LOGEMENTQu'est-ce qui pousse les plus de 30 ans à vivre en colocation?

Qu'est-ce qui pousse les plus de 30 ans à vivre en colocation?

LOGEMENTDepuis quelques années, la « coloc » n'est plus l'apanage des étudiants en France...
Illustration d'une colocation.
Illustration d'une colocation. - REVELLI-BEAUMONT/SIPA
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Après le Royaume-Uni et l' Allemagne, la colocation se développe en France chez les trentenaires et les quadras.
  • Un phénomène plus prégnant dans les grandes villes où les prix des loyers poussent davantage d’actifs à vivre avec un autre adulte.
  • Mais ce mode de vie s’explique aussi par une volonté de rompre la solitude et d’appréhender de nouvelles formes de solidarité.

«J’ai 46 ans et je cherche une colocation en France pour les prochains mois. J’ai déjà tenté l’expérience puisque je partage un appartement avec des trentenaires depuis près d’un an en Espagne. C’est une solution pratique, économique et conviviale », témoigne Emmanuel, cadre dans l’immobilier. «Je vis en colocation depuis le mois d'août avec un ami de 42 ans. Nous l'avons fait car ça nous revient beaucoup moins cher et en plus on s'entend très bien», raconte aussi à 20 Minutes Isabelle.Un cas qui n’est plus si rare car la « coloc » n’est plus l’apanage des étudiants. Après le Royaume-Uni et l’Allemagne, la colocation se développe en France chez les plus de 30 ans.

« Nous avons de plus en plus de demande de personnes de plus de 30 ans à la recherche d’une colocation », indique ainsi Jean de Balincourt, fondateur de Lokizi, société spécialiste de la location meublée longue durée. Même son de cloche chez Karine Texeira, responsable du service clients du site Appartager. com : « Près de 20 % des personnes en recherche d’une colocation ou d’un colocataire sur notre site ont plus de 31 ans. Et leur nombre progresse depuis plusieurs années », constate-t-elle. D’autant que ce système de cohabitation choisie fait de moins en moins peur aux bailleurs, « notamment parce que la loi Alur (de 2014) et la loi Elan (de 2018) redéfinissent et stabilisent les contours de la colocation », note Claire Lévy-Vroelant, professeure de sociologie de l’habitat à l’université de Paris 8-Saint-Denis.

« La colocation, ça m’a ouvert des horizons »

Une tendance qui s’explique d’abord par la cherté des loyers, comme le souligne la sociologue Sabrina Bresson, co-directrice du Centre de recherche sur l’habitat : « Dans les grandes villes, la difficulté à se loger pousse davantage de personnes déjà lancées dans la vie active à cohabiter avec un autre adulte, sans qu’il y ait de liens familiaux ou sentimentaux entre eux. Ce phénomène qui est assez développé en Europe du Nord, est désormais manifeste dans l’Hexagone. C’est souvent un choix temporaire dans un parcours résidentiel », constate-t-elle. « Le fait que 35 % des ménages actuels soient composés d’une personne seule et que 9 % des ménages soient monoparentaux montre bien le potentiel à inventer de nouvelles formes de cohabitation », relève aussi Claire Lévy-Vroelant.

La cohabitation avec un autre adulte consentant est également encouragée par la mobilité professionnelle, comme l’observe Jean de Balincourt : « Certains cadres qui sont mutés pour une durée déterminée dans une autre ville, préfèrent partager un endroit confortable, plutôt que de vivre dans un petit appartement. Outre le confort, ce mode d’habitat permet de ne pas rester seul devant sa tranche de jambon le soir et d’avoir une vie sociale dans une ville où l’on ne connaît personne. Et ceux qui ont déjà expérimenté la colocation pendant leurs études, sont encore plus partants pour l’aventure ». Ce dont témoigne Emmanuel : « La colocation, ça m’a ouvert des horizons. Je partage mon quotidien avec des personnes qui ont une manière de vivre différentes de la mienne. Avec mes colocataires, on vit des moments vraiment sympas et il m’est arrivé de sortir avec eux pour danser la salsa ».

« Pour que cela fonctionne, il faut une proximité sociale et culturelle »

Partager le même appartement, c’est aussi le moyen de s’entraider, comme le constate Sabrina Bresson : « Des familles monoparentales en viennent ainsi à vivre ensemble pour mutualiser, mais aussi pour se rendre des services, notamment la garde des enfants. Ces nouvelles formes de solidarités sont en pleine expansion », note-t-elle. Ce mode d’habitat est aussi parfois choisi par les personnes qui subissent une rupture amoureuse : « redevenues célibataires, certaines personnes n’ont plus les moyens de prendre un logement de seul ou redoutent la solitude », constate Karine Texeira.

Reste que pour réussir une cohabitation avec un autre adulte, il faut faire preuve de souplesse, ce qui semble moins évident à 30 ou 40 ans qu’à 20. « "Faire ménage" autrement qu’en famille nécessite des ajustements au quotidien assez différents de ceux qui ont cours en famille, puisque la cohabitation se fait sur une base affinitaire et non contrainte. Il s’agit d’une forme de socialisation différente, dans laquelle la notion d’hospitalité (qui implique de se déranger pour autrui) entre en jeu », insiste Claire Lévy-Vroelant. « Pour que cela fonctionne, il faut une proximité sociale et culturelle, partager des valeurs et savoir élaborer des règles de vie communes », renchérit Sabrina Bresson. Chez Isabelle et son colocataire par exemple, tout se règle en bonne intelligence: «Pour les repas, soit on se fait des plats en commun, soit chacun fait ce qu'il veut. Pour le linge, on fait tourner la machine dès que la bassine est pleine et pour le ménage, on le fait ensemble à part les chambres chacun fait la sienne. Concernant le programme télé, nous avons chacun notre poste ou quelques fois nous regardons le même programme.Tout se passe très bien et je ne regrette pas de m'être mise en colocation», raconte-t-elle.

C’est pour cela que les futurs colocataires n’hésitent pas à poser leurs conditions : « A 30 ou 40 ans, on se connaît mieux qu’à 20. Donc on sait avec qui on ne pourrait pas vivre. Les personnes inscrites sur notre site ont d’ailleurs des profils très détaillés et se rencontrent parfois plusieurs fois avant de se décider », constate Karine Texeira. Une exigence dont se targue Emmanuel : « Je suis très sélectif dans mes choix de colocataires. J’attends par exemple, de mon futur colocataire français qu’il soit intelligent, doté d’humour, sympathique et qu’il soit propre ! », lance-t-il.

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