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Dans la tête des décrocheurs scolaires

Ils ne trouvent pas leur place, alimentent parfois la rubrique des faits divers et risquent d’aboutir à l’aide sociale: les élèves qui perdent pied à l’école souffrent et mettent la société à l’épreuve. Plongée inédite dans le monde de Marine, Thibault, Aurèle et les autres

Le décrochage scolaire, quand on perd pied. — © François Supiot pour Le Temps
Le décrochage scolaire, quand on perd pied. — © François Supiot pour Le Temps

Cette enquête a été réalisée par Laurie Willommet, lauréate de la Bourse Le Temps, enseignante (voir plus bas). Elle a mené près d'une vingtaine d'entretiens en profondeur avec des décrocheurs, des parents, et différents acteurs du monde de l'éducation vaudois. Vous découvrirez ci-dessous son récit, une interview de la spécialiste du décrochage Catherine Blaya, des chiffres et des liens utiles, ainsi que le «making of» de l'opération

Lire aussi notre éditorial : Le décrochage scolaire, cet enfer

Thibault* a beau avoir 37 ans, les mauvais souvenirs d’école hantent encore aujourd’hui le Vaudois. «Je pense que mon échec scolaire remonte à mon premier exercice, en première année, se rappelle-t-il. Ça m’a marqué, le souvenir est tellement net. On nous expliquait des chiffres avec des barrettes de couleur. J’ai eu ce sentiment de grand stress, cette panique, cette honte face au fait que je ne comprenais pas la logique. C’était totalement incompréhensible pour moi, mais complètement logique et accessible pour la plupart des autres élèves. A partir de là, ça a été une lente agonie.»

Bilingue et intelligent, Thibault vivote aujourd’hui de petits boulots, en se consacrant à la peinture; il vient d’organiser son premier vernissage. Revivre son parcours scolaire suscite en lui un flot d’émotions difficile à arrêter.

Pêle-mêle, il évoque ce sentiment de s’être très vite senti différent et pas à sa place, la comparaison avec sa sœur qui elle était très scolaire, un cadre parental très strict, les redoublements, sa «connerie d’ado, la fierté de l’échec, de n’en avoir rien à foutre face à l’institution». Il raconte la Norvège où sa mère l’a envoyé une année pour essayer un autre rapport à l’école, le retour difficile, les squats, l’errance. Il raconte les larmes aux yeux la fois où, des années plus tard, on lui a proposé un cachet de Ritaline, la molécule censée lutter contre le déficit de l’attention: «J’ai eu l’impression pour la première fois de ma vie d’avoir accès à mon cerveau de manière objective.»

Le cas de Thibault est loin d’être isolé. Dans le canton de Vaud, ils sont environ 150 jeunes tous les ans à quitter l’enseignement obligatoire sans diplôme et sans projet de formation. A Genève, les décrocheurs se comptent par centaines. On les retrouve parfois traînant durant l’adolescence, en attendant d’avoir l’âge de toucher l’aide sociale.

Marine non plus ne s’est jamais sentie à sa place à l’école. D’abord victime de harcèlement, «sans que le professeur bouge le petit doigt», elle a plusieurs fois changé d’école, de voie, redoublé. Elle a signé des contrats l’engageant à bien se comporter, rompus pour une cigarette interdite mais irrésistible. Refus de l’autorité, révolte, influence délétère d’amis l’éloignant encore de l’école: «Peut-être que si j’avais fréquenté des gens qui aiment la connaissance au lieu d’aller fumer des joints, si on s’était vus pour réviser plutôt que pour fumer, oui, ça aurait pu tout changer.»

© François Supiot pour Le Temps
© François Supiot pour Le Temps

Après des années à traîner de formations en stages, Marine a repris goût aux études à l’école de couture, «le premier métier de ma vie où je n’ai pas l’impression que je vais au travail». Elle redouble sa première année, mais elle est convaincue que cette formation, pour la première fois, à 21 ans, elle l’achèvera.

Un problème de comportement, pas d’aptitudes

Enquêter sur les décrocheurs scolaires, c’est se frotter à des Thibault et des Marine tous différents, à des parents et des enseignants impuissants, résignés, et aussi inconscients et irresponsables, parfois.

Leurs besoins ne sont pas si particuliers que ça, mais l’école n’a pas su y répondre

Michael Altenhöfer, ancien doyen

Très souvent, c’est le comportement de ces élèves qui est en cause, non leurs dispositions cognitives. Les décrocheurs ont des problèmes psychosociaux, mais guère d’intelligence ou d’apprentissage.

