L'Iran est montré du doigt par l'ONU et la société civile sur les réseaux sociaux, alors que huit environnementalistes y sont incarcérés depuis près de 10 mois. Quatre d'entre eux sont passibles de la peine de mort, dont une ancienne étudiante de McGill, tandis qu'un Irano-Canadien qui faisait partie du groupe a déjà trouvé la mort dans sa cellule.

Les environnementalistes affiliés à la Persian Wildlife Heritage Foundation ont été arrêtés par les Gardiens de la révolution, une milice paramilitaire, en janvier et février derniers, pendant qu'ils travaillaient à un projet de recherche. Ce sont les caméras utilisées pour observer des animaux sauvages qui auraient mené à leur incrimination. Le groupe est accusé par les autorités judiciaires « d'avoir espionné et obtenu des renseignements sur des sites militaires en utilisant les recherches environnementales comme couverture ».

Huit d'entre eux seraient toujours vivants, alors que le fondateur du regroupement, l'Irano-Canadien Kavous Seyed Emami, est mort quelques jours après son arrestation en janvier 2018 par les Gardiens de la révolution. Les autorités judiciaires défendent la thèse du suicide, mais aucune enquête indépendante n'a eu lieu pour corroborer cette version. La veuve de M. Emami, ayant elle aussi la double nationalité, a été empêchée depuis de sortir du pays.

APPEL À L'ACTION

Plusieurs anciens étudiants de McGill ont lancé un appel à l'action sur les médias sociaux cette semaine pour aider Niloufar Bayani, une ancienne camarade qui travaillait aussi pour ce projet de conservation de la faune. Elle a notamment travaillé pour l'ONU.

Quatre membres du groupe, dont Mme Bayani, sont passibles de la peine de mort pour avoir « répandu la corruption sur la Terre », a annoncé le 24 octobre dernier le procureur de Téhéran. Il n'est pas écarté, selon lui, que les accusés puissent travailler pour le compte de la CIA et du Mossad, les services secrets israéliens.

Le gouvernement iranien a dit ne pas comprendre pourquoi le groupe avait été arrêté, se dissociant des actions faites par les Gardiens de la révolution.

« C'est en continuité avec les pratiques de l'Iran. Peu importe le type d'activisme, on censure ce qui dérange. »

- Hanieh Ziaei, chercheuse à la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM

Après neuf mois sans contact avec des avocats, les familles des huit détenus toujours vivants ont affirmé que leurs proches emprisonnés avaient finalement pu se prévaloir d'une aide juridique, mais uniquement dans une liste préétablie de 20 avocats, ont relaté des observateurs de Human Rights Watch.

LE CANADA PEUT DIFFICILEMENT AGIR

« Le Canada exhorte le régime iranien à agir face aux graves préoccupations concernant les droits de la personne », a annoncé la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, dans un communiqué, le 15 novembre, tout juste après l'adoption d'une résolution sur la situation des droits de la personne en Iran par la Troisième Commission de l'Assemblée générale de l'ONU.

Il est toutefois difficile pour le Canada d'avoir un impact en Iran alors que les communications demeurent presque inexistantes avec Téhéran depuis la fermeture de l'ambassade en 2012. Le pays redouble de prudence relativement à son réengagement diplomatique. La ministre Freeland n'a toujours pas réussi à faire lever l'interdit de voyage qui pèse sur la veuve de M. Emami, coincée en Iran. Le gouvernement Trudeau avait été interpellé par la famille du défunt devant son incapacité diplomatique à rapatrier la ressortissante Maryam Mombeini.

Le gouvernement Trudeau s'est engagé, lors des dernières élections, à rebâtir les liens rompus avec Téhéran. Les engagements commerciaux et diplomatiques devront attendre.

« Le Canada ne prendra aucun autre engagement avec l'Iran avant que Maryam Mombeini ne revienne. »

- Un attaché de presse de Chrystia Freeland

« Sans ambassade, le gouvernement canadien peut difficilement faire pression et protéger les ressortissants d'origine iranienne », croit Mme Ziaei, de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM.

DES CRAINTES À L'INTERNATIONAL

Erik Solheim, responsable du programme de l'ONU pour l'environnement, s'est dit « profondément » troublé par ces cas. « Les dernières nouvelles que nous avons reçues nous amènent encore plus à sonner l'alarme », affirme-t-il. Il a porté la cause du groupe deux fois devant les autorités iraniennes.

« Avec le très mauvais bilan de l'Iran en matière de procès inéquitables et les violations graves du droit à une procédure régulière, nous sommes très préoccupés », affirme pour sa part Tara Sepehri Far, spécialiste de l'Iran pour Human Rights Watch, en entrevue avec La Presse.

Deux des personnes dont la sentence pourrait signer l'arrêt de mort travaillaient à l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dont le directeur, Inger Anfersen, s'est dit « alarmé ».

ÉTUDIANTE DE McGILL 

Pour les amis de l'ancienne étudiante de McGill Niloufar Bayani, qui pourrait obtenir une sentence de peine de mort, cette accusation d'espionnage est injustifiée. « C'est complètement incompréhensible de mon côté », affirme Adam Rickards, qui a vécu avec elle lorsqu'ils étaient étudiants à Montréal.

« C'est une personne avec des convictions écologistes très fortes. Elle a dédié sa vie à la cause », rappelle quant à lui son ami Charles Pellegrin. Il explique que ce projet était l'accomplissement de plusieurs années de recherche scientifique qu'elle pouvait désormais réinvestir dans un « pays qu'elle aimait d'amour ».

L'environnement iranien est un sujet ignoré par les autorités, croit Hanieh Ziaei, sociologue et politologue. Elle relate comment les puits acides nécessaires au programme nucléaire iranien amènent une détérioration considérable de l'environnement.



photo archives agence france-presse

Le fondateur de la Persian Wildlife Heritage Foundation, l'Irano-Canadien Kavous Seyed Emami, est mort quelques jours après son arrestation en janvier 2018 par les Gardiens de la révolution.

PHOTO tirée du site web de Center for Human Rights in Iran

Niloufar Bayani

TORTURE ET CENSURE DANS LA PRISON D'EVIN

D'autres cas similaires s'étant déroulés dans la prison d'Evin ont déjà fait les manchettes. L'établissement situé dans le nord de la capitale est un lieu reconnu pour accueillir des journalistes et détenus politiques. En 2003, la photojournaliste canadienne Zahra Kazemi y avait été incarcérée puis torturée. Sa mort quelques jours plus tard serait d'ailleurs attribuable au traitement qu'elle y a reçu. Son fils, Stephan Hachemi, avait alors entrepris une poursuite devant les tribunaux canadiens contre le gouvernement iranien. Un procès qui s'était soldé par un échec pour M. Hachemi : la Cour suprême avait rejeté l'appel sur la base du concept de l'immunité des États. Une autre Irano-Canadienne, Mme Homa Hoodfar, anthropologue et professeure à l'Université Concordia, avait également été torturée pendant plus d'une centaine de jours dans la prison d'Evin en 2016. Elle avait été arrêtée relativement à ses opinions politiques et écrits féministes.