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Aux petits soins

«Si vous ne maigrissez pas, vous n’aurez jamais d’enfant»

Une étude inédite du Centre d'éthique clinique pointe le malentendu entre les gynécologues et les femmes obèses, quand celles-ci veulent avoir un enfant.
par Eric Favereau
publié le 26 novembre 2018 à 13h15
(mis à jour le 26 novembre 2018 à 18h27)

Etre grosse et se rendre chez le gynécologue. Etre grosse, vouloir un enfant, parfois ne pas y arriver et vouloir alors l'aide de la médecine.

Dans une telle relation, on pourrait imaginer du soutien entre la femme obèse et le/la gynécologue, bref bénéficier d'une relation de qualité, «prendre soin» en quelque sorte. Et voilà qu'il semble que cela ne soit pas franchement le cas. Qu'il y ait un quiproquo, comme nous le révèle une enquête inédite réalisée par le Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin (1), et présentée la semaine dernière au congrès des Gros (Groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids). Alors que les femmes vivant difficilement déjà avec un fort surpoids rechercheraient de la compréhension pour mieux s'accepter et envisager d'avoir un enfant, les gynécologues se positionneraient essentiellement dans le jugement et le risque médical que constitue le surpoids en cas de grossesse.

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«C'est assez déroutant, mais cela ne nous surprend pas. Le climat sociétal est plutôt "grossophobe", note Sylvie Benkemoun, une des responsables de Gros. Et les médecins n'échappent pas à cet air du temps. Ce qui est très intéressant de noter, c'est que plus les femmes obèses demandent un acte médical, plus le jugement sur leur poids va être dominant et pesant.»

L'enquête menée est partielle, avec des biais évidents de recrutement. Elle pointe néanmoins un phénomène inquiétant, soulignant combien la relation de soin n'est pas aussi simple qu'on le croit, et que bien des méprises peuvent surgir. Trois groupes de femmes ont été interrogés, toutes avec un IMC supérieur à 30 (obésité modérée à massive) et toutes en âge de procréer. Les unes ont été interrogées dans leur relation avec la gynécologie courante, un autre groupe pour un suivi de grossesse spontanée, et enfin un troisième groupe pour un recours à une équipe d'AMP (aide médicale à la procréation). En tout, une cinquantaine de femmes. Parallèlement un groupe de gynécologues a été interrogé.

Des femmes qui voudraient être accompagnées

D'abord un constat, avec ce sentiment largement partagé que l'obésité passe avant tout. «J'ai l'impression d'avoir des soins à moitié, de ne pas être auscultée convenablement», explique ainsi une jeune femme. Une autre tempère : «Je pense que ce n'est pas lié à la discipline, la personne peut être sympa ou pas. Par exemple, mon médecin généraliste n'aborde pas la question du poids, sauf si ma consultation y est liée. Ma gynécologue aussi. Elle est ouverte, elle écoute mes symptômes, elle ne fait pas de diagnostic hâtif en rapportant tout à mon poids.»

Surgit néanmoins ce reproche implicite adressé à une médecine trop normative : «Je ne m'aime pas ainsi, je demande simplement que l'on m'aide moi plutôt que de me répéter que je suis grosse et de me culpabiliser.» Un reproche qui s'aggrave quand se pose la question de la grossesse. «On me met la pression, du genre : "Si vous ne maigrissez pas vous n'aurez jamais d'enfant."» Ou : «La gynécologue m'a dit que c'était inconscient de vouloir un enfant…» Voire : «On m'a déjà dit : "Vous avez de la chance d'avoir un copain qui vous aime malgré votre poids."» Avec cet argument médical, asséné sans trop de ménagement : «Vous ne voyez donc pas que dans l'état où vous êtes, avoir un enfant, c'est la mort assurée.»

Dans le groupe des femmes ayant une grossesse spontanée, les propos peuvent même être agressifs : «Faut pas grossir madame, sinon on ne verra jamais le bébé.» «On nous culpabilise, on se sent une mauvaise mère», raconte l'une d'entre elles. Une autre ajoute : «La gynécologue qui me dit : "Vous savez même enceinte vous pouvez faire un régime…" Certains m'ont dit qu'"au lieu de faire un gosse à 40 ans, [je] ferais mieux de faire un régime".» Et cet aveu : «Je suis en obésité morbide et j'ai l'impression d'être regardée comme une bombe à retardement.»

Des gynécos obsédés par la question du poids

En regard, des gynécologues de ville ont donc été interrogés. Beaucoup se défendent, insistent sur le fait que l'obésité n'est pas négligeable, que c'est même un facteur de risque cardio-vasculaire important, et répètent que la question du poids est un thème central de la prise en charge de la grossesse. «Si vous ignorez son poids, vous ignorez la patiente», analyse ainsi un médecin. Une autre gynécologue reconnaît : «Cela me demande des efforts, j'aime beaucoup la minceur…» Une autre encore : «Déjà, en demandant de se déshabiller et de monter sur la balance, on a le sentiment d'agresser.»

Pour autant l'étude révèle donc une progression alarmante de la grossophobie, comme si c'était autre chose qui était en jeu : «La relation avec le gynécologue se dégrade de plus en plus, du suivi courant au suivi de la grossesse, et du suivi de la grossesse au parcours d'AMP. Comme si la maternité autorisait à culpabiliser les femmes, et le désir de maternité encore plus.» Cette attitude laisse perplexe. «Je trouve que le patient devrait pouvoir décider de ce qu'il fait», observe avec bon sens une femme. Une autre : «Qui sont ces médecins pour savoir si un enfant n'est pas une question vitale pour moi.» Ou encore : «Comme si je n'avais pas le droit de faire un enfant dans mon état.»

Conclusion des chercheurs : «Ne pourrait-on pas envisager un autre rôle des gynécologues […] auprès de ces patientes, un rôle consistant à admettre qu'elles ont déjà tout essayé pour perdre du poids et qu'elles ont davantage besoin d'être acceptées telles qu'elles sont plutôt que d'être culpabilisées. Elles ont besoin d'être aidées, notamment pour faire face aux injonctions des obstétriciens à perdre du poids, ou pour contourner la discrimination d'accès à l'AMP pour cause de surpoids.» Serait-ce trop demander ?

(1) Les conditions d'accès à la gynécologie, à l'obstétrique et à l'AMP des femmes en «net surpoids». Enquête exploratoire auprès des femmes concernées et de leurs gynécologues, par Perrine Galmiche, Cynthia Le Bon et Véronique Fournier, du Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin.

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