«En dix ans, je n’ai reçu qu’un seul jeune qui avait des problèmes cognitifs», constate Marco Pavarini, le directeur de Gingko, une structure de travail social mise en place par la ville de Vevey pour accompagner les jeunes dans la rue et les aider à se prendre en main.

«Leurs besoins ne sont pas si particuliers que ça, mais l’école n’a pas su y répondre», complète Michael Altenhöfer, ancien doyen à l’école obligatoire et lui-même père de deux décrocheurs. «J’ai souvent dit en tant que doyen que l’école était une machine à broyer. C’est super quand vous rentrez dans le moule, mais d’autres sont plus rebelles, plus difficiles, et fonctionnent différemment. Là, on entre vite dans la confrontation, les enseignants ne changent pas de position et l’enfant réagit.»

La rigidité de l’institution, il l’a vécue de près, douloureusement, avec ses deux fils victimes de phobie scolaire. Qui n’ont jamais pu passer d’examens, puisqu’ils ne pouvaient pas aller à l’école.

© François Supiot pour Le Temps
© François Supiot pour Le Temps

Sytème «rigide et cassant»

Anne-Francine Simonin, enseignante depuis trente ans et aussi mère de décrocheurs, fait le même constat d’un système actuel «rigide et cassant».

«Avant, il n’y avait pas ces tests communs obligatoires, tu pouvais ne pas passer un examen pour une raison X ou Y et continuer quand même, raconte-t-elle. Aujourd’hui, les normes sont imposées d’en haut, le pouvoir de l’enseignant est de plus en plus réduit.»

Un paradoxe, alors que la nouvelle LEO (loi sur l’enseignement obligatoire) vise à personnaliser les parcours pour que les jeunes soient toujours plus nombreux à obtenir un diplôme, grâce à des classes à effectif réduit, à l’exemption de branches ou à des appuis pédagogiques renforcés.

Pour dépister, on repère les mauvaises notes, les incivilités, les devoirs jamais rendus, les absences… On accompagne les élèves qui dorment en cours, ou qui perturbent la classe

Marie Meylan, infirmière scolaire

C’est souvent l’accumulation de facteurs qui amène au décrochage. Crise familiale, manque de confiance en soi, traumatisme d’une première mauvaise expérience de l’école, groupe de classe dysfonctionnel, fréquentations dangereuses, famille inconsciente des enjeux, abus de substances, révolte adolescente: il est parfois difficile de départager les causes et les conséquences. Des enfants fraîchement arrivés en Suisse peuvent être perdus dans une école où ils débarquent sans maîtrise de la langue, avec des parents qui font trop confiance à un système qu’ils ne comprennent pas.

Vilain petit canard

Tous les milieux sont touchés. «J’étais le vilain petit canard, le seul de ma famille qui n’ait pas fait l’uni» explique Aurèle, un autre décrocheur âgé de 27 ans. «Ma mère m’a toujours dit, déjà quand j’étais haut comme trois pommes: «Alors quand tu seras au gymnase», puis «quand tu seras à l’uni»… Pour elle, c’était une évidence que j’allais faire ma scolarité parfaitement normalement, atterrir à l’uni, faire un joli petit papier et puis voilà. Donc le jour où j’ai annoncé que je quittais l’école, ça a plutôt mal passé.»

Il suit un apprentissage de viticulteur, métier 100% loin de bureaux qui auraient pu lui rappeler l’institution scolaire. D’abord fier d’enfiler ses pantalons de travail, il se lasse et jette son sécateur un jour d’été pluvieux, en se disant «plus jamais». Il a un déclic sur ses capacités pendant sa maturité professionnelle, qu’il survole, rechute en Haute Ecole d’œnologie, trop scientifique, et se décide finalement pour l’université, quitte à retourner vivre chez sa mère. Et là, à 23 ans, ça (rac)croche, et apprendre devient un plaisir. Aurèle ne nie pas sa chance d’être issu d’une famille où la culture est omniprésente, sans quoi il est persuadé que son parcours aurait été bien plus chaotique.

