Guy Mamou-Mani, costume trois pièces impeccable, pochette et cravate assorties, rosette à la boutonnière, devrait être un entrepreneur comblé. Open, le groupe qu’il codirige depuis de nombreuses années, connaît une belle croissance. Bénéfice, chiffre d’affaires, tout est en croissance. Son métier? Accompagner les entreprises dans leur transformation industrielle et numérique. En 2017, le chiffre d’affaires s’élevait à 314 millions d’euros et le groupe emploie aujourd’hui 4.100 personnes.
Pourtant, Guy Mamou-Mani souffre. Certes, son cours de bourse est malmené, en perte de plus de 30% depuis la rentrée. «Pas grave, balaie-t-il d’un revers de la main, les fondamentaux sont bons, les valeurs technologiques sont en baisse mais en ce qui nous concerne, ce sont pour des raisons exogènes. Je n’ai pas d’inquiétude à ce sujet.» Son mal est plus profond. Et plus difficile à guérir. Il veut embaucher. Em-Bau-Cher.
Un besoin de 230.000 personnes sur dix ans
Dans un pays où le chômage est endémique, la proposition devrait satisfaire beaucoup de monde. «Cette année, explique-t-il, Open a embauché 500 personnes. Mais 500 personnes sont parties. Nous avons de quoi embaucher 1.000 personnes de plus, là, tout de suite. Impossible, nous ne trouvons pas les ressources. Il y a pénurie. La France a un déficit structurel, poursuit Guy Mamou-Mani, nous payons une carence dans la formation.»
L’ancien professeur de mathématique sort sa calculette pour expliquer que les besoins des ESN (entreprise de service du numérique) sont de 230.000 personnes en dix ans. «Selon l’OPIIEC, rappelle-t-il, les entreprises du numérique auront un besoin de 23.000 recrutements par an pendant 10 ans, avec les besoins des autres entreprises qui ont des services informatiques internes, on arrive à 50.000 postes à pourvoir chaque année. La France forme 40.000 ingénieurs par an. 16% font de l’informatique. Ca fait 6.400! Même si l’on y ajoute les formations supplémentaires (Universités, DUT, Grandes écoles du numérique..) on est loin du compte.» Résultat, on pourrait recruter trois fois plus d’ingénieurs. Les candidats sont là, les talents sont là, mais la formation est absente.
Manque d’étudiants
Il cite l’exemple de Telecom Paris Tech qui pourrait recruter trois fois plus d’étudiants et qui ne le fait pas pour des raisons budgétaires. Il fustige la politique de la formation universitaire et supérieure qui, selon lui, ne flèche pas suffisamment les besoins de la société. «Il faut limiter l’accès aux filières qui ne débouchent pas sur un emploi, explique-t-il et inciter les conseillers d’orientation à proposer les filières en pénurie d’emploi aux élèves, dès le lycée. Pourquoi y a-t-il aussi peu de candidats dans ces filières? Ce n’est pas normal.»
Quant aux Cassandre qui prédisent régulièrement que la digitalisation de la société rendra les informaticiens inutiles, Guy Mamou-Mani les réfute allègrement: «Oui, on raconte la même histoire depuis trente ans. Et depuis trente ans, nous sommes en pénurie d’ingénieurs. Si nous avions formé suffisamment d’étudiants, la croissance du pays serait nettement plus forte et le taux de chômage beaucoup plus bas. En attendant, nous avons besoin d’embaucher 1.000 personnes et nous ne les trouvons pas.»