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République dominicaine : L’interdiction de l’avortement menace la santé des femmes et des filles

La pénalisation de cette pratique porte atteinte à leurs droits fondamentaux

(Saint-Domingue) – L’interdiction absolue de l’avortement en République dominicaine met en danger la vie et la santé des femmes et représente ainsi une atteinte à leurs droits humains, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié ce jour. L’interruption volontaire de grossesse est illégale en République dominicaine en toutes circonstances, même quand la vie de la femme est en danger, le fœtus n’est pas viable ou la grossesse résulte d’un viol.

Le rapport de 78 pages, intitulé «“It’s Your Decision, It’s Your Life”: The Total Criminalization of Abortion in the Dominican Republic » (« “C’est votre décision, c’est votre vie” : La pénalisation totale de l’avortement en République dominicaine ») documente la manière dont les femmes et les filles confrontées à une grossesse non désirée recourent à des avortements clandestins, souvent au risque de leur santé et de leur vie. Un grand nombre d’entre elles souffrent de complications à la suite d’un avortement pratiqué dans des conditions insalubres et certaines en meurent. Certaines femmes et filles se trouvent confrontées à de la violence, de la négligence ou des mauvais traitements de la part de prestataires de soins de santé. L’interdiction n’est pas un frein à l’avortement mais le rend clandestin et moins sûr. Pour remplir les obligations du pays en matière de droits humains, le Congrès devrait commencer par dépénaliser l’avortement dans trois circonstances, a déclaré Human Rights Watch.

« Des femmes et des filles en République dominicaine ont toujours défié l’interdiction de l’avortement, mais elles ont été contraintes de mettre leur vie et leur santé en jeu pour interrompre leur grossesse de manière clandestine », a déclaré Margaret Wurth, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch et auteure du rapport « Le Congrès dominicain devrait dépénaliser l’avortement et garantir aux femmes et aux filles l’accès à un avortement sûr et légal, pratiqué par des professionnels formés, au lieu de les contraindre à recourir à de dangereuses méthodes clandestines. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 50 femmes et filles de quatre provinces, âgées de 15 à 43 ans qui ont toutes été enceintes au moins une fois ainsi qu’avec des dizaines de prestataires de services sanitaires et sociaux et autres experts.

Le code pénal du pays impose des peines de prison pouvant aller jusqu’à deux ans aux femmes ou aux filles qui recourent à l’avortement et jusqu’à 20 ans pour les membres du corps médical qui les pratiquent. Les poursuites sont rares mais les peines criminelles inspirent une crainte généralisée et une stigmatisation nuisible. Les peines empêchent les médecins de mettre fin à une grossesse lorsque cela serait souhaitable sur le plan médical, sans risquer leur carrière et une possible peine de prison. L’interdiction nuit de manière disproportionnée aux femmes et aux filles issues des régions pauvres et rurales qui ont moins de chances de pouvoir se rendre dans un pays où l’avortement est légal ou de trouver des services d’avortement clandestins plus sûrs.

Des recherches montrent que les lois restrictives et la répression pénale ne diminuent pas la fréquence de l’avortement. Les organes d’experts chargés d’interpréter les lois internationales sur les droits humains ont établi que le fait d’interdire aux femmes et aux filles l’accès à des services d’avortement constitue une forme de discrimination qui met en péril toute une gamme de droits humains.

Les données du Ministère de la santé publique suggèrent que près de la moitié des grossesses du pays sont involontaires ou non désirées. De nombreuses femmes et filles du pays ont déclaré s’être senties « déprimées », « terrifiées », « désespérées », ou « piégées » et sans avenir, lorsqu’elles ont découvert qu’elles étaient enceintes. Certaines ont poursuivi une grossesse non désirée en raison de leurs croyances personnelles ou de la peur d’un avortement pratiqué dans des conditions dangereuses.

D’autres ont essayé d’interrompre leur grossesse de diverses manières, notamment en prenant ou en insérant des comprimés, en utilisant des remèdes maison, en essayant de déclencher un mauvais état de santé par privation de nourriture et d’eau par exemple, en prenant des médicaments contre-indiqués pendant la grossesse ou encore en essayant d’infliger des traumatismes physiques. Une femme a déclaré s’être frappé le ventre avec un bloc de ciment.

Au moins 8 pour cent des décès maternels du pays sont la conséquence des complications entraînées par des avortements clandestins ou de fausses-couches selon le ministère de la santé publique. « Nous avons toujours reconnu que l’avortement pratiqué dans des conditions insalubres constitue un problème de santé considérable, conséquence du fait que les femmes doivent faire appel à des méthodes clandestines pour se sortir de leur situation » a déploré le Dr. José Mordán, chef du service de santé familiale du ministère.

Les complications sont entre autres, hémorragies et infection. L’utilisation du misoprostol – médicament utilisé pour déclencher le travail et soigner les ulcères d’estomac – pour l’avortement médical a diminué les risques de complications dans les pays où est refusé l’accès légal. Néanmoins, 25 000 femmes et filles consultent chaque année un médecin pour des complications liées à l’avortement ou une fausse-couche dans le système public de santé.

Rosa Hernández, une femme dominicaine photographiée devant une photo de sa fille, Rosaura Almonte Hernández, décédée en 2012 à l'âge de 16 ans. Rosaura, surnommée «Esperancita» (« petit espoir »), était enceinte et atteinte de leucémie. Les médecins ont initialement refusé de lui prescrire une chimiothérapie car pour cela il aurait fallu mettre fin à sa grossesse, ce qu’ils n’ont pas jugé possible en raison de l'interdiction de l'avortement en République dominicaine. © 2018 Tatiana Fernández Geara pour Human Rights Watch
Certaines femmes et filles disent avoir fait l’objet de négligence, de mauvais traitements et de comportement abusif par du personnel de santé lors de consultations pour des problèmes urgents de santé sexuelle et reproductive se traduisant notamment par des refus des soins, des retards déraisonnables et des soins exécutés sans anesthésie ou gestion de la douleur. La crainte de poursuites ou de mauvais traitements par le corps médical a conduit certaines à retarder une consultation ou à y renoncer à la suite de complications occasionnées par un avortement clandestin ou pendant une fausse couche.

Les législateurs de la République dominicaine débattent d’un nouveau code pénal depuis plus de vingt ans. Le Président Danilo Medina et les organisations de défense des droits des femmes demandent avec insistance la dépénalisation de l’avortement lorsque la vie de la femme ou de la fille est en danger, lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste et lorsque le fœtus présente des anomalies incompatibles avec la vie en dehors de l’utérus. Le Président a par deux fois opposé son véto à un code pénal révisé qui conservait la stricte interdiction de l’avortement mais le Congrès national a résisté à la réforme.

Les votes historiques en Irlande et en Argentine de 2018 ainsi qu’une décision marquante de dépénaliser partiellement l’avortement au Chili en 2017 ne sont que quelques exemples du progrès vers l’expansion de l’accès légal à l’avortement dans le monde. Entre 2000 et 2017, 27 pays ont élargi l’accès à l’avortement. La République dominicaine devrait rejoindre les pays déclarant que l’accès à l’avortement est un droit humain, selon Human Rights Watch.

« Le Congrès dominicain a l’occasion de promulguer des réformes du code pénal attendues de longue date et de dépénaliser l’avortement ou au moins, de le libéraliser » a conclu Margaret Wurth. « Les femmes et les filles ne devraient plus avoir à attendre que le gouvernement garantisse leurs droits sexuels et reproductifs ».

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