Repérage tardif

Comment expliquer que le système ne parvienne pas à aider les Thibault, Marine ou Aurèle? Le premier problème semble provenir d’un repérage tardif des décrocheurs. Si votre enfant se plaint de maux de ventre, n’arrive pas à se lever, s’il est toujours en retard, ne raconte plus ce qui se passe à l’école, manque des classes, ou si vous ne parvenez plus à en discuter avec lui, s’il ment, s’il fuit: soyez sur vos gardes.

© François Supiot pour Le Temps
© François Supiot pour Le Temps

Les enseignants devraient être mieux formés à reconnaître ces premiers signes. «Aujourd’hui, on dépiste plus vite les comportements à problèmes, se rassure Marie Meylan, infirmière scolaire. On repère les habitués aux mauvaises notes, aux incivilités, aux absences répétées… On accompagne les élèves qui dorment en cours, ou qui perturbent la classe. C’est un processus à étapes, et c’est très compliqué de savoir quand et comment l’école doit intervenir.» Et cela prend du temps d'explorer les signes.

Pourtant plus on s’y prend tôt, meilleures sont les chances de rattraper les «sortants précoces» et de leur concocter avec leur participation des parcours individuels, voire de les réintégrer au groupe. «De nombreux dispositifs socio-éducatifs existent, entre les classes spécialisées DES [classes de développement], Matas [module d’activités temporaires alternatives à la scolarité, pour les 6 à 11 ans], PPLS [psychologues, psychomotriciens, logopédistes en milieu scolaire] et autres systèmes d’aide personnalisée, explique Marie Meylan. Il y a beaucoup de choses proposées mais il faut que toutes les parties soient d’accord autour d’un projet. Il ne faut pas oublier que quand ça concerne l’école, on est extrêmement limité au niveau légal.»

Pour elle, une solution serait d’impliquer le pédiatre des adolescents à problèmes, qui par son statut peut être pris au sérieux par les deux parties, l’école et la famille.

Solutions originales

La construction de projets individuels à côté du cadre scolaire pourrait aussi passer par l’école à la maison, en plein développement. Personnes à besoins particuliers, phobies scolaires, les profils peuvent être très variés. Certaines familles en conflit ouvert avec l'école retirent leur enfant du jour au lendemain.

L’inadéquation entre le système et certains élèves crée une forte souffrance, mais elle a aussi un coût social élevé. Quelque 60% des personnes vivant de revenus d’insertion ont vécu une rupture scolaire. La collectivité paie pour ces exclus de l’école, qui ne peuvent que difficilement subvenir à leurs besoins.

Au point que Thibault, l’ancien décrocheur aujourd'hui peintre, est persuadé que le système devrait procurer à chaque jeune «un genre de budget» pour qu’il puisse «s’épanouir, acquérir une somme d’expériences afin d’être capable de s’insérer». Une idée peut-être pas si absurde que ça.

* Prénom modifié à la demande de la personne.

Collaboration: Catherine Frammery

© François Supiot pour Le Temps
© François Supiot pour Le Temps

La responsabilité cruciale des enseignants

Les bonnes et mauvaises rencontres se font aussi à l’intérieur de la salle de classe. Tous nos interlocuteurs ont souligné l’importance majeure du professeur dans le destin des décrocheurs scolaires.

Marco Pavarini, le responsable de Gingko, la structure sociale de la ville de Vevey, a connu des professeurs qui ont détruit des élèves par leur manque de bienveillance. L’ex-doyen Michael Altenhofer se rappelle qu’un enseignant a dit à son fils «qu’il aurait mieux fait de mourir. A 27 ans, il me le ressort encore.»

Marine, la décrocheuse de 21 ans, pense que si son enseignant avait réagi lorsqu’elle a subi de la persécution scolaire, à 11 ans, elle n’aurait pas redoublé et que les choses auraient pu être différentes. Quand elle a eu des enseignants qui la motivaient, elle a repris confiance en l’école. L’enseignante Anne-Francine Simonin confirme avoir durant sa carrière «sauvé» de potentiels décrocheurs en les prenant sous son aile, parfois jusqu’à les héberger chez elle – pas vraiment un scénario qui entre dans les cases prévues par le système.

Enseignants dépassés

Des enseignants peuvent aussi se trouver dépassés par les situations. Vanessa*, qui enseigne aujourd’hui dans le Valais, s’est un moment retrouvée dans une classe avec plusieurs décrocheurs. «Je suis persuadée que, s’ils avaient été chacun dans une classe, tout aurait été différent. Et je ne pouvais pas les séparer dans la classe, car ils étaient trop nombreux à dysfonctionner. Si j’avais voulu faire de l’enseignement spécialisé, je me serais formée. Je suis enseignante pour enseigner, pas pour comprendre l’élève, prendre contact avec des psys, pour tous les élèves! Je peux le faire pour un ou deux élèves de ma classe, mais pas tous!»

