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Répression

Le photographe qui immortalise la pollution en Chine arrêté

Le photojournaliste indépendant Lu Guang, qui a remporté trois World Press Photo, a été arrêté dans la province du Xinjiang d’après sa femme, sans nouvelle de lui depuis début novembre.
par Zhifan Liu, Correspondant à Pékin
publié le 27 novembre 2018 à 18h39

Au moment où le smog est de retour dans une partie du nord de la Chine, on a appris ce mardi l'arrestation de Lu Guang, photographe qui documente les problèmes environnementaux. Après trois semaines sans nouvelle de lui, Xu Xiaoli s'est résolue à publier une lettre sur Twitter mardi matin pour faire état de la disparition de son mari, survenue début novembre.

Lu Guang, photojournaliste militant était invité le 23 octobre à se rendre à Urumqi, dans la province du Xinjiang, pour échanger avec plusieurs photographes locaux. Il devait ensuite se rendre dans la province du Sichuan, le 5 novembre, pour participer à des œuvres de bienfaisance. Au lendemain de l'arrivée supposée du photographe, un ami de Lu Guang qui devait l'accueillir a fait état de sa disparition à Xu Xiaoli. Celle-ci a finalement compris que son mari avait été arrêté par les autorités locales du Xinjiang, cette province surveillée de près et dont la population à majorité musulmane est soumise à une répression et une sinisation sans précédent de la part de Pékin.

Contactée par Libération, Xu Xiaoli confie ne pas connaître le motif de cette arrestation et n'a, à ce jour, toujours pas reçu de notification ni d'explication officielle de la part des autorités, malgré ses nombreuses demandes. «Dans un premier temps, je n'ai rien voulu dire, mais après vingt jours sans nouvelle de lui ni des autorités, j'ai décidé qu'il était temps d'en parler», explique-t-elle depuis New York, où le couple est désormais installé avec leur enfant. Au téléphone, d'une voix fluette et inquiète, Xu Xiaoli dit ne pas avoir anticipé cette arrestation : «C'est d'autant plus surprenant qu'il n'avait pas été inquiété ces derniers temps par les autorités chinoises.»

Cela n’a pas toujours été le cas pour cet homme à la carrure rondelette de 57 ans, originaire du Zhejiang (sud-est). Ancien ouvrier d’une fabrique de soie, Lu Guang a bifurqué pour se lancer dans la photographie en passant un diplôme de l’Académie des Beaux-Arts de l’université de Tsinghua en 1995. Depuis, il traite des problèmes sociétaux chinois et a fait de la pollution environnementale son cheval de bataille.

Un travail courageux

Lanceur d'alerte, proche des sujets qu'il photographie et dont il sait gagner la confiance, Lu Guang a capturé le quotidien des paysans du Henan, infectés par le VIH après avoir vendu leur sang pour survivre ou assurer une éducation à leurs enfants. Cette série lui vaudra de remporter en 2004 le premier de ses trois World Press Photos. C'est aussi lui qui a alerté sur les «villages du cancer» qu'il découvre en 2005. Dans un village du Shanxi (nord-est de la Chine) 50 des 2 000 villageois sont atteints de cancer, irradiés par l'eau du robinet polluée par les déchets industriels des usines voisines.

L'an dernier, sa série Développement et pollution était exposée au festival Visa pour l'image de Perpignan. Au travers de ses photos, Lu Guang met en lumière les conséquences écologiques du développement économique à marche forcée de la deuxième puissance mondiale.

En 2005, il expose les terres agricoles de Wuhai en Mongolie intérieure, ravagées par le traitement des déchets industriels déversés directement dans le fleuve Jaune et des conséquences sanitaires sur les populations locales. «Lu Guang s'attaque toujours à des sujets difficiles, que certains peuvent même juger dérangeants. Pourtant, lors de notre dernière rencontre, à Perpignan, il nous disait que les esprits s'ouvraient et que son travail commençait à éveiller les consciences sur l'urgence écologique», témoigne Jean-François Leroy, fondateur du festival Visa pour l'image.

«Son travail a aidé à attirer l'attention sur les problèmes environnementaux en Chine, notamment dans les territoires reculés où les victimes n'avaient pas de voix pour s'exprimer», appuie Yaqiu Wang de Human Rights Watch China. Un travail courageux et méticuleux qui lui a naturellement valu d'être la cible régulière des autorités chinoises. L'an dernier, en marge de son exposition à Perpignan, il déclarait au Monde «être arrêté quatre ou cinq fois par an», en plus de recevoir régulièrement des menaces sur ses lieux de reportages.

Société civile dans le collimateur

Si les conditions précises de l'arrestation de Lu Guang restent encore floues, elle est à inscrire dans un contexte de dégradation des conditions de travail des journalistes et photographes indépendants, particulièrement vulnérables dans la Chine de Xi Jinping. En juillet, un caricaturiste était condamné à six ans et demi de prison pour «subversion envers l'Etat». La société civile et les lanceurs d'alertes sont aussi dans le collimateur, comme en atteste le cas de Sun Wenguang, un intellectuel à la retraite militant des droits de l'homme, arrêté en pleine interview télévisée par des hommes armés qui s'étaient introduits chez lui.

Si son travail lui a attiré des ennuis, Lu Guang a également poussé les autorités chinoises à prendre conscience de problèmes environnementaux en Chine, d'après Yaqiu Wang : «Son travail a engendré une attention particulière des médias nationaux et internationaux qui ont mis le gouvernement sous pression afin qu'il agisse pour tenter de résoudre les problèmes liés à l'environnement.» En 2014, le Premier ministre chinois, Li Keqiang, déclarait «la guerre à la pollution». Pékin est devenu un partenaire majeur de l'accord de Paris sur le climat et a promis d'investir 360 milliards de dollars dans les énergies renouvelables d'ici à 2020.

Dans sa lettre publiée mardi sur son compte Twitter, crée pour l’occasion, Xu Xiaoli indiquait espérer le retour prochain de son mari.

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