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Interview

François de Rugy : «Nous visons une baisse de 40% de la consommation d’énergies fossiles d’ici 2030»

Au moment où ses mesures pour la transition écologique se heurtent à la mobilisation des «gilets jaunes», le ministre détaille pour «Libération» le contenu de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Au menu : rénovation thermique, crédit d’impôt…
par Alain Auffray, Laure Equy et Coralie Schaub, photo Cyril Zannetacci pour Libération
publié le 22 novembre 2018 à 20h56

En plein mouvement des «gilets jaunes», qui vont manifester samedi à Paris, le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, défend à nouveau la hausse de la taxe sur les carburants. Et, avant les annonces présidentielles prévues le 27 novembre, il dévoile une partie du contenu de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui doit mettre en musique pour les dix prochaines années la loi de transition énergétique de 2015.

La hausse des taxes sur le carburant n’est pas audible pour certains Français qui peinent à boucler leur fin de mois. Comment répondre à ces «gilets jaunes» ?

Nous devons conduire cette transition écologique qui implique des changements de comportement et d’investissement. Notre enjeu est d’accompagner particuliers, entreprises et collectivités pour les mobiliser, en faire des acteurs de cette transformation. Je sais que certains ont l’impression de subir mais ils subissent parce que durant des décennies, nous n’avons rien fait. Les Français qui manifestent aujourd’hui ont été pris au piège d’un mode de vie centré autour du «tout voiture». C’est ce qu’on est en train de changer. Notre politique vise à fixer le cadre et les outils de cette transition énergétique et à donner les moyens aux Français de ne plus subir ces hausses de prix, que ce soit à la station-service ou lorsqu’ils doivent payer leur facture de chauffage. C’est la seule façon de s’en sortir. D’un point de vue écologique et climatique et sur le plan économique et social, pour maîtriser notre facture énergétique, trop dépendante du pétrole, avec un gain de pouvoir d’achat durable.

Dans l’immédiat, le pouvoir d’achat des plus modestes est entamé par cette hausse des prix. Les compensations vous apparaissent-elles suffisantes ?

La fiscalité écologique sert à trois choses. D'abord se substituer à d'autres impôts et taxes sur le travail et les entreprises : nous l'avons fait en baissant les cotisations sur les salaires et la taxe d'habitation. Puis, donner les moyens à l'Etat et aux collectivités de financer les investissements pour la transition écologique. Le budget de mon ministère a augmenté de près de 2 milliards d'euros en deux ans et on augmente de 40 % les budgets sur les transports sur ce quinquennat. Et enfin, la redistribution sociale. Dès 2017, nous avons généralisé le chèque énergie et l'avons étendu au fioul. Il sera augmenté de 50 euros en moyenne en 2019 et le nombre de bénéficiaires sera élargi, à plus de 2 millions de ménages supplémentaires. La prime à la conversion qui permet aux Français de changer leur voiture pour un véhicule moins polluant a été mise en œuvre le 1er janvier 2018 alors que les prix du pétrole n'étaient pas aussi élevés. Nous n'avons donc pas attendu que le cours monte pour accompagner les Français. Nous avons décidé, pour 2019, d'ajouter des moyens.

Même avec la prime à la conversion, les Français les plus modestes n’ont pas les moyens d’acheter une nouvelle voiture…

Nous travaillons à de nouveaux outils de financement. Nous négocions avec les constructeurs pour qu’ils fassent un effort sur les prix et doublent l’aide d’Etat sur les véhicules neufs. Si l’Etat met 2 000 euros pour l’achat d’une voiture moins polluante, 2 500 euros pour une électrique ou hybride électrique rechargeable, le constructeur en ferait autant. Nous œuvrons avec les banques pour qu’elles financent le reste à payer par des prêts à taux réduit.

Pour alléger les dépenses des ménages, il s’agit aussi de les aider à baisser la consommation d’énergie. Allez-vous faire cette baise de la consommation la clé de voûte de la PPE ?

Dans la programmation pluriannuelle de l'énergie, stratégie française pour l'énergie des 10 années à venir, nous visons une baisse de 40 % de la consommation d'énergies fossiles d'ici 2030. C'est plus ambitieux que la loi de 2015 qui prévoyait une diminution de 30 %. Cette baisse sera à décliner dans deux secteurs : transports et logement. En 2020, les voitures neuves devront avoir une moyenne d'émissions de CO2 de 95 grammes par kilomètre. Cela signifie une mutation profonde du secteur automobile vers les voitures électriques et hybrides électriques rechargeables. D'ici 2022, on multipliera par cinq les ventes de voitures électriques neuves avec l'objectif de 20 % des ventes pour les électriques en 2030.

Quid de la rénovation thermique des logements ?

