Des dessins réalisés par les enfants des familles syriennes accueillies dans un logement social, à Jumilhac-le-Grand en Dordogne, le 17 septembre 2015

Selon l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED), les assistants familiaux sont passés de 50 000 en 2012 à 38 300 en 2015.

afp.com/Thibaud MORITZ

"Quand on débute, on s'attend à voir arriver un enfant avec un petit sac sur le dos, un doudou sous le bras, comme dans un film. Et puis finalement, on se prend la misère en pleine figure." Sophie*, 63 ans, est "famille d'accueil" depuis dix ans. Dix enfants ont séjourné chez elle, en Haute-Garonne. Entre 200 et 250, si l'on compte ceux accueillis le temps d'un week-end ou pour les vacances.

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Des gamins que la justice a séparés de leur famille biologique. Des handicapés mentaux ou physiques, des enfants abusés, battus, malnutris, "fracassés par la vie"... "Voleur, fiché S, prostitué, toxico, cambrioleur, j'ai eu tout le gratin que personne ne veut, mais dans ma maison ils se sont toujours bien tenus", assure Sophie. Son rôle : "Leur donner de l'amour. Pas les sauver, mais faire un bout de chemin avec eux." Comme la plupart des assistants familiaux, les enfants de Sophie étaient déjà grands lorsqu'elle s'est lancée dans le métier. Un métier qu'elle aime, et qu'elle n'arrêtera pas tant qu'elle aura le sentiment d'apporter "quelque chose" à ces bambins.

"A bout"

Pourtant, depuis quelque temps, "tout est devenu plus difficile". "On nous confie des enfants maltraités, mais on nous maltraite aussi d'une certaine façon", lance Sophie. Partout dans le pays, le même écho : les assistants familiaux sont "épuisés", "lessivées", "à bout". Résultat, la pénurie guette. Le vivier de ces discrets parents de substitution, dont les trois-quarts ont entre 55 et 65 ans, peine à se renouveler, entre ceux qui abandonnent, ceux qui partent à la retraite et le peu de candidats.

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Selon l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED), les assistants familiaux sont passés de 50 000 en 2012 à 38 300 en 2015. Dans le même temps, malgré une lente mais régulière diminution - moins 5% depuis 2013 - la famille d'accueil reste le mode d'hébergement le plus fréquent : la moitié des enfants confiés à l'Aide sociale à l'enfance sont hébergés en familles d'accueil, soit 75 000 enfants. "Cette pénurie n'est pas nouvelle, mais a tendance à s'amplifier", souligne Didier Lesueur, direction général de l'Observatoire d'action sociale décentralisée. Responsabilité et contraintes du métier rebutent : "Aujourd'hui, les jeunes peinent à imaginer que l'on puisse se consacrer 24 heures sur 24 à un emploi."

365 jours par an, jour et nuit

Arrêts maladie, burn-out, divorces, démissions, "c'est en train de péter partout, c'est dramatique, assure Sabine Carme, présidente du Syndicat professionnel des assistants familiaux. Les politiques n'ont pas envie de sauver l'accueil familial. C'est sûr que pour séduire des électeurs, il vaut mieux construire une belle route."

Assistante familiale dans les Hauts-de-France, Isabelle voit son métier comme "un sacerdoce". Une vocation qui habitait déjà sa mère. A 53 ans, elle s'occupe de deux enfants, "365 jours par an, jour et nuit", et ne se souvient pas ce que signifie "partir en week-end", faute de possibilités de relais dans d'autres familles. "C'est de la maltraitance institutionnelle et tout le monde ferme les yeux, parce que l'on est moins cher et plus rentable que les éducateurs en foyer", soupire-t-elle.

Le métier a été professionnalisé en 2005. Néanmoins, le statut de ces substituts parentaux reste paradoxal : reconnus comme travailleurs sociaux mais sans les avantages du salariat, ils sont diplômés de l'Etat tout en étant payés selon des critères propres à chaque département, avec des différences pouvant atteindre 30%.

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En moyenne, le salaire mensuel d'un assistant familial est de 1 171 euros brut par mois pour le premier enfant, 1 854 euros pour deux enfants et 2 537 euros pour trois. S'ajoutent également des remboursements de frais. La ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a d'ailleurs annoncé ce mardi que le gouvernement envisageait de mettre en place une prise en charge à 100 % des frais de santé des enfants placés.

