On a vu “Amazing Grace”, le documentaire maudit sur Aretha Franklin qui voit enfin le jour

Quarante-six ans après la sortie de l’album mythique “Amazing Grace”, le documentaire tourné par Sydney Pollack pendant son enregistrement a enfin été montré au public, à New York. Nous y étions.

Par Lucas Armati

Publié le 15 novembre 2018 à 11h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h12

Elle s’avance dans la travée de la petite église, le regard baissé, presque timide. Vêtue d’une longue tunique blanche, elle effleure le piano et commence à chanter, les yeux fermés. Nous sommes le 13 janvier 1972, et Aretha Franklin, 29 ans, enregistre un album mythique, qui sonne comme un retour aux sources.

Après les succès internationaux d’I never loved a man the way I love you, (You make me feel like) A natural woman, I say a little prayer, la diva soul a décidé de renouer avec l’âme du gospel, qui lui a tout appris. Enregistré en compagnie du révérend James Cleveland (une célébrité du genre), devant le public endimanché d’une église du quartier noir de Watts à Los Angeles, Amazing Grace va s’écouler à plus de deux millions d’exemplaires (rien qu’aux Etats-Unis) et devenir l’un des albums gospel les plus vendus au monde.

Ces images, combien de fans les ont rêvées ? Pendant quarante-six ans, personne n’a pu les voir. Pourtant, ces deux nuits d’enregistrement ont bien été sauvegardées sur pellicule, et pas par n’importe qui : Sydney Pollack lui-même, missionné par la Warner. Mais malgré les répétitions (dont on voit un bout), la réalisation exaltée et la performance bouleversante d’Aretha Franklin et des choristes qui l’accompagnent, le réalisateur doit admettre une grossière erreur de débutant.

Faute d’avoir bien utilisé les claps de début et de fin, le son n’est pas synchronisé avec l’image. Avec plus de 20 heures de bandes, le montage devient un casse-tête quasiment insoluble… Sydney Pollack passe à autre chose (Nos plus belles années avec Barbra Streisand et Robert Redford) et les pellicules inutilisables atterrissent dans les cartons du studio hollywoodien.

Elles doivent leur renaissance à un producteur de musique acharné, Alan Elliott. Obsédé par l’histoire de ce film mort-né, il hypothèque sa maison pour racheter en 2007 les rushes à la Warner. Grâce aux technologies numériques, il réussit à caler la voix avec l’image et découvre une pépite inexploitée : un concert pendant lequel Aretha Franklin, concentrée, enchaîne les classiques du gospel (comme Mary don’t you weep ou Precious Memories), alterne montées extatiques et couplets de velours, délivre une version de 11 minutes d’Amazing Grace et chante sa foi inébranlable en des lendemains meilleurs, quatre années à peine après l’assassinat de Martin Luther King.

Est-ce l’époque qui explique cette ferveur particulière ? A l’écran, le public de la petite église surchauffée est transporté, des femmes se lèvent, en transe, des larmes coulent sur les joues des hommes, le révérend James Cleveland, submergé par l’émotion, doit laisser sa place au piano. Assis au premier rang, C.L. Franklin, le père de la chanteuse, sommité de l’Eglise noire américaine, ne semble pas revenir de la performance finale, donnée sur Never grow old. Le producteur Alan Elliott a de l’or entre les mains. Il monte un film éclatant d’une heure et demie, qu’il peut enfin sortir en 2011. Mais c’est sans compter Aretha Franklin elle-même.

Trente-neuf ans après le tournage, la diva ne veut plus entendre parler du film. Elle dit ne pas avoir été informée de la renaissance du projet, se vexe, et s’engage dans une bataille judiciaire qui verra des projections annuler aux festivals de Telluride et de Toronto. La malédiction d’Amazing Grace semble inéluctable. Dans l’entourage d’Aretha Franklin, il se murmure que la chanteuse de 70 ans a du mal à voir sur grand écran sa jeunesse envolée…

Il faudra finalement attendre son décès, en août dernier, pour que la situation se débloque. Sabrina Owens, la nièce de la chanteuse, en charge de son héritage, invite le producteur malheureux aux funérailles organisées à Détroit. Deux semaines plus tard, il la contacte pour reparler du film. Elle lui propose alors d’organiser une projection privée pour la famille. Celle-ci a lieu fin septembre à Détroit, devant vingt-cinq membres du clan. « Il y a eu des applaudissements et des pleurs », a raconté Sabrina Owens.

C’est gagné. Les Franklin donnent leur feu vert pour une diffusion sur grand écran. Quarante-six ans après son tournage, le film a donc été projeté lundi 12 novembre au festival new-yorkais « Doc NYC ». Il devrait sortir à travers les Etats-Unis en janvier prochain. Et, espère son producteur, concourir aux prochains Oscars. L’incroyable histoire d’Amazing Grace n’est peut-être pas terminée.

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