Interview

Le «Green Friday», un anti-«Black Friday» pour «responsabiliser» le consommateur

Un collectif veut transformer la journée de super soldes post-Thanksgiving en un rendez-vous de la lutte contre l’hyperconsommation. 150 entreprises françaises se sont engagées à ne pratiquer aucun rabais ce vendredi, explique la présidente du mouvement, Anémone Bérès, à «Libération».
par Juliette Deborde
publié le 21 novembre 2018 à 16h50

Faire d'un symbole de notre frénésie consumériste une journée de sensibilisation à une consommation plus responsable : c'est l'ambition du mouvement «Green Friday», né l'année dernière en réaction au «Black Friday», cette journée de promos massives proposées aux Américains au lendemain de Thanksgiving. Une tradition commerciale récemment importée en France qui implique une surproduction de biens voraces en ressources et «une course au moins-disant social et environnemental»,dénonce le collectif, qui veut, à la place, profiter de ce 23 novembre pour faire découvrir d'autres modes de consommation (ou de non-consommation) pour limiter le gaspillage : réparer plutôt que jeter, encourager l'achat d'occasion ou local, allonger la durée de vie des produits… Des alternatives plus durables que le consommateur a le pouvoir de privilégier aux achats compulsifs, explique à Libération Anémone Bérès, présidente de l'association Green Friday et du réseau Envie, qui regroupe une cinquantaine de structures engagées dans l'économie circulaire, à l'initiative de cet événement «écocitoyen» avec cinq autres membres, dont Emmaüs et Ethiquable.

Comment est né le Green Friday ?

Nous avons initié ce mouvement en 2017, avec le sentiment qu'il fallait lancer l'alerte sur cette journée du Black Friday, qui prend malheureusement de l'importance en France et s'installe peu à peu comme un nouveau rite d'une consommation irresponsable. Lors de la première édition, à laquelle les 45 magasins Envie ont participé, avec l'organisation d'ateliers, on a compris que l'on touchait quelque chose qui parlait à plus de monde que notre réseau. Le mouvement s'est agrandi en 2018, avec notamment le soutien de la mairie de Paris, et l'engagement de plusieurs élus.

Pour nous qui sommes mobilisés depuis plus de trente ans sur les enjeux sociaux et environnementaux, l'idée est de se saisir de cette journée pour accélérer une prise de conscience, montrer au public qu'il existe des alternatives de consommation plus durables, permettre à chacun de s'emparer de son pouvoir de choisir à travers son pouvoir de consommer.

En quoi consiste concrètement l’initiative ?

Les entreprises qui nous rejoignent s'engagent à ne pas proposer de promotions à leurs clients le jour du Black Friday. Elles doivent aussi reverser une partie du produit de leurs ventes à des associations engagées pour une consommation responsable [comme HOP, une association luttant contre l'obsolescence programmée, ou Zero Waste, ndlr]. Certains participants organisent aussi des actions de sensibilisation à la consommation responsable à cette occasion : ateliers de couture à Emmaüs défi, ateliers de do it yourself dans les magasins Altermundi, cours de réparation dans le réseau Envie… L'idée est d'inciter le consommateur à agir pour une consommation plus responsable et plus respectueuse de la planète.

Pour l'instant, 150 structures participent [Café Michel, Ordi solidaire, Prêt à pousser, Lamazuna, Ressourcerie créative, la Textilerie, Extramuros, SoliCycle, etc.]. Ce sont des entreprises éthiques, qui sont soit directement engagées dans des actions de réemploi, dans le commerce équitable, dans l'insertion sociale, dans la production de produits issus de l'agriculture biologique, dans la production économe en ressources…

Est-ce pour autant possible de résister aux sollicitations commerciales dans notre société de consommation ?

On peut passer devant une promotion sans se sentir obligé d'y céder ! Avant de se ruer sur les promotions, qui en plus ne sont pas forcément significatives [l'UFC-Que Choisir a montré en 2015 que les rabais étaient souvent modestes], il faut inciter les consommateurs à davantage se poser la question : «Est-ce que j'en ai vraiment besoin ?» L'idée n'est ni de pointer du doigt, ni de culpabiliser les consommateurs. Tout est une question de responsabilisation. Aujourd'hui, chaque Français consomme 60 % de produits textiles de plus qu'il y a quinze ans, et les conserve deux fois moins longtemps. Est-ce une nécessité absolue ?

On est dans un modèle d'économie linéaire : on produit, on consomme, on jette. Notre action, c'est de prouver au quotidien qu'il est possible d'aller vers un modèle d'économie circulaire, un modèle respectueux du social et de l'environnement. Ce modèle n'est pas dominant, pas forcément généralisable, il ne s'agit pas de dire que tout le monde doit le suivre, mais simplement que chacun peut faire mieux, à son échelle.

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