Ce qui ne changera pas totalement la donne. Sophie y va de sa poche pour "les petits cadeaux" ou les cours particuliers de mathématiques, son "petit plaisir". Julien, 46 ans, est assistant dans l'Hérault. Quand il veut partir en vacances avec les trois enfants dont il s'occupe, une somme de 6 euros lui est allouée tous les jours pour financer un hébergement, "un tarif qui n'autorise rien". Une fois par an, il avait pris l'habitude de louer une maison pendant quinze jours avec tous les enfants dont il s'était occupé au cours de l'année : "J'ai arrêté au bout de trois ans, je payais pour travailler."

"On fait du remplissage"

Isabelle reçoit quotidiennement 12,5 euros pour payer les charges - eau, électricité, chauffage, ainsi que les repas, l'entretien, les loisirs des enfants. "Je suis à l'os à la fin de chaque mois, explique-t-elle. Quand vous n'avez qu'un enfant cela n'est pas rentable." "On fait du remplissage, abonde Sandrine Carme. On peut prendre des enfants parce que cela rapporte mais dans ces cas-là, on ne fait plus de l'accueil." La limite légale est fixée à trois enfants par assistant, un quatrième de manière transitoire. Certains acceptent cependant d'en accueillir cinq ou six. Cet été, une famille de Roubaix a dû accueillir quatorze enfants en même temps.

Dans le Nord, après la fermeture de 700 places en foyer ces trois dernières années, la suppression des colonies de vacances pour les enfants placés cet été, et des budgets en baisse à tous les étages, les situations dramatiques comme celle-ci se multiplient. Il y a cette fratrie de quatre enfants qui, cet été, a attendu un mois avant d'être placée malgré une décision judiciaire. Lucas, un nourrisson, qui a passé près de deux mois dans la maternité où il a vu le jour en septembre. Un petit garçon de 8 ans, aux troubles du comportement préoccupants, déposé un matin devant la porte des éducateurs par une famille d'accueil dépassée et dont les alertes n'avaient pas été entendues. Cet enfant, en danger dans sa famille, y est pourtant reparti. Comme Malo, 14 ans, qui doit rester vivre avec sa mère suicidaire, faute de place dans une famille d'accueil.

"On a le choix entre être hors-la-loi en déposant les enfants dans des familles d'accueil surchargées, ou être hors-la-loi en les laissant chez leurs parents", concède Marie, éducatrice depuis quatorze ans à l'Aide sociale à l'enfance de Tourcoing-Mouvaux. Début octobre, un mouvement de grève des travailleurs médico-sociaux a débuté à Tourcoing. Ils accusent le département de "non-assistance à enfants en danger". Depuis ce mouvement a pris de l'ampleur dans tout le département. "Cet été, le système a connu une "saturation totale des structures d'accueil, les familles ont permis que des enfants ne se retrouvent pas à la rue", assure Marie qui suit 40 enfants. Elle ne peut consacrer à chacun que trois heures par mois. Trois heures pour les aider à se bâtir un avenir, c'est très peu. "Cela relève du miracle", concède-t-elle.

"Les enfants arrivent de plus en plus cassés"

Les exécutions de placements tournent au ralenti. Les enfants sortent, eux, de plus en plus tard de leur famille, par mesure d'économie ou parce que la politique de protection de l'enfance veut désormais que les liens soient davantage maintenus. Résultat, les familles d'accueil récupèrent des enfants cabossés, les "incasables". "Les enfants arrivent de plus en plus cassés, ils sont de plus en plus dur à gérer", résume Sophie. Troubles du comportement, de la sexualité, violence, drogue, alcool, les assistants familiaux doivent gérer des situations toujours plus délicates. "Certains auraient besoin d'un accueil thérapeutique, ce n'est pas possible dans les foyers, donc on les met chez nous", ajoute Sabine Carme.

"On est soutenu, mais pas intégrés aux équipes et dans le parcours éducatif de l'enfant", ajoute Julien qui, comme beaucoup, se sent "mis à l'écart". Les assistants familiaux n'ont pas accès aux dossiers des gamins placés chez eux, et n'entrent pas dans le bureau du juge pour la visite annuelle de l'enfant. "On est avec les jeunes au quotidien, on voit leurs progrès, même les plus infimes, leurs retours en arrière, c'est dommage de se couper d'un possible diagnostic", pense Julien pour qui "cette crise des vocations est d'abord une crise de tout le secteur social". "Et notre métier, ajoute-t-il, la prend de plein fouet."

* Tous les prénoms ont été modifiés.

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