussi des espèces de poissons ou de crabes qui présentent des difformités. Quand il pleut, la boue dans le fleuve remonte et devient visible.

Il y a des personnes qui ont des allergies de peau, de chute de cheveux, des problèmes gastriques. Un diagnostic fait état de 14 personnes contaminées par des métaux lourds [il s’agit de 11 personnes selon la presse locale, NDLR]. Samarco de son côté dit qu’il n’y a pas de lien de causalité. Nous remarquons aussi de nombreux cas de dépression. Par exemple chez les pêcheurs, car même s’ils reçoivent une indemnisation, leur mode de vie a été totalement altéré. Ils ne savent pas quand ils vont pouvoir pêcher à nouveau. Il y a un grand sentiment d’insécurité dans les familles, avec la question de savoir si elles peuvent consommer l’eau du fleuve.

Trois districts ont été complètement détruits par la boue, notamment la commune de Bento Rodrigues. Les habitants ont été relogés dans des locations et l’entreprise a annoncé cette année qu’elle terminera le processus de reconstruction de Bento Rodrigues seulement en 2020.

Alors s’ils n’ont toujours pas reconstruit les maisons, qui ont été détruites par la boue, c’est-à-dire le problème le plus visible, le plus criant, imaginez la récupération de la mangrove, et des affluents au Rio Doce, où il n’y a pas de politique de traitement. Et d’autres problèmes arrivent : le barrage du "Rio pequeno", qui a été installé pour contenir la boue à Linhares – au niveau de la côte, – pourrait se rompre et probablement contaminer une série de lagons [selon Renova, il n'y a aucun risque de rupture du barrage, mais il existe des risques d’inondations en saison des pluies, NDLR].

"Il nous semblait important de montrer que derrière les revendications il y a de vraies personnes"

Sur Facebook, les militants du MAB ont publié des photos et vidéos de la marche, mais aussi des témoignages d’habitants sinistrés. Un moyen important de mettre un visage sur leurs revendications, explique Tchenna Maso :

Nous avons voulu donner de la visibilité aux personnes affectées. C’est important de diffuser des témoignages, avec un visage et une citation, pour montrer que derrière les revendications, il y a de vraies personnes. Et alors que l’entreprise va sûrement reprendre ses activités à un moment donné, qu’est ce qui est fait pour éviter une autre catastrophe ? Nous voulons que ce crime ne reste pas impuni. 

Jandira, habitante depuis 40 ans de la commune de Governador Valadares : "Après ce crime environnemental, les jours de pluie, l'eau sent très fort. La boire provoque des diarrhées et des maladies de peau. Je voudrais seulement demander à ce qu'ils prêtent plus attention à notre Rio Doce."

 

Maria Tupiniquim [les Tupiniquim sont un groupe indigène du Brésil, NDLR], "personne affectée de l'État d'Espírito Santo" : "Notre fleuve a été totalement contaminé. Notre village survivait grâce à la pêche et cela fait trois ans que nous devons acheter de la nourriture. Jusqu'à quand ? "

Certains habitants sont néanmoins plus indulgents envers Samarco. Depuis la catastrophe, le chômage a bondi dans la région et beaucoup attendent avec impatience la reprise des activités de l’entreprise, comme le rapportait Le Monde dans un reportage cette année

Les résultats de l’enquête sur les causes de l’accident tendent pour le moment à démontrer une négligence de l’entreprise, qui est poursuivie pour "crime environnemental" et homicide avec ses actionnaires BHP Billiton et Vale. Selon l’agence brésilienne Agencia Brasil ce jeudi 16 novembre, trente-neuf municipalités des États de Minas Gerais et d'Espirito Santo se sont vu offrir 53 millions de reais par la fondation Renova pour se désister des poursuites judiciaires engagées contre Samarco et ses actionnaires. Dans un communiqué également mentionné par Agencia Brasil, la Fondation Renova a indiqué qu'elle avait déjà compensé 90 % des dépenses extraordinaires du gouvernement fédéral et des gouvernements des États.

Cet article a été écrit par Maëva Poulet (@maevaplt).

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