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Interview

Olivier Bomsel : « Disney soutient la commission pour libéraliser le marché européen de la télévision »

Olivier Bomsel, expert médias à Mines ParisTech, note que la Commission européenne est revenue à la charge, cette fois avec les studios américains, sur la territorialité des oeuvres audiovisuelles en Europe, qui sous-tend l'exception culturelle.

Olivier Bomsel, économiste, directeur de la Chaire d'économie des médias et des marques à l'école des Mines Paris Tech.
Olivier Bomsel, économiste, directeur de la Chaire d'économie des médias et des marques à l'école des Mines Paris Tech. (Sébastien Ortola/REA)

Par Nicolas Madelaine

Publié le 20 nov. 2018 à 06:15

Vous dénoncez une nouvelle tentative de la Commission de revenir sur le principe de la territorialité des oeuvres qui sous-tend l'organisation des marchés audiovisuels en Europe. Comment s'y prend-elle ?

Je ne dénonce pas, je constate. La Commission veut depuis longtemps ouvrir à la concurrence les marchés de télévision en Europe. Or, jusqu'à présent, les studios ont toujours vendu leurs programmes (films, séries) avec des clauses d'exclusivité territoriale justifiées par la nécessité de « marketer » les oeuvres dans la langue du consommateur. Mais cela pourrait changer. La Commission vient d'obtenir de Disney l'engagement de ne pas poursuivre les télévisions qui vendraient leurs services au-delà de leurs frontières - par exemple si un résident français souscrivait à Sky au Royaume-Uni. Elle vient d'envoyer un communiqué dans ce sens le 9 novembre, avec un appel à commentaires .

Disney devient donc, après Paramount, le deuxième studio à proposer une ouverture progressive des frontières. Disney venant de racheter Fox, cela fait trois studios sur six qui poussent désormais dans ce sens. En outre, l'engagement de Disney coïncide avec la validation par la Commission de cette méga-fusion. On peut se demander s'il n'y a pas eu un troc : je te valide la fusion et tu en rabats sur la territorialité. Ou l'inverse…

Le coup est d'autant plus brutal que le sujet est en attente de jugement devant la Cour européenne de justice où Sky plaide pour une territorialité rigoureuse. Or, si les ayants droit lâchent, la territorialité tombera. Ajoutons que la manoeuvre de la Commission va à l'encontre du compromis trouvé par le législateur européen dans trois règlements récents - cabsat, géoblocage et portabilité. En Europe, seule la portabilité des services en ligne - le fait que je puisse continuer à regarder Netflix France quand je suis en vacances en Italie - est imposée. Aller au-delà fragilise l'écosystème du financement des oeuvres par la télévision .

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Disney n'a-t-il pas de toute façon changé de camp en se préparant à lancer un service « direct-to-consumer » de type Netflix ? Sky lui-même n'a-t-il pas changé de camp en étant racheté par Comcast ?

Si, et c'est pour ça que Disney a cédé à la Commission. Les succès foudroyants de Netflix (137 millions d'abonnés) et d'Amazon Prime (100 millions) ont convaincu les studios qu'il fallait urgemment changer de modèle et passer à la vente directe au consommateur. En gros, le métier de « B to B » des studios va devenir un métier de « B to C ».

C'est une transformation radicale qui impose de revoir toutes les règles de distribution. Protéger la télévision n'est plus une priorité. Le modèle intégré de la vente directe sur Internet s'avère incontournable. Et l'histoire va très vite. La validation de la fusion Disney-Fox par la Commission montre que le poids relatif des Gafa plus Netflix est devenu tel que le rapprochement de deux vieilles majors n'est plus jugé anticoncurrentiel. On a changé d'époque.

En quoi cette réaction des studios change-t-elle la donne sur le marché de la télévision payante en France ?

A court terme, le pouvoir de marché de la pay-TV s'effrite. Elle n'est plus exclusive pour le consommateur. Ses grands fournisseurs ont moins besoin d'elle. Canal et Orange perdent en capacité de négociation face aux studios de cinéma et aux chaînes-studios payants (HBO pour Orange). Les chaînes françaises vont avoir moins de programmes, pour plus cher.

Mais, surtout, c'est le modèle économique qui est atteint . Le système français s'est construit sur le cloisonnement de la production et de la distribution alors même que les distributeurs finançaient les programmes. Aujourd'hui encore, l'Autorité de la concurrence interdit à Canal de distribuer son catalogue en exclusivité sur sa plate-forme de SVoD. Ces règles sont incompatibles avec la prévalence du B to C. Et Bruxelles n'y peut rien. Tout va trop vite.

Le maintien des règles de désintégration de la production et de la distribution, même dans une chronologie resserrée des médias , empêche les champions nationaux de basculer vers le nouveau modèle. Le blocage est franco-français. Seul le politique a la main. Chaque jour perdu affaiblit tout le secteur.

Nicolas Madelaine

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