Des enseignants se retrouvent aussi en porte-à-faux face à une direction ou une administration qui préfère faire partir ceux qui ne sont plus soumis à l’école obligatoire pour redonner du calme à leurs établissements, quand d’autres solutions seraient envisageables.

Et ils se retrouvent parfois coincés entre l’élève et le système, comme c’est arrivé à Vanessa à propos d’un élève décrocheur: «On savait très bien qu’il n’allait jamais sortir avec un diplôme. Mais… mais le lâcher comme ça dans la nature, non. Lui a explosé quand il a compris qu’effectivement on n’allait pas le garder. Et il s’est mis tout le monde à dos. Moi il ne voulait plus me parler, il était persuadé que j’étais la plus grande des con*****s à l’abandonner. Et ça c’était très dur pour moi parce que les enseignants ont voté, et on était deux sur onze à penser qu’il devait rester. Que pouvais-je faire avec ça?»

* Prénom modifié à la demande de la personne.

Quatre types d’élèves à risque

© (DR)
© (DR)

Catherine Blaya est directrice du Laboratoire accrochage scolaire et alliances éducatives (Lasale) à la Haute Ecole pédagogique Vaud, spécialiste du décrochage.

Y a-t-il des profils types de décrocheur?

Les experts canadiens Laurier Fortin et Michel Janosz évoquent quatre types d’élèves à risque de décrochage. Ceux qui ont des difficultés de comportement et ont des résultats au-dessous de la moyenne (50%); ceux qui sont dans un état dépressif mais avec des notes correctes, que les profs ne repèrent pas forcément, qui ne sont pas perturbateurs et vivent un fort contrôle parental et un niveau de soutien affectif bas (20-25%); ceux qui sont peu intéressés par l’école, qui peuvent avoir de bonnes performances scolaires mais estiment qu’il y a peu d’ordre et d’organisation dans la classe. Ils s’ennuient à l’école et ne sont pas soutenus par leur famille (de 10 à 15%); enfin les déviants cachés, auteurs d’infractions ou de comportements déviants dissimulés, issus de milieux familiaux peu contrôlants, aux notes légèrement sous la moyenne, mais on n’a l’impression de rien en les voyant (5%). Les notes sont loin d’être le seul indicateur du décrochage.

Les enseignants sont-ils suffisamment formés à repérer des élèves à risque?

Cette typologie n’est pas déterministe mais probabiliste, elle peut aider les enseignants. Il ne s’agit pas de mettre les élèves dans des cases mais de montrer que tous ceux qui sont à risque de décrochage ne rencontrent pas des difficultés d’apprentissage, et il est donc important d’apporter une réponse adaptée selon la situation, le groupe des élèves en décrochage étant polymorphe. La thématique du décrochage est essentielle, elle est spécifiquement abordée lors de la formation initiale et peut aussi s’approfondir en formation continue. D’autres métiers interviennent aussi en accompagnement des enseignants, cela fait quelques années que le social s’est introduit à l’école, le décrochage est un problème polymorphe et nécessite une approche multidisciplinaire avec des partenariats – par exemple pour la prise en compte des troubles «dys» ou les troubles de l’attention, un gros facteur de risque.

Y a-t-il des différences entre les filles et les garçons?

Les filles décrochent moins que les garçons, la tendance est générale dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Cela s’explique en partie par une plus grande conformité au monde scolaire et une approche plus pragmatique de l’école. Comme le montre Anne Lessard au Québec, elles sont moins affectées par la qualité des relations avec les adultes et sont là pour obtenir leur diplôme, moyen d’émancipation pour certaines.

Le problème du décrochage est-il suffisamment pris en compte aujourd’hui?

Le regard change, on a de moins en moins le discours de l’élève inadapté, et les profs ont moins peur de dire qu’ils sont en difficulté, qu’ils n’y arrivent pas. Il faut développer la culture de l’interdisciplinarité, améliorer la concertation, le travail d’équipe et construire des alliances éducatives pour une meilleure prise en compte des élèves en difficulté.

