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ReportageMonde

La Belgique, à la merci de la montée des eaux, tarde à agir

COP24 — En Belgique, l’érosion des côtes et la montée du niveau de la mer inquiètent fortement : plusieurs villes pourraient disparaître d’ici à 2100 et les experts jugent les mesures prises insuffisantes.

COP24 — Pendant trois semaines, Reporterre devient « le quotidien du climat ». Tous les jours, à partir du 26 novembre, une enquête ou un reportage sur ce phénomène qui commence à bouleverser la vie de l’humanité et définit son avenir. Tous nos articles sont à retrouver ici !


  • Westende et Nieuwpoort (Belgique), reportage

Sur les plages de Westende, les immeubles se dressent face aux vagues. Elles gagnent chaque jour du terrain, millimètre par millimètre. La montée des eaux est une conséquence directe du réchauffement climatique. « Même si demain, on arrête totalement les émissions de gaz à effet de serre, le niveau va continuer à monter », déplore François Massonnet, chercheur au Earth and Life Institute de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve.

La Belgique s’attend au pire. Devant des scénarios catastrophiques d’ici 2100, le gouvernement tente de se préparer à la menace qui pèse sur les villes côtières, poumons économiques et touristiques de la Flandre occidentale. Si l’augmentation de la température globale venait à dépasser les 4 °C, le scénario le plus extrême envisagé dans le rapport ClimateCentral, le niveau marin pourrait progresser d’un mètre et menacer 1,8 million de résidents d’ici 2100.

« On sait que tout va couler, et plus vite que certains ne le pensent » 

Il est midi sur les quais du port de pêche de Nieuwpoort, à 40 km de Dunkerque. Les militants de Climaxi, une ONG environnementale, s’y réunissent chaque semaine. Originaire de la côte, l’expert local et militant Johan Bultiauw est volontaire à l’Institut flamand pour la mer. « Je la vois monter depuis que je suis gamin. On sait que tout va couler, et plus vite que certains ne le pensent », déplore-t-il.

Les plages, stations balnéaires et ports de la Flandre-Occidentale pourraient être engloutis par les flots dans les décennies à venir. De célèbres villes comme Ostende sont contraintes de se protéger massivement contre les inondations, au risque de disparaître.

Les plages de Westende voient défiler les promeneurs, en été comme en hiver.

Des kilomètres d’habitations bétonnées, des ports de commerce et de plaisance et des réserves naturelles sont directement menacés. L’urbanisation rapide de la côte, dans la continuité du boom touristique des années 1970, ne s’est jamais arrêtée. Ostende, la plus grande ville côtière, à 30 minutes de Bruges, compte 1.200 logements au km², contre 201 en moyenne sur le littoral.

Habitué à la vue des touristes à Nieuwpoort, le pêcheur Serge Allard se tient devant son bateau. À la montée des eaux, il répond qu’on ne peut plus rien faire. « C’est un phénomène qui semble naturel maintenant. Et pour nous, ça ne fait pas de différence pour l’instant. » Quelques pas plus loin, Patsy, une habitante d’Ostende, fait le même constat. « Nous sommes égoïstes. On connaît la situation, mais seuls nos enfants et petits-enfants verront les conséquences. »

« Ce ne sont que des petites rustines sur un pneu crevé. Les politiciens ont une vision court-termiste » 

Mais, en cas de tempête importante, les Belges pourraient se retrouver sous l’eau plus vite que prévu. En 1953, le « raz-de-marée » en mer du Nord avait tué 1.800 personnes dans la région et inondé des milliers d’hectares. Mais une telle catastrophe aujourd’hui aurait des conséquences bien plus graves. « Le niveau de départ de l’eau est plus élevé, donc, elle irait plus loin dans les terres », selon Jean-Pascal van Ypersele, climatologue et ancien vice-président du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

« Notre métier n’est pas en danger pour l’instant. » Sur les quais de Nieuwpoort, Serge Allard, pêcheur propriétaire de deux bateaux, ne craint pas encore les effets de la montée des eaux.

Le pays a soudainement réalisé le danger pour son économie balnéaire et touristique en 2011. Le lancement d’un plan d’aménagement pour sécuriser davantage les côtes visait à protéger les lieux les plus sensibles à l’érosion, aux tempêtes et à la montée des eaux. Cette installation de murs protecteurs, de brise-lames et de réaménagement des plages doit se terminer en 2020.



Les projections de l’étude ClimateCentral. Que les températures globales augmentent de 4 °C ou de 2 °C, les études montrent que la mer du Nord devrait engloutir la côte occidentale et progresser jusqu’au sud d’Anvers d’ici à 2100.

« Est-ce qu’on fait des petits investissements bout à bout, ou bien on trouve des solutions durables pour réaménager toute la côte ? » François Massonnet remet en question les plans de protection. « Ce ne sont que des petites rustines sur un pneu crevé. Les politiciens ont une vision court-termiste », reprend-il. Sur les quais de Nieuwpoort, Filip, militant de Climaxi, affirme qu’une grande partie des investissements ne sont destinés qu’à des aménagements temporaires, qui retardent l’inévitable. « Dans 30 ou 50 ans, ce port sera peut-être sous l’eau sans solution conséquente », s’inquiète-t-il.

Une étude réalisée en 2015 par le gouvernement flamand, « Paysage côtier métropolitain 2100 », préconise pourtant différents scénarios à long terme, dont le plan « Bipôle ». Le principe est radical : sacrifier la côte occidentale pour sauver le reste du littoral. Les villes et terres à l’ouest d’Ostende pourraient alors être englouties, dans le cas extrême.

« On sait que la mer va continuer à monter si on ne prend pas des mesures radicales » 

Des conséquences de la montée des eaux après 2100 seraient pourtant évitables, en limitant les émissions de gaz à effet de serre. « Si on s’attaque au phénomène en ne diminuant que la gravité des dégâts, inévitablement on va devoir céder du territoire à la mer », affirme Jean-Pascal van Ypersele.

Une réflexion à long terme de la part des pouvoirs publics se fait attendre. En addition aux déplacements humains à organiser et à la perte des secteurs maritimes et touristiques encore en plein boom aujourd’hui, les écosystèmes souffriront de l’intrusion de l’eau salée. La réserve naturelle du Zwin, à la frontière néerlandaise, risque d’être en partie inondée, emportant avec elle de nombreux habitats d’oiseaux et de petits mammifères.

Du côté des scientifiques, on assure que l’alerte est donnée depuis longtemps. « On sait que la mer va continuer à monter si on ne prend pas des mesures radicales », reprend le professeur van Ypersele. Son collègue François Massonnet se demande si les solutions ne viendront pas de la société civile et des activistes. « Nos politiques ne vont pas s’occuper d’un problème dont ils ne récolteront pas les fruits », précise le chercheur, sceptique quant à la capacité des différentes régions belges à trouver une solution commune.

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