Vu d'Athènes

Non, la Grèce ne proposera pas de sites archéologiques en garantie à ses créanciers européens

Plusieurs médias français ont évoqué la vente potentielle de la part d'Athènes de sites antiques. Une controverse qui a occupé les médias grecs en septembre et octobre, et déjà oubliée…
par Fabien Perrier, Correspondant à Athènes
publié le 21 novembre 2018 à 18h37

Le palais de Cnossos, en Crète, à l'origine du mythique labyrinthe du Minotaure, et le tumulus du roi Philippe II de Macédoine, père d'Alexandre le Grand, situé à Vergina, dans le nord de la Grèce, partageraient «la même destinée» : ils seraient «tous deux appelés à être vendus», selon le Figaro. A différentes reprises, France Inter, RTL ou encore France 2 se sont fait l'écho de cette nouvelle. Qu'en est-il exactement ? Pour comprendre ce qui se joue, il faut d'abord remonter au mois de juin.

A cette période de l’année, le gouvernement grec prépare la fin de sa mise sous tutelle de la troïka que forment la Commission européenne, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne. C’est la «sortie des mémorandums», accords comportant les réformes à appliquer en échange de prêts pour éviter le défaut de paiement. Mené par Aléxis Tsípras et alliant Syriza, la gauche radicale, aux Grecs indépendants, un parti de droite souverainiste, le gouvernement doit donner alors des garanties aux créanciers européens avec la perspective de recettes futures pour le pays. Le 19 juin, il réalise donc une liste de 10 119 biens qui doivent être transférés à un fonds en charge de leur valorisation, l’Etad, ou société immobilière publique. Cette liste ne comporte aucun nom, mais une série de codes qui correspondent à des propriétés de l’Etat grec.

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Cette liste inquiète les archéologues. La présidente de l'association des archéologues de Grèce, Stamatia Marketou, évoque «des zones d'ombre». Certains lots comporteraient des sites archéologiques. Et l'archéologue d'ajouter : «Nous voulons que les sites archéologiques soient exclus nommément. Or nous n'avons pas encore de réponse du ministère de l'Economie. Nous avons déposé une requête au Conseil d'Etat.» La décision devrait tomber d'ici peu.

Emballement

De son côté, le ministère de la Culture reconnaît que cette liste peut recouvrer des sites mais insiste : «Dans la décision du ministère, publiée au Journal officiel, il est spécifié que ces biens sont transférés à l'Etad à l'exception des sites archéologiques, des musées, des zones naturelles Natura 2000, des plages, des zones forestières.» Autrement dit, les biens de ce type ne peuvent pas être gérés par ce fonds de valorisation. Un membre du ministère ajoute : «Nous avons dû transmettre une liste de biens à valoriser. En Grèce, le cadastre n'est pas encore achevé… C'est justement pour nous prémunir que les biens soient transférés que nous avons spécifié les exclusions.» Elle rappelle qu'en 2011, «71 000 biens grecs ont été transférés, sans précaution». Ajoutant : «Peu de temps après son arrivée au pouvoir, en 2016, le gouvernement de Syriza a d'ailleurs fait passer une loi énumérant ces exclusions». En outre, l'article 24 de la Constitution grecque, qui impose la protection de l'héritage culturel du pays, comprend ces sites afin d'en assurer la protection et la transmission aux générations futures. Une source ministérielle affirme à Libération : «Nous travaillons actuellement sur la liste que nous allons publier sans tarder.» Contactée, la société immobilière publique confirme qu'aucun bien tels que les sites archéologiques ne peuvent lui être transférés. Elle renvoie à un communiqué en anglais, daté du 22 septembre.

Car en Grèce, la controverse date… et semble même oubliée. Elle a occupé les médias au mois de septembre et d'octobre. En France, la polémique a resurgi le 15 novembre, le jour même où François Hollande arrivait en Grèce pour rappeler, notamment, le soutien qu'il dit avoir apporté à Aléxis Tsípras lors de la négociation du troisième mémorandum en juillet 2015. A qui sert cet emballement médiatique ? En tout cas, même les archéologues se demandent pourquoi la polémique prend cette ampleur en France en ce moment.

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