La cristallerie Baccarat bientôt 100% chinoise

Le Chinois FCC lance une offre publique d'achat (OPA) pour s’emparer de la totalité du capital de la célèbre cristallerie née il y plus de 250 ans en Lorraine.

 Dans un premier temps, l’arrivée des Chinois a surpris les salariés.
Dans un premier temps, l’arrivée des Chinois a surpris les salariés. LP/Yves Nicolas

    Le poste du matin s'achève. Peu après midi, des salariés de la cristallerie de Baccarat, en Lorraine, sortent des ateliers sous une pluie fine. Ils longent les petites maisons, toutes semblables, proposées gratuitement aux salariés qui le souhaitent et rejoignent leurs voitures garées près du musée du Cristal.

    Ils sont souffleurs, graveurs, doreuses, électriciens, agents administratifs… Ils font partie des 534 salariés de la plus ancienne et prestigieuse cristallerie de France créée en 1764. Une institution rachetée en juin 2017 par Coco Chu, représentante du Fortune Foutain Capital qui gère les intérêts de grandes fortunes familiales chinoises. Une trentenaire « tombée amoureuse » de Baccarat.

    Le groupe a racheté pour 164 millions d'euros, 88 % des actions du prestigieux cristallier à un fonds d'investissement américain Starwood capital, qui l'avait acquis en 2005. Une offre publique d'achat à destination des possesseurs des 12 % d'actions encore sur le marché. Sa validation par l'autorité des marchés financiers est imminente Les actionnaires auront dix jours pour accepter l'offre à 222 euros l'action.

    «Ça ne pouvait pas être pire que les Américains»

    Dans un premier temps, l'arrivée des Chinois a surpris les salariés. « Tout le monde a crié au loup en apprenant la nouvelle, mais la propriétaire a été rassurante, de toute façon cela ne pouvait être pire que les Américains qui n'ont rien fait pour nous », assure Franck, souffleur depuis trente ans.

    Fabrice, intérimaire, a succombé comme beaucoup à l'opération séduction de la nouvelle PDG, Coco Chu, qui a promis 30 millions d'euros d'investissement. « On redoutait au départ qu'elle n'en veuille qu'à notre savoir-faire unique au monde », confie le jeune électricien, qui mise sur une embauche prochaine car « c'est une bonne boîte ».

    En juillet 2017, Coco Chu a passé deux jours à Baccarat, rencontrant les salariés et les élus. « Elle a un immense respect pour le luxe à la française et, pour elle, Baccarat c'est du luxe parce que c'est fait à Baccarat », assure, conquis, Thibault Bazin, député LR de la circonscription, invité en Chine avec le maire de la ville en décembre dernier.

    Bonne impression

    Alain, souffleur depuis trente-six ans, fils, petit-fils et arrière-petit-fils de verrier, voit « d'un bon œil » le projet de développer le marché asiatique et celui de créer « une école propre à la manufacture ». Il incarne cette tradition qui fait la force et la rareté de la cristallerie à la frontière des Vosges et de la Meurthe-et-Moselle.

    « Depuis mon enfance il n'y a pas une journée où le mot cristal n'a pas été prononcé, explique-t-il avec émotion. Ma mère reprisait les chaussettes avec une boule de cristal et moi je buvais dans des gobelets en cristal alors que ceux de mes copains étaient en plastique. »

    Le nouvel actionnaire a fait bonne impression. Reste à confirmer. « Au foot on voit la qualité du joueur sur le terrain, ici c'est pareil », rappelle Thibault Bazin. Depuis les promesses, rien ne s'est encore traduit dans les faits. « Il a fallu attendre l'approbation des autorités chinoises, car ce sont des capitaux qui sortent du pays », précise Benoît Grange, du cabinet Brunswick qui représente en France le groupe Fortune Foutain Capital. Il est formel : « Pour Mme Coco Chu, Baccarat est un éblouissement. »

    UNE INSTITUTION QUI REMONTE À LOUIS XV

    Baccarat a été créée en 1764./LP/Yves Nicolas
    Baccarat a été créée en 1764./LP/Yves Nicolas LP/Yves Nicolas

    En face de la manufacture, le musée du Cristal accueille 18 000 visiteurs par an qui découvrent la grande histoire de Baccarat. C'est en 1764 que Louis XV donne son feu vert à la création de la verrerie à Baccarat en Lorraine. Le premier four est acheté l'année suivante. « Les ouvriers habitaient à proximité. Ils devaient pouvoir entendre la cloche encore en place aujourd'hui qui résonnait dès que la matière était en fusion. Au signal, ils accourraient », explique Evelyne, l'une des guides du musée.

    La verrerie devient cristallerie en 1816 et, sept ans plus tard, Louis XVIII inaugure les commandes royales. La marque Baccarat s'imposera ensuite comme une référence du luxe et part à la conquête du monde : en 1948 à New York, en 2008 à Moscou. En 2005, l'entreprise, propriété du Groupe du Louvre, est vendue à un investisseur américain qui la cède en 2017 à un fonds chinois qui en confie la direction à son égérie, la trentenaire Coco Chen, baptisée ainsi en l'honneur, bien sûr, de Coco Chanel.