VIH

Sida : une épidémie encore active

A trois jours de la journée mondiale sur le sida, zoom sur la France, avec une épidémie qui continue, des vieux qui sont aussi touchés et des autotests qui ne font pas recette.
par Eric Favereau
publié le 27 novembre 2018 à 6h05

Une épidémie de sida qui bafouille et des données qui manquent. A quelques jours de la journée mondiale de lutte contre le sida, ce samedi 1er décembre, il aurait pourtant été utile de savoir si le nombre de nouvelles contaminations en France baisse enfin de façon significative. Mais voilà, l'agence Santé publique France, dans un numéro spécial du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) rendu public ce mardi, n'était pas en état de donner des résultats complets pour 2017, ce qui est un brin problématique pour nos responsables, censés conduire des politiques publiques.

Des gays qui se contaminent

Reprenons. Il y a eu autour de 6 300 nouvelles contaminations au VIH en 2013 (le sida représente le dernier stade de l'infection au VIH), puis une légère baisse en 2014 et 2015, une stabilité autour de 6 000 en 2016. Les derniers chiffres, ceux de 2017, étaient très attendus, car bon nombre d'experts espéraient une baisse en raison de la montée en puissances de nouveaux outils de prévention comme les autotests, mais surtout avec la Prep (Prophylaxie pré-exposition). Ce traitement médicamenteux donné aux personnes à risques pour éviter d'être infectées affiche en effet une efficacité de quasi 100 % si la personne le prend bien (en France, il y aurait aujourd'hui 10 000 «prépeurs», dont 3 000 à Paris). Et puis il y a aussi le Tasp (Traitement d'une personne séropositive comme prévention) qui consiste à traiter au plus vite quelqu'un qui découvre sa séropositivité, car une fois sous traitement la personne n'est plus contaminante. «Avec tous ses nouveaux outils et une volonté politique, on peut casser l'épidémie, et aller vers le zéro contamination», explique-t-on à l'Organisation mondiale de la santé (OMS). C'est le cas, par exemple, à San Francisco.

En France, l'épidémie reste active alors que la Prep est remboursée par l'assurance maladie. «Nous n'avons pas les chiffres de 2017, écrit Santé publique France. Mais il est possible de décrire les caractéristiques des personnes ayant découvert leur séropositivité entre janvier 2017 et septembre 2018 sur la base des données brutes.» Ces données ne sont pas franchement encourageantes.

A lire aussiSida : la Prep, ça marche !

Depuis quelques années, c'est chez les gays que le taux de contamination au VIH reste fortement élevé. Un taux, peut-on rappeler, qui est comparable à celui des épidémies dans les pays en voie de développement. «Les hommes ayant des rapports sexuels entre hommes (HSH) et les hétérosexuels nés à l'étranger, dont les trois quarts sont nés dans un pays d'Afrique subsaharienne, sont les deux groupes les plus touchés. Ils représentent respectivement 45 % et 38 % des découvertes en 2017-2018.» Cela fait près de 3 000 contaminations chez les gays par an, ce qui est énorme. Pour les hétéros nés en France et les usagers de drogues injectables, l'épidémie est nettement plus faible : 1 000 contaminations pour les premiers et 60 pour les seconds. Des proportions stables depuis 2015.

Le second fait marquant (et inquiétant) reste le nombre toujours élevé de découvertes tardives de séropositivité : 28 % des personnes ont ainsi été diagnostiquées en 2017-2018 à un stade avancé de l’infection. Et cela malgré une activité très forte de dépistage qui continue d’augmenter, avec 5,6 millions de sérologies VIH réalisées en 2017 en laboratoires. En clair, en France, on dépiste beaucoup mais on dépiste souvent mal, souvent tard, en ayant bien des difficultés à atteindre les personnes à risque.

Les vieux et le sida…

Vieux, attention au sida. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il n’y a pas que les jeunes qui se contaminent. Dans l’une des études du BEH, en 2016, le nombre de «seniors» (personnes ayant plus de 49 ans) ayant découvert leur séropositivité a été estimé à 1 200, soit 20 % de l’ensemble des découvertes. Ce nombre n’est pas stable, il a même régulièrement augmenté entre 2008 et 2014. Lesdits seniors sont majoritairement des hommes (72 %), contaminés autant par des rapports hétérosexuels (51 %) que par des rapports sexuels entre hommes (47 %). Logiquement, les seniors restent moins touchés par le VIH que la population des 25-49 ans, puisque leur taux de découvertes de séropositivité est quatre fois plus faible. Cependant, cette situation est source d’inquiétude.

«On continue de croire que les vieux n'ont pas de sexualité, et donc pas de risques de se contaminer. C'est une grave erreur, il n'y a jamais eu de campagne de prévention tournée vers eux», s'énerve Francis Carrier, président de Grey Pride. De fait, nous connaissons un vrai problème de dépistage. «Cela peut être expliqué par une perception individuelle du risque de contamination par le VIH plus faible chez les seniors, note le BEH. Peut-être aussi [que] les professionnels de santé sont moins à l'aise pour discuter de sexualité avec leurs patients les plus âgés et sont probablement moins enclins à leur proposer un dépistage, car ils les considèrent peu exposés au risque d'infection par le VIH.»

Lire aussiLe blog de Grey Pride, sur le site de Libération

Au final, ce constat : «Le nombre de seniors ayant découvert leur séropositivité a augmenté entre 2008 et 2014 alors que, dans le même temps, ce nombre a diminué chez les 25-49 ans. Chez les seniors, l'augmentation du nombre de découvertes de séropositivité est essentiellement liée à celle observée chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.»

Les autotests ont du mal à séduire

On croyait beaucoup à l’arrivée des autotests pour changer les habitudes du dépistage, espérant même que cela devienne aussi banal que de faire un test de grossesse. Leur utilisation est finalement un brin décevante. Mise en service en septembre 2015, la vente d’autotests VIH sans ordonnance en pharmacie ne décolle pas. En 2016, environ 75 000 autotests ont été vendus sans que l’on connaisse vraiment les caractéristiques des acheteurs.

A lire aussiSida : les autotests, efficaces mais délaissés

De fait, au début de l'année 2017, seulement 5 % des gays interrogés avaient utilisé un autotest lors de leur dernier dépistage du VIH. «Il s'agissait d'hommes aux profils très différents : soit des jeunes jamais dépistés mais intéressés par les outils démédicalisés, soit des hommes rapportant une activité sexuelle importante et ayant déjà une familiarité avec le dépistage, ou alors des hommes réticents à l'idée de se rendre dans des centres de santé. Ces résultats montrent l'intérêt de cet outil et plaident pour une disponibilité plus large.»

Pour expliquer la faible utilisation de cet outil, pourtant fort pratique, on peut noter le prix parfois élevé (entre 20 et 30 euros). Ce n’est qu’en juillet 2018 qu’un fabricant en a proposé un à 10 euros. Ensuite, il y a une mauvaise disposition dans les pharmacies où, très fréquemment, la personne doit le demander au pharmacien. A quoi cela tient une politique de… prévention !

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus