Arletty et son soldat nazi, l’histoire d’amour qui enflamma la France sous l’Occupation

Elle avait 42 ans, lui en avait 32. Elle était la plus grande actrice française, lui un commandant allemand de la Wehrmacht. Jusqu’en 1949, Arletty et Soehring se sont aimés d’un amour aussi dévorant qu’impossible, sans se soucier de l’opinion publique. Leur correspondance, toute aussi passionnée, vient d’être rassemblée et éditée. Récit.
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Arletty et Soehring à cheval dans le parc du château de Candé (Indre-et-Loire) en avril 1942. Elle s’entraînait à monter à cheval avec lui en prévision du film Les Visiteurs du soir.DR/Éditions Cherche Midi

« Chérie, je t’embrasse pour te dire que Faune pense toujours à sa biche et qu’il passe ses nuits à rêver d’elle. » Souvent séparés, Arletty et Soehring ne pouvaient que s’écrire pour continuer à s’aimer. Ces nouveaux Héloïse et Abélard – qui tantôt cachaient leur liaison, tantôt l’exhibaient – ont donc entretenu une longue correspondance de juillet 1942, lors de leur premier éloignement forcé, à juillet 1949, date de la dernière lettre retrouvée par Denis Demonpion. En réunissant ces nombreuses missives, l’historien émérite – prix Goncourt de la biographie en 2018 pour son Salinger intime – dessine les hauts et les bas de cette passion souvent heureuse, parfois malheureuse, toujours dévorante, mais surtout sulfureuse et mal vue dans la France occupée.

Les Enfants du paradis

Comme si leur vie était un roman, l’actrice et l’officier allemand se rencontrent lors d’un concert, salle du Conservatoire, à Paris. On y joue alors des mélodies du compositeur romantique Emmanuel Chabrier. La soirée est chic et gaie. Ce 25 mars 1941, un certain Paris mondain a recommencé à s’amuser, en s’accoutumant à l’ennemi. Arletty y retrouve son amie Josée Laval, épouse du comte de Chambrun, qui lui présente le fameux Hans Jürgen Soehring, assesseur au tribunal militaire de la Luftwaffe en zone occupée. « Je fis la connaissance d’un jeune homme singulièrement beau et d’une parfaite indifférence qui devait bouleverser ma vie », écrira plus tard Arletty. Comment oublier un tel physique ? Cet homme de 32 ans – elle en a 42 – a les épaules larges, la mâchoire carrée, le regard pénétrant, et ses oreilles… Ah ! Ses oreilles ont une forme si particulière, coupées en pointe. Ce qui lui vaudra son doux surnom : l’éprise Arletty l’appellera « Faune ». En retour, il la nommera « Biche ». Deux sobriquets qui, en plus d’être bucoliques, leur permettront de se montrer discrets. Soehring parle – et écrit – un français parfait. Il aime d’ailleurs lire les grands auteurs dans la langue de Molière.

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John Springer Collection/Getty Images

Il s’avère être un épistolier effréné. Dès qu’il est séparé de son aimée, il la couvre de courriers, dépêchés par « une cohorte d’émissaires, tous plus dévoués les uns que les autres. » Si les deux premières années de leur relation, les deux amoureux ne se quittent quasiment jamais – lui s’est même rapidement installé dans l’appartement du VIe arrondissement de l’actrice –, dès 1943, les absences seront de plus en plus régulières. Arletty, grande star du cinéma français, enchaîne les tournages, à Paris ou à Nice, dans les studios de la Victorine. Soehring, lui, est envoyé sur le front, comme au début de l’année 44, en Italie, pour la bataille de Monte Cassino. Loin de la réalité de la guerre, Arletty s’inquiète pour la vie de son amant.

Ni vous sans moi, ni moi sans vous…

Soehring n’est jamais avare en déclarations d’amour et en doux qualificatifs. Sa « beauté » lui est indispensable : « Tu me faux (sic), Biche, comme il me faut de l’eau et de l’air. », lui écrit-il dans un français parfois fautif. La grande Arletty, plus pragmatique, le couvre de cadeaux – glisse un carré Hermès ou une chaîne Cartier dans les paquets – et lui raconte son quotidien de célébrité, où se croisent Simone Signoret et Sacha Guitry.

Puis le clairon de la Libération vient à sonner. Le 17 août 1944, deux jours avant que Paris se soulève contre l’occupant, Arletty prend la plume : « Faune, je t’ai donné les preuves les plus grandes de mon amour. Je veux que tu sois fier de mon courage. Je suis très forte, Je t’aime. Je me suspends à ton cou telle une misérable guenon. Ne quitte pas ta Biche. » Cette lettre restera sans réponse… Se sachant surveillée par la police, l’actrice quitte son appartement pour aller s’installer à l’hôtel. En octobre 1944, elle y est arrêtée puis longuement interrogée, sur « son activité d’artiste pendant l’Occupation » mais aussi sur sa proximité avec le commandant Soehring. « J’ai correspondu assez fréquemment avec lui. Mes relations avec le commandant Soehring ont toujours été d’ordre purement sentimental, il n’était jamais question entre nous des évènements militaires. », explique-t-elle. On lui prête aussi cette réplique, propre à sa légendaire gouaille : « Mon cœur est français, mais mon cul est international. » Ces mots ne seraient finalement pas d’elle, mais d’Henri Jeanson, le dialoguiste d’Hôtel du Nord, qui l’a bien connue.

Toutes ces épreuves n’ont pas entamé l’amour que porte Arletty à Soehring. Le 29 décembre 1945, après plus d'un an de si long silence, elle lui envoie un billet – « Faune, rien au monde… » – tout simplement. Lui, de retour en Allemagne, se rêvant désormais en dramaturge, n’a pas non plus oublié sa Biche. Il lui répond quelques jours plus tard : « Viens, si jamais tu peux. Tu te rappelles : Courage et Confiance ? Ta pierre est sur mon cœur. Tu as été tu es et tu seras toujours la seule et unique à la remplacer. Je te chéri (sic) »

Arletty viendra, plusieurs fois même, mais rien ne sera plus jamais comme avant. Encore quelques missives enflammées, mais chacun reprend le cours de sa vie, de chaque côté du Rhin. La dernière lettre retrouvée, signée de la main d’Arletty et datée du 10 juillet 1949, se termine tout de même ainsi : « Je te vois, tu sais ! et je ris de tous ces pitres puisqu’envers et contre tout je t’aime, simplement. » Une autre femme – Hanni, petite étudiante rencontrée à Munich – s’invite dans la vie de Soehring. À Paris, Arletty s’ennuie. Elle n’intéresse plus autant les réalisateurs et les metteurs en scène, ni peut-être même plus les hommes… Elle se retire dans un immense appartement du XVIe arrondissement où elle « vivra solitaire et sans bonheur. »

Le 9 octobre 1960, Arletty apprend la mort de son aimé. Alors en répétitions au théâtre de la Renaissance, elle marque la date d’une croix rouge dans son agenda, suivie de cette note : « 20 ans après. » Hans Jürgen Soehring avait alors 52 ans, et s’était installé au Congo, avec femme et enfants, où il avait été nommé ambassadeur d'Allemagne à Léopoldville. Après un pique-nique en famille, il était allé se baigner dans le fleuve et s’était noyé. La presse française rapporte le terrible accident, sans jamais mentionner sa bouillonnante passion avec l’ex-star de cinéma, l’événement de sa vie. Pourtant, jusqu’à sa mort le 23 juillet 1992, la grande Arletty ne saura plus aimer.

**À lire absolument :**Arletty Soehring, Hélas ! Je t'aime, Correspondance inédite établie par Denis Demonpion, Le Cherche Midi, 560 p., 24,90 €.

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Sunset Boulevard/Getty Images