Jean-François Rial : «Le droit d’asile est en danger en France et en Europe»

Dans une tribune au Parisien – Aujourd’hui en France, le fondateur de Voyageurs du monde appelle à la création d’un Office du droit d’asile en Europe pour réguler les flux migratoires.

 A de nombreuses reprises, des migrants secourus par le navire Aquarius n’ont pas pu débarquer dans les pays à qui ils avaient fait une demande d’asile.
A de nombreuses reprises, des migrants secourus par le navire Aquarius n’ont pas pu débarquer dans les pays à qui ils avaient fait une demande d’asile. AFP/Matthew Mirabelli

    Jean-François Rial, fondateur de Voyageurs du monde

    « Le droit d'asile est en danger, en France et en Europe. Le sujet est d'autant plus grave qu'il n'est toujours pas vu comme fondamental. Ce droit touche pourtant aux fondements de nos valeurs, de notre identité nationale et européenne, n'en déplaise à certains. Il touche à notre dignité, au regard que nous portons sur nous-mêmes.

    Comment en est-on arrivé à refuser d'ouvrir nos ports à des bateaux transportant des êtres humains demandant l'asile? A traiter dans des délais indécents leurs demandes et à voir ces hommes, ces femmes, ces enfants errer dans nos villes comme des pestiférés? Comment osons-nous ne pas appliquer de façon stable la convention de Genève qui régit ce droit fondamental? Les pays européens, qui l'ont pourtant tous ratifiée, en font une interprétation inégale et instable. La différenciation de traitement est devenue la règle, transformant l'octroi de la protection internationale en véritable loterie.

    Reprenons ce qui nous a progressivement conduits à une telle situation. Tout d'abord, le climat hystérique, qui, ces dernières années, a envahi le débat public sur l'immigration, a généré la confusion entre politique d'immigration générale et politique de l'asile. Ainsi, inconsciemment, le réfugié qui fuit la violence et l'insécurité dans son pays est devenu progressivement un immigré comme un autre. Cet amalgame est dangereux et inacceptable.

    Deuxièmement, le fameux système de Dublin, qui impose au demandeur d'asile de formuler sa demande dans le pays par lequel il est entré dans l'Union européenne, a achevé le processus. Ce système a réussi l'exploit de décevoir à la fois le demandeur d'asile, les ONG, mais aussi les Etats de l'Union et leurs citoyens! Première illustration avec l'Italie, qui ne supporte plus de rester seule face à l'arrivée de bateaux en provenance de Libye. Le pays préfère laisser ces demandeurs d'asile vagabonder jusqu'aux frontières autrichiennes et françaises, voire se soustraire à ses obligations humanitaires en mer, avant d'élire de son côté le populiste Matteo Salvini! Joli résultat.

    Autre exemple illustrant un facteur de désordre majeur : les demandeurs d'asile doivent attendre dix-huit mois après un premier refus avant de pouvoir renouveler leur demande dans un autre pays. Conséquence : ils se terrent pendant ce délai interminable, sont la cible de stratégies de dissuasion par les forces de l'ordre, et finissent par former des points de fixation (euphémisme politique désignant les camps de rue) qui gênent les citoyens. Ainsi, nous réussissons à traiter les demandeurs d'asile comme des indésirables. Sans les accueillir, ni les expulser (si leur demande n'est pas justifiée), nous maltraitons également la vie des citoyens européens et alimentons le populisme !

    Le système de Dublin ne génère qu'indignité et inefficacité. Il est urgent d'agir. Face à la gravité du sujet, Thierry Pech, Jean-Paul Tran Thiet et moi-même avons produit un rapport réunissant les efforts et les talents de l'association Terra Nova et de l'Institut Montaigne. L'objectif de cette collaboration rare est de proposer des solutions devant la situation ubuesque des demandeurs d'asile. Ce rapport est le fruit de dix mois de travail intense alimenté par de nombreuses auditions.

    Notre première proposition est d'abandonner le système de Dublin, de laisser les demandeurs d'asile choisir le pays dans lequel ils souhaitent déposer leur demande, tout en créant un Office du droit d'asile en Europe (ODAE) qui régulerait les flux trop importants sur un pays. Il s'agit là d'appliquer simplement l'un des principes fondamentaux de l'Union : la solidarité ! Nous émettons de nombreuses autres propositions, dont la réduction des délais d'instruction ou la garantie d'indépendance des bureaux d'examen des demandes d'asile, qui permettrait de rendre les décisions insensibles à la conjoncture politique. Ainsi, notre politique deviendrait-elle lisible, digne et efficace ! Tout le monde y gagnerait : nos Etats, notre dignité, les demandeurs d'asile, et les citoyens de l'Union. Refuser d'agir et s'entêter dans un système qui a depuis trop longtemps fait preuve de son inefficacité reviendrait à accepter de voir fleurir le populisme partout en Europe. »