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L’Allemagne dit adieu à ses mineurs

En Allemagne, une page se tourne avec la fermeture fin décembre des deux dernières mines de houille du pays. La Ruhr reste confrontée au lourd défi de la reconversion économique

Le 21 décembre, la mine Prosper Haniel, à Bottrop dans la Ruhr, fermera ses portes, après plus de cent cinquante ans d’exploitation. Aujourd’hui, la région ne compte plus que 1500 mineurs contre plus de 270 000 à la fin des années 1960. — © Wolfgang Rattay/Reuters
Le 21 décembre, la mine Prosper Haniel, à Bottrop dans la Ruhr, fermera ses portes, après plus de cent cinquante ans d’exploitation. Aujourd’hui, la région ne compte plus que 1500 mineurs contre plus de 270 000 à la fin des années 1960. — © Wolfgang Rattay/Reuters

Dirk Erbar ne cache pas sa tristesse. Il ne reste plus qu’un mois de travail à ce mineur de 49 ans, au physique imposant. Le 21 décembre, la mine Prosper Haniel, située dans la commune de Bottrop, dans la Ruhr, ainsi que celle d’Ibbenburen à quelques kilomètres de là fermeront leurs portes, après plus de cent cinquante ans d’exploitation. «C’est un sentiment très désagréable, explique Dirk Erbar, fils et petits-fils de mineur. Je travaille depuis trente ans dans la mine, toujours avec plaisir, au contact de mes camarades. Ce monde va me manquer», avoue-t-il.

Les mines allemandes sont les plus sûres du monde, mais elles ferment parce que d’autres mineurs, ailleurs dans le monde, travaillent dans des conditions de sécurité bien moins bonnesDirk Erbar, mineur

Le sort de ces deux dernières mines de houille a été scellé en 2007, lorsque les autorités politiques ont décidé de mettre un terme aux subventions qui maintiennent le secteur en vie. Le coup fatal date toutefois des années 1950, avec la hausse de la concurrence étrangère, la baisse de la demande européenne et l’arrivée de nouvelles sources d’énergie telles que le pétrole. En 1968, la Ruhr comptait 72 mines de houille et 274 000 mineurs. Ils ne sont plus que 1500 aujourd’hui.

«Les mines allemandes sont les plus sûres du monde, mais elles ferment parce que d’autres mineurs, ailleurs dans le monde, travaillent dans des conditions de sécurité bien moins bonnes», regrette Dirk Erbar. De fait, s’il est encore possible d’extraire de la houille à Bottrop, à 1200 mètres sous terre, son extraction n’est plus rentable. «Une tonne de houille allemande revient à 250 euros (284 francs) alors que la tonne se vend 80 euros sur le marché», explique Christof Beike, porte-parole du groupe RAG qui exploite la mine. En 2018, l’Etat fédéral a encore injecté près d’un milliard d’euros pour combler cette différence de prix.

Avec la fermeture de Prosper Haniel, c’est une page de l’histoire de la Ruhr et de l’Allemagne qui se tourne car, sans la houille, l’industrialisation du pays et de l’Europe n’aurait jamais eu lieu. L’émotion est donc perceptible. «Le 21 décembre sera un jour de tristesse mais ne sera pas un jour de révolte», assure Stephan Holthoff-Pförtner, ministre des Affaires européennes au sein du gouvernement régional de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

L’avenir incertain des mineurs

La cessation de cette activité, programmée en 2007, n’a entraîné aucun conflit majeur. La quasi-totalité des mineurs de Bottrop est déjà partie à la retraite anticipée, à 49 ans. Les plus jeunes ont accès à des programmes de formation et sont mis en contact avec des acteurs économiques locaux. «Nous avons passé des accords avec la Deutsche Bahn, avec les sapeurs-pompiers et avons mis en place une bourse à l’emploi», énumère Christof Beike. «Personne n’est laissé sur le carreau», rassure-t-il.

Dans la mine, à 1200 mètres de profondeur, un groupe de mineurs termine sa journée de travail, le visage recouvert de poussière noire. Casques sur la tête, certains ramènent des sacs de charbon, noir et brillant, «en souvenir». Depuis que la production a été stoppée il y a quatre mois, ils démontent ce qui peut être récupéré. Marcel Pawlinka, 25 ans, ne sait pas ce qu’il fera une fois son contrat terminé. «Je n’ai rien de précis mais en tant que mécanicien industriel, je trouverai rapidement un autre job», espère-t-il.

Pour un millier de mineurs, le travail va se poursuivre jusqu'en 2022, le temps de vider complètement les galeries. Ensuite, 650 personnes géreront «l'après-mine». Par le biais des activités chimiques, énergétiques et immobilières de sa filiale Evonik Industries, RAG prévoit de dépenser 220 millions d’euros par an pour contrer les risques liés à l’arrêt de l’activité. Il s’agit, entre autres, d’éviter les effondrements de terrain, de remplir les kilomètres de galeries de béton, d’injecter de l’eau dans les souterrains tout en évitant le contact avec les nappes phréatiques.

Changer l’image de la Ruhr

Pour la région, la fermeture de ces mines pose, une fois de plus, la question de la reconversion économique. «Une variété de mesures ont été mises en place depuis des décennies», rappelle Uwe Neumann, de l’Institut Leibniz pour la recherche économique installé à Essen (RWI). «Cela consiste, entre autres, en un énorme travail de réhabilitation des sites industriels, afin de les rendre réutilisables par des entreprises. Il s’agit aussi d’assainir l’environnement, d’améliorer les transports, la qualité de la vie et de changer l’image de la Ruhr», décrit cet économiste. «Un autre défi est de reconvertir les salariés les moins qualifiés et de permettre aux jeunes d’étudier sur place afin de créer leur emploi dans la région.»

Depuis les années 1960, la Ruhr a fait le pari de l’éducation et compte aujourd’hui une vingtaine d’écoles supérieures qui ont permis l’émergence d’un nouveau tissu industriel et technologique, à Duisbourg, Bochum et Dortmund. Quant au secteur tertiaire, il emploie désormais 75% de la population locale, dans la logistique, le commerce et le tourisme. «La Ruhr de 2018 n’a plus le même visage qu’il y a trente ans», confirme Uwe Neumann. L’économiste n’oublie toutefois pas l’autre visage de la région, celui du chômage de longue durée et de communes parmi les plus endettées du pays. A Bottrop, les autorités s’inquiètent de l’absence de nouvelles entreprises, une fois la mine fermée.

Incomplète, cette transition pourrait néanmoins servir de modèle au gouvernement allemand qui cherche à atteindre ses objectifs climatiques. Il envisage la fermeture des mines de lignite, un charbon de mauvaise qualité, très polluant, employé pour la production d’électricité. Une commission d’experts doit trancher d’ici au début décembre sur le sort de ces mines à ciel ouvert qui emploient encore 20 000 personnes dans trois régions du pays. Un autre défi de taille pour l’Allemagne.

Arte, avec qui ce reportage a été réalisé en collaboration, diffuse un documentaire à ce sujet, sur ses ondes ces jours et en rattrapage.