Logements insalubres : Aubervilliers gangrenée par les marchands de sommeil

La ville de Seine-Saint-Denis est l’une des plus touchées par le phénomène des logements insalubres en Ile-de-France. La mairie recense 74 immeubles sous le coup d’un arrêté de péril imminent.

 L’immeuble de droite, situé rue des Noyers à Aubervilliers, muré après un arrêté de péril imminent, serait squatté.
L’immeuble de droite, situé rue des Noyers à Aubervilliers, muré après un arrêté de péril imminent, serait squatté. LP/Victor Tassel

    Les yeux levés vers un immeuble muré de la rue du Moutier, Nabil, 57 ans, est « effrayé ». « Il va nous tomber sur la tête, s'inquiète cet habitant qui vit à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) depuis 35 ans. On l'a vu à Marseille, ça peut arriver à tout moment ! »

    A Aubervilliers, la situation du logement est alarmante. La municipalité (PCF) dénombre 74 immeubles sous le coup d'un arrêté de péril – imminent ou non –, dont 31 avec une interdiction d'habiter les lieux. Le 19 août, une femme d'une soixantaine d'années a trouvé la mort dans l'incendie dramatique d'un petit immeuble, dans le quartier du Marcreux. Le bâtiment n'était pas insalubre. Mais le feu a pris dans un local commercial… aménagé en logement par son locataire.

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    Une économie parallèle du logement

    La tragédie a mis en lumière ce quartier d'habitat de faubourg ancien, où une habitation sur deux est considérée comme potentiellement indigne. Ici règne une économie parallèle du logement, entre bricolage inconscient et exploitation délibérée de la misère d'autrui.

    Le propriétaire de l'immeuble touché par l'incendie, un peu rapidement accusé d'être un « marchand de sommeil » par la rumeur publique, n'est pas mis en cause par la justice. Ce professionnel de l'immobilier, qui possède d'autres biens à Aubervilliers, dit qu'il ignorait les travaux réalisés illégalement par son locataire. Il n'avait pas de contact direct avec lui, ayant confié l'immeuble à un gestionnaire.

    La mairie confirme que sa société, implantée depuis 30 ans dans la commune, n'a jamais été visée par une procédure pour insalubrité.

    Bricoler pour se loger : la pratique semble répandue au Marcreux. Dans une courette, Mohand* nous ouvre la porte d'une pièce en rez-de-chaussée, sommairement meublée, où les interrupteurs pendouillent et le plafond gondole. Le jeune homme, en situation irrégulière, brandit la copie d'un email du propriétaire. Il ne l'a jamais rencontré, un voisin a joué les intermédiaires. Résidant à l'étranger, l'homme a consenti à lui louer ce local, « afin d'y entreposer du matériel de bâtiment ». Mohand*, dispensé d'un mois de loyer en échange de travaux de remise en état, en a fait son logis. Un de ses amis dort sur un matelas à même le sol.

    «Ici, ce n'est plus habitable»

    Rue du Moutier, Bagadi, 58 ans, monte avec précaution les marches de ses escaliers en bois. Il prévient : « Attention où tu mets les pieds ! » Sans papier, il vit dans un immeuble insalubre vide de tout occupant depuis huit mois. Il est le dernier « locataire » de ce bâtiment de deux étages, aux allures de taudis. « Ici, ce n'est plus habitable. Je suis en danger. J'ai peur d'un incendie ou que ça s'effondre, confie-t-il. Mais cet appartement, c'est tout ce qu'il me reste. » Le propriétaire, dont il ne veut pas dévoiler l'identité, il le paye « au black ».

    Bagadi, 58 ans, est le dernier habitant de l’immeuble insalubre./LP/Victor Tassel
    Bagadi, 58 ans, est le dernier habitant de l’immeuble insalubre./LP/Victor Tassel LP/Victor Tassel

    Dans son appartement, d'une trentaine de mètres carrés, les murs sont jaunis par l'humidité, le sol, flottant, semble menacer de s'effondrer, les traces de moisissures fleurissent dans la salle de bains et la cuisine, les branchements électriques sauvages… Employé dans le bâtiment, Bagadi espère un titre de séjour pour déménager. « En attendant, je reste, sinon c'est la rue », tranche-t-il.

    Le plafond menace de s’écrouler sur la tête de Bagadi./LP/Victor Tassel
    Le plafond menace de s’écrouler sur la tête de Bagadi./LP/Victor Tassel LP/Victor Tassel

    A quelques centaines de mètres de là, rue des Noyers, des squatteurs ont réussi à pénétrer dans un bâtiment muré par la mairie. « Tous les soirs, on voit quatre ou cinq mecs entrer, assure Barbara, 28 ans. Ils prennent beaucoup de risques. Quand il pleut ou quand il y a du vent, des morceaux de la façade tombent… »

    Les plus vulnérables sont à la merci de logeurs sans scrupule : « Quand un locataire s'en va, ça se sait tout de suite dans le quartier, explique un professionnel de l'immobilier. Des voyous achètent la clé 1 000 euros, ou alors ils pètent la serrure. Et puis ils y installent des gens à qui ils font payer un loyer… »