Catherine Frammery et Laurie Willommet

Laurie Willommet, lauréate impliquée

Toute cette année, Le Temps a célébré ses 20 ans en soutenant des causes. C’est dans le cadre de la cause du journalisme que nous avons lancé au printemps une bourse d’investigation dotée de 5000 francs. Nous avons reçu une vingtaine de propositions provenant de jeunes journalistes et non journalistes. Nous avons choisi le projet de Laurie Willommet parce que le décrochage scolaire pose un problème de fond à nos sociétés, et qu’il nous est apparu qu’elle était mieux armée pour l’explorer, étant elle-même face à des élèves depuis quatre ans dans l’enseignement secondaire.

© photo eddy mottaz
© photo eddy mottaz

C’est parce que l’échec d’un élève est aussi un échec pour les enseignants que la jeune prof de Vevey a eu envie d’en savoir plus. Le plus difficile pour elle a été d’obtenir des témoignages confiants et en profondeur – certaines personnes contactées se sont rétractées, d’autres n’ont pas donné suite. Une vingtaine d’entretiens de plusieurs heures, répartis sur plusieurs semaines, lui ont permis de récolter une matière très riche, dans laquelle il a fallu beaucoup tailler. La presse aussi est un moule dans lequel il n’est pas toujours facile de se couler… (CF)

Le mot de la fin à Laurie Willommet

Premières émotions passées, j’observe attentivement cet immense open space, remarque cette ébauche du journal du lendemain en attente d’être finalisée et découvre les codes de ce métier jusque-là inconnu pour moi.

Place alors à mes premières interviews, qui se sont souvent arrêtées sur un refus ou une non-réponse et m’ont fait comprendre que j’allais devoir laisser de côté ma timidité et oser, chercher, insister. Pas si évident lorsqu’on n’en a pas l’habitude.

Et c’était l’été, les gens étaient à l’étranger, le temps passait et rien n’avançait… Sans compter la sensibilité du sujet, autre aspect que je n’avais pas prévu.

Heureusement, d’un premier témoignage recueilli s’est ensuivi un deuxième, et les choses se sont mises en marche. Je suis d’ailleurs encore touchée par ces personnes qui se sont ouvertes et m’ont raconté leur histoire, sans hésitation. Je n’avais pas envisagé l’importance de leurs témoignages, ni qu’ils deviendraient le point central de cet article. Allais-je être à la hauteur de leur confiance? Et comment rassembler ces heures de récits en un article?

J’ai dû apprendre que je ne pourrais pas être exhaustive et que je devrais faire des choix. Cela a été un défi de plus durant cette belle expérience. Le résultat n’est sûrement pas parfait, je n’ai pas trouvé de solution miracle, mais j’espère tout de même qu’il permettra d’ouvrir le débat sur cette problématique et d’améliorer les choses dans le futur.

Il y a quelques mois, j’imaginais déjà que le décrochage scolaire était un point faible de notre système. J’en suis maintenant plus que convaincue.

En chiffres

L’article 41 de la Constitution fédérale stipule que «les enfants, les jeunes et les personnes en âge de travailler doivent pouvoir bénéficier d’une formation initiale et d’une formation continue correspondant à leurs aptitudes».

Depuis 2003, la proportion de 18-24 ans qui quittent prématurément l’école oscille entre 5 et 10%, mais diminue depuis 2006, selon l’Office fédéral de la statistique.

Les filles décrochent moins que les garçons, la tendance est générale dans l’ensemble des pays de l’OCDE.

Taux de 18-24 ans ayant au plus accompli la scolarité obligatoire en 2017: Suisse 4,5%; Suède 7,7%; France 8,9%; Italie 14%. Moyenne de l’UE: 10,6% (14,9% en 2007), selon Eurostat.

Les Pays-Bas ont divisé par deux le nombre de décrocheurs entre 2002 et 2012.

Seuls 10% des jeunes Suisses terminent leur scolarité sans diplôme, un taux qui baisse à 5% si on exclut des statistiques les jeunes immigrants intégrés tardivement dans le système scolaire.

Pour en savoir plus:

Un article de la revue de l'Université de Sherbrooke (Québec, Canada), où enseignait Laurier Fortin, un des spécialistes du décrochage: La grande corvée du décrochage scolaire

Les statistiques de l'OFS sur le Secondaire II

Le Canton de Genève a compulsé une série d'études  et de ressources sur le décrochage