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Économie

La Cour des comptes épingle la Fondation Louis Vuitton

Dans un rapport rendu ce mercredi matin aux députés, les magistrats pointent la dérive du coût du bâtiment et donc de l’avantage fiscal obtenu au titre du mécénat.

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OUVERTURE DANS DIX JOURS DE LA FONDATION LOUIS VUITTON À PARIS

Le bâtiment de l'architecte Frank Gehry a coûté 790 millions d'euros. 

(c) Reuters

"C’est un cadeau fait à la France." Interviewé en 2014 par Le Figaro juste avant l’inauguration de la Fondation Louis Vuitton, Bernard Arnault, première fortune française, se lâchait sur les superlatifs. Il évoquait un "exemple unique de mécénat" et soulignait que le bâtiment du célèbre architecte Frank Gehry, deviendrait la propriété de la ville de Paris dans 50 ans. Mais il se montrait alors avare de chiffres, laissant la presse évoquer un coût ridicule de 100 millions d’euros. Surtout, le patron du groupe LVMH s’était bien gardé d’expliquer que le contribuable allait régler une partie de la note.

Un rapport de la Cour des comptes sur le mécénat, commandé par le député LR Gilles Carrez et rendu public aujourd'hui, permet d’y voir plus clair. Si les magistrats soulignent que la fondation "n’appelle pas d’observations quant à la régularité de son fonctionnement", ils sont plus circonspects sur le coût du bâtiment. Le chantier a, en fait, complètement dérapé pour atteindre 790 millions, comme l’avait déjà raconté Marianne en mai 2017. Pourtant, les fameux 100 millions figuraient bien dans la convention signée avec la Mairie de Paris en 2006, qui autorisait LVMH à s’implanter au Bois de Boulogne. A titre "purement indicatif", assurent aujourd’hui les responsables du groupe. "Si les contentieux auxquels a dû faire face la Fondation ont contribué à ralentir d’environ trois mois les travaux, le retard de quatre ans par rapport aux annonces initiales et les coûts élevés tiennent surtout à la difficulté technique particulière du projet – certaines technologies n’ayant été maîtrisées qu’en cours de réalisation – et à une certaine liberté laissée à l’architecte d’adapter son projet", précise la Cour.

Surtout, LVMH a fait un usage intensif de la loi Aillagon de 2003 sur le mécénat fiscal, qui permet aux entreprises de déduire de leur impôt sur les sociétés (IS) 60% des dons effectués à une fondation. Pour construire le bâtiment et payer divers frais de la fondation, les sociétés du groupe ont ainsi apporté 863 millions de 2007 à 2017. Ceci leur a ensuite permis de réduire leur IS de 518 millions. La Cour relève que ce montant représente plus de 8% du coût total pour l’Etat de la niche fiscale sur cette période. Le groupe de luxe a largement contribué à la dérive générale de ce dispositif, qui coûte désormais au contribuable plus de 900 millions par an, contre dix fois moins en 2004.

Mécénat culturel et optimisation fiscale

Agacé par les critiques, Bernard Arnault s’est défendu, lors d’une interview récente pour Le Figaro, en tentant de minimiser la portée de l’avantage fiscal. Son raisonnement: si son groupe avait financé la construction directement, le bâtiment aurait été considéré comme un investissement classique d’une société commerciale. LVMH aurait alors pu récupérer 106,5 millions de TVA et déduire les charges d’amortissement de son résultat imposable. Avec ce schéma, l’économie d’impôt aurait atteint, en théorie, environ 45% du montant dépensé, à comparer à 60 % dans le cas du mécénat. Le patron ne fait pas cette remarque au hasard. En effet, son rival historique François Pinault a utilisé une variante de ce type de montage pour le futur "musée" de la Bourse du commerce, détenu à travers une société commerciale. De quoi permettre à la holding familiale de faire des économies d’impôts, comme l’a déjà expliqué Challenges.

Il n’empêche, même s’il l’on suivait le raisonnement d’Arnault, son choix de passer par le mécénat fiscal aurait tout de même coûté environ 118 millions de plus au contribuable. Pas vraiment un "cadeau". Qui plus est, comme le note la Cour des comptes, outre l’avantage fiscal supérieur, "le mécénat procure à l’entreprise en tant que tel une notoriété favorable liée au caractère désintéressé du don et à l’intérêt général qui s’attache aux actions financées." Les magistrats soulignent d’ailleurs que la frontière devient de plus en plus floue entre mécénat et sponsoring. Certes, en choisissant de faire une fondation, LVMH s’interdit d’y commercialiser aussi bien des œuvres d’art que des produits de luxe du groupe. Mais cela ne l’empêche pas d’exposer quelques mallettes Vuitton dans le hall d’entrée afin de bien souligner la proximité du lieu avec ses marques.

Inquiet de l'explosion du coût du mécénat fiscal, la Cour des comptes souhaiterait désormais mettre le holà et propose différents scénarii consistant à abaisser le taux de déduction ou le plafond des dons, fixé aujourd’hui à 0,5% du chiffre d’affaires de l’entreprise. La baisse du plafond risquerait toutefois d’être contournée par les grands groupes, qui mettraient à contribution leurs multiples filiales. "En 2016, sur un total de contributions de 86,5 millions, apporté par vingt-sept entreprises du groupe LVMH, onze ont apporté moins d’un million, neuf ont apporté entre un et cinq millions, cinq ont apporté entre cinq et dix millions et deux plus de 10 millions", détaillent ainsi les magistrats. De l’art de conjuguer mécénat culturel et optimisation fiscale.

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