C’est un défi à relever. Comme le Premier ministre l’a indiqué, nous voulons aider tous les Français à sortir du chauffage au fioul d’ici 10 ans, car c’est l’énergie de chauffage la plus carbonée et celle dont le coût va le plus augmenter avec la fiscalité sur le carbone. Ce chantier est très important car il y a 3,5 millions de logements individuels, 600 000 copropriétés et des bâtiments publics chauffés au fioul. Nous mettrons en place des mesures d’accompagnement, notamment une prime à la conversion appliquée aux chaudières. Nous le ferons aussi à partir de 2020 pour le remplacement du simple vitrage et des radiateurs électriques les moins efficaces, les «grille-pain». J’ouvrirai prochainement une négociation avec les professionnels du bâtiment et de l’immobilier et les entreprises de l’énergie pour avancer sur des mesures incitant les Français à rénover leur logement. A la fin du quinquennat, on verra s’il est utile d’instaurer des obligations légales ou réglementaires pour en finir avec les passoires thermiques.

Comme l’interdiction de la location des passoires thermiques ?

Cette idée a été mise sur la table lors de la présidentielle de 2017. Est-ce le meilleur outil ? Nous choisissons de commencer par négocier avec les professionnels de la filière et travailler sur les outils et les moyens d’accompagner et d’inciter les Français. L’Etat prendra d’ailleurs sa part en termes de financement. Et si ça ne suffit pas, nous réfléchirons dans un deuxième temps à des mesures contraignantes.

Allez-vous renforcer le crédit d’impôt sur la transition énergétique ? Il a été baissé et n’a pas été transformé en prime, contrairement à ce qui avait été prévu…

Rappelons qu’en 2017, 1 million de Français ont engagé des travaux de rénovation grâce au crédit d’impôt transition énergétique (Cite). Dès 2019, nous allons travailler à transformer le Cite pour qu’il soit avancé sous forme de prime pour les plus modestes, qu’ils soient locataires ou propriétaires occupants de leur logement - par le biais de l’Agence nationale pour l’habitat.

Qu’en est-il des énergies renouvelables ?

Dans la PPE, nous allons fixer des trajectoires chiffrées. D’ici 2030, on aura 40 % d’énergies renouvelables dans la production d’électricité. Et 10 % de gaz renouvelable dans la consommation de gaz, contre 0,1 % aujourd’hui. Cela implique de construire des méthaniseurs, ces unités de production de gaz à partir de déchets verts ou agricoles. Par ailleurs, nous prévoyons 38 % de chaleur renouvelable. Et 15 % de carburants non fossiles dans la consommation finale de carburant.

C’est-à-dire ? Contenant de l’huile de palme ?

Ce sont des carburants d’origine agricole et si on ne fait rien, ce sera pour une part de l’importation d’huile de palme, c’est vrai. Mais on souhaite développer en France et en Europe d’autres cultures pour faire des agrocarburants, comme le bioéthanol, avec de la betterave. Cela veut dire que des méthaniseurs, éoliennes, et panneaux solaires photovoltaïques de grande surface au sol, seront construits sur tout le territoire. Notre horizon : rééquilibrer la production d’énergie, aujourd’hui très concentrée, pour qu’elle entraîne l’activité économique dans tous les territoires.

Ne faut-il pas réfléchir à la stratégie énergétique à l’échelle européenne et franco-allemande ?

Sur la production d’électricité, chaque pays est attaché à sa politique nationale, c’est un enjeu de souveraineté. Mais je plaide pour qu’on coordonne davantage nos politiques, pas simplement entre la France et l’Allemagne. Mais aussi avec la Belgique, qui a un gros problème d’approvisionnement et demande une aide européenne. Les Allemands travaillent à un plan de sortie anticipée des centrales à charbon, et on les pousse dans ce sens. Si nous fermons nos centrales à charbon c’est aussi pour pouvoir dire aux Allemands, aux Polonais ou à d’autres : «Même si on en a peu, on prend notre part de l’effort.»

Sur le nucléaire, la PPE ne sera pas dans les clous de la loi de 2015 (50 % de nucléaire d’ici 2025). Quelle sera la nouvelle échéance, 2035, 2040 ? Allez-vous nommer les réacteurs à fermer ?

Dès 2017, le gouvernement a fait une opération vérité et a reconnu qu’on n’y arriverait pas en 2025. Il a ajouté un élément non négligeable : on ferme les centrales à charbon plus vite que prévu, avant 2022. Je confirme cet objectif, même si l’équation n’est pas simple. Dans la PPE, nous travaillons plutôt sur un objectif de 50 % de nucléaire en 2035. Il faudra modifier la loi.

Quid des trois scénarios sur le nucléaire qui ont fuité ?

On change la date, pas l’équilibre. Surtout, on décrira un scénario crédible, avec les moyens d’atteindre l’objectif. Les ONG critiquent par anticipation sur la base de documents de travail. Ça fait partie du débat démocratique. D’ailleurs, la PPE sera soumise à discussion pendant cinq mois, sur tout le territoire.

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