Photo d'un enfant dans le rapport du Défenseur des droits. Crédit : defenseurdesdroits.fr
Photo d'un enfant dans le rapport du Défenseur des droits. Crédit : defenseurdesdroits.fr

À l’occasion de la Journée mondiale de l’Enfance, le Défenseur des droits a publié, mardi 20 novembre, un rapport appelant à un meilleur respect des droits des enfants de 0 à 6 ans en France. Il préconise notamment l’interdiction du placement en centre de rétention des familles avec enfants, arguant que l’enfermement peut avoir de graves conséquences sur la santé des plus jeunes.

“Troubles anxieux et dépressifs”, “troubles du sommeil, du langage et du développement”, “état de stress post-traumatique”... Jacques Toubon, le Défenseur des droits de la République française, est affirmatif : les enfants de migrants subissent de plein fouet, tout comme leurs parents, les conséquences d’un placement en centre de rétention administrative  (CRA), et ce même si l’enfermement est de courte durée ou si l’enfant n’est pas en âge de se souvenir.

Dans un rapport rendu public le 20 novembre à l’occasion de la Journée mondiale de l’Enfance, le Défenseur des droits recommande donc au gouvernement et au Parlement “de proscrire, dans toutes circonstances, le placement de familles avec enfants” en CRA.

>> Consultez le rapport du Défenseur des droits

“Les effets dramatiques [de l’enfermement] sont souvent ignorés par les préfectures”, peut-on lire. Le document de 80 pages fait notamment état d’une affaire récente durant laquelle le Défenseur des droits s’est vu répondre par une préfecture que “l’âge de l’enfant [de 7 mois] ne lui permettait pas une complète appréhension de la situation, susceptible d’avoir un impact sur son évolution psychologique”. Cela reflète, selon le rapport, “une méconnaissance grave des besoins de l’enfant, de ces stades de développement et plus généralement un déni de leurs droits et de leur intérêt supérieur.”

“Des enfants en pleurs, prostrés ou qui ne s’alimentent plus”

La Cimade va encore plus loin estimant que cet argument relève “de l’âge de pierre” et constitue “un déni incroyable” car “tout le monde sait de nos jours qu’un bébé ou même un fœtus peut être affecté par son environnement. Personne n’irait exposer volontairement son nourrisson à un contexte traumatique !”, rétorque David Rohi spécialiste des questions de rétention à la Cimade, joint par InfoMigrants. Il affirme que les conséquences de la rétention, même pour quelques heures, est très “délétère” pour la santé de l’enfant. “Nos équipes présentes en CRA ont déjà observé des enfants en pleurs ou prostrés, d’autres qui ne s’alimentent plus, certains qui urinent au lit. Parfois même, nous avons vu des femmes qui ne parvenaient plus à produire du lait pour nourrir leur bébé”, raconte-t-il.

Selon Omar Guerrero, psychologue clinicien et psychanalyste au centre Primo Levi, l’enfermement peut entraîner des séquelles immédiates sur la santé physique et psychique de l’enfant : mutisme, eczéma, dépression, crises d’angoisse, repli sur soi, ou à l’inverse violences. "Ce que j’observe le plus chez mes patients se sont les effets post-traumatiques de l’enfermement. Ces enfants, que la police est souvent venue chercher avec leurs parents, gardent en mémoire qu’il s’est passé quelque chose de grave. Ils se souviennent plus des policiers français, que des horreurs de leur pays d’origine, d’un Kadyrov (président de la Tchétchénie) ou un Kabila (président de la République démocratique du Congo)”, explique-t-il à InfoMigrants.

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Une fois l’incompréhension et le choc absorbés, des effets à moyen terme peuvent aussi apparaître, affirme le clinicien. “Lorsqu’une famille est enfermée ensemble, on constate un effacement de génération : les enfants se sentent logés à la même enseigne, on sape l’autorité parentale puisque les parents ne sont plus décideurs”, affirme-t-il, ajoutant qu’il faut parfois des années pour que les parents réussissent à retrouver leur place. En manque de repères et d’autorité parentale, certains jeunes dérapent, basculent dans la violence voire les idéaux extrémistes, regrette le spécialiste. “En enfermant ces enfants, on se met nous-mêmes des bâtons dans les roues pour l’avenir”, résume-t-il.

Son conseil : “Cela peut paraître simple, mais il faut parler aux enfants, leur dire que c’est une situation temporaire, que l’on va quitter ce lieu et surtout qu’ils n’ont rien fait de mal. Il s’agit de rassurer les enfants, faire descendre leur angoisse, en leur montrant que leurs parents s’occupent de la situation.” Un comportement à adopter aussi envers les tout petits qui ne seraient pas en âge de comprendre mais qui ressentent tout : “Si votre bébé vous entend pleurer ou crier, il peut se mettre à arrêter de manger par exemple. On a déjà vu des cas d’anémie du nourrisson. Il faut donc que les parents en CRA préservent une bulle de protection pour leur petit. Par exemple avec des chansons, des berceuses ou tout simplement la prosodie de notre parole.“

Plus de 300 enfants enfermés en 2017

Bien que la France ait été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour "traitement inhumain et dégradant", cette pratique demeure. Elle semble même repartir à la hausse après avoir connu un fort ralentissement au lendemain de la première condamnation de la CEDH en 2012.

Graphique du nombre denfants placs en CRA Crdit  La CimadeL’année dernière, 304 enfants ont été enfermés en CRA, indique la Cimade. Au 15 novembre 2018, on en dénombrait 171. “Jamais le placement en rétention n’a été utilisé aussi massivement. L’explosion du nombre d’enfants enfermés est en partie une question de logistique policière : on arrête les familles à la veille de leur expulsion afin de faciliter leur transfert vers l’aéroport ou la gare”, explique David Rohi de la Cimade. “Le placement en rétention n’est pas une fatalité, d’ailleurs une minorité de préfectures utilise cet outil : celles de Paris, du Doubs et de la Moselle”, poursuit David Rohi, ajoutant qu’il s’agissait finalement d’un phénomène assez “marginal” et tout à fait évitable au regard des quelque 100 000 obligations de quitter le territoire émises chaque année par les préfectures.

Le risque de l’assignation à résidence sur les enfants

La Cimade met aussi en garde contre l’assignation à résidence, seule alternative à l’enfermement en CRA utilisée en France aujourd’hui, d’après plusieurs associations. Une mesure qui “restreint la liberté d’aller et venir des personnes et génère une situation d’incertitude et de précarité qui a un impact non négligeable sur les enfants. (...) L’assignation ne préserve pas non plus les enfants du risque d’être confrontés à des événements traumatisants y compris parfois à la violence des interpellations et à celle de l’embarquement sous contrainte de leurs parents”, peut-on lire dans un communiqué co-signé par une quinzaine d’associations et publié le 15 novembre.

Une pétition lancée par la Cimade demandant au président Emmanuel Macron de mettre un terme au placement des familles avec enfant en CRA a reçu plus de 140 000 signatures à ce jour, un record pour l’association. Cette dernière ainsi que la quinzaine d’autres co-signataires espèrent désormais que cette mobilisation pèsera dans les discussions du groupe de travail parlementaire de la majorité qui travaille depuis quelques semaines à l’élaboration d’une proposition de loi sur la rétention des publics vulnérables.

 

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