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Océans : la guerre contre le plastique a commencé

ENQUÊTE + VIDEO Le déversement de tonnes de plastiques dans les océans menace les écosystèmes et, à terme, la vie humaine. Les initiatives pour collecter ces détritus ou les empêcher d'atteindre les eaux internationales font florès. C'est l'un des plus grands défis de ce siècle.

Entre 5 et 13 millions de tonnes de déchets plastiques se déversent chaque année dans les océans. A ce rythme, la quantité de plastique dans l'océan devrait dépasser 500 millions de tonnes en 2050
Entre 5 et 13 millions de tonnes de déchets plastiques se déversent chaque année dans les océans. A ce rythme, la quantité de plastique dans l'océan devrait dépasser 500 millions de tonnes en 2050 (Fredrik Naumann/PANOS-REA)

Par Richard Hiault

Publié le 19 déc. 2018 à 12:34

Embrasés par les rayons d'un astre matinal resplendissant, les rochers ocre des Cyclades ondoient sur la mer Egée. A l'horizon, l'azur du ciel tranche avec la teinte aigue-marine des flots qu'un ferry découpe, laissant un sillage éphémère d'écume blanche. Accoudés au bastingage, fouettés par quelques embruns, des dizaines de touristes pourraient rêver d'Ulysse, guetter un dauphin ou espérer l'apparition de sirènes. Mais leurs conversations, plus prosaïquement, tournent autour des nombreuses formes blanches, bleues ou vertes surnageant entre deux eaux le long du vaisseau. Poissons, tortues ? Non. Sacs plastique et bouteilles. Le phénomène perdure jusqu'à l'arrivée dans le port grec du Pirée. Tous se désolent de cette pollution à laquelle ils ne sont peut-être pas si étrangers.

Berceau de la civilisation, la Méditerranée est aujourd'hui l'une des mers les plus polluées du monde. « Chaque année, de 150.000 à 500.000 tonnes de macrodéchets en plastique […] pénètrent les mers européennes » pour finir dans la Grande Bleue, révèle un rapport de juin 2018 du WWF. Chaque été, plus de 200 millions de touristes, en visite dans le bassin méditerranéen, génèrent même une augmentation de 40 % de ces déchets. Le cas de la Méditerranée n'est pas isolé. Le fléau affecte la totalité du monde du silence. Et menace de désormais se transformer en risque sanitaire.

VIDEO. Vraiment fantastique le plastique ? Plutôt dramatique pour les océans…

Une étude citée par la Banque mondiale révèle que des détritus marins étaient présents dans toutes les tortues marines étudiées, 59 % des baleines, 36 % des phoques et 40 % des oiseaux de mer. Des microparticules de plastique ont même été trouvées dans de nombreuses espèces de poissons et de fruits de mer vendus pour la consommation humaine. Et même dans les selles humaines en Europe, en Russie et au Japon si l'on en croit une étude de l'université de Vienne publiée le mois dernier. Le temps presse.

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Collecter les déchets

Vainqueur en 1997 de la Transat Jacques Vabre avec son frère, Laurent, le navigateur Yvan Bourgnon est bien placé pour le savoir. « A huit ans, dans les années 1980, j'ai eu la chance de faire le tour du monde à la voile avec mes parents sans voir un seul sac plastique dériver. Trente ans après, le décor a radicalement changé. En croisant au large de l'Indonésie, de Bali et dans l'océan Indien, j'en ai vu des milliers flottant à plusieurs dizaines de milles nautiques des côtes. » Il n'est pas le seul. « Francis Joyon [NDLR : recordman du tour du monde à la voile en janvier 2017 et vainqueur de la Route du Rhum 2018] m'a confirmé qu'il avait rencontré le même phénomène en mer de Chine. »

Trois ans après son tour du monde en catamaran, en 2013, Yvan Bourgnon a lancé l'association . Objectif : éradiquer la pollution plastique des océans. Soutenu par la Fondation Prince Albert II de Monaco et l'Institut océanographique, il jette les bases de la construction d'un vaste catamaran le « Manta ». Il sera le premier collecteur de déchets plastiques des océans.

Le projet Manta

Encore à l'état de maquette, le bateau mesurera 70 mètres de long pour une largeur de 49 mètres. A son bord, une véritable usine d'une trentaine de personnes, équipage compris, va collecter, trier, compacter et stocker tous les déchets récupérés en mer. « De 5.000 à 10.000 tonnes de déchets par an seront collectées », prévoit Yvan Bourgnon. Idée révolutionnaire, le navire fonctionnera à 75 % grâce aux énergies renouvelables embarquées (2.000 mètres carrés de panneaux solaires et 4 gréements automatisés sur mâts rotatifs pour capter les vents). Le quart restant viendra de la pyrolyse des déchets plastiques non recyclables collectés.

D'un coût de 30 millions d'euros, le « Manta » est en cours de financement, grâce notamment à une campagne de crowdfunding et aux mécénats. « J'ai bon espoir de boucler le financement d'ici à quatre ans pour une première campagne en 2021. Notre modèle économique est viable. Le coût de collecte du « Manta » se situe aux environs de 300 euros la tonne. Ce chiffre n'a rien de délirant par rapport aux 150 euros du coût de collecte du plastique assuré par l'intermédiaire des poubelles jaunes que chacun connaît », explique Yvan Bourgnon. Les zones d'intervention se concentreront aux embouchures des grands fleuves d'Asie (Yang Tsé Kiang, Indus, Gange…) ainsi qu'au large des grandes métropoles côtières.

Yvan Bourgnon n'est pas un doux rêveur isolé. Une autre grande campagne de collecte de déchets plastiques lancée par l'ONG néerlandaise Ocean Cleanup vient de démarrer.

Un vaste filet pour Ocean Cleanup

Depuis septembre, l'organisation pilotée par le jeune Boyan Slat a déployé son premier système de nettoyage. « Sorte de Pac-Man géant », le dispositif, remorqué par un navire, se présente comme une barrière flottante en forme de U de 600 mètres de long avec une jupe de 3 mètres attachée en dessous. Il est conçu pour être propulsé par le vent et les vagues. Initialement déployé au large des côtes de San Francisco, il doit poursuivre sa route vers l'immense vortex de déchets plastiques du Pacifique nord, entre Hawaii et la Californie. Un gigantesque tourbillon d'une superficie deux fois plus grande que le Texas et plus communément appelé « huitième continent » ou « soupe plastique ».

Le huitième continent

Boyan Slat espère, d'ici à deux ans, une flotte d'environ 60 systèmes similaires dans cette zone du Pacifique. Ocean Cleanup pense pouvoir y enlever la moitié du plastique dans un délai de cinq ans.

Capter les macrodéchets d'abord

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Il faut agir avant que les macrodéchets plastiques tels que mégots de cigarette (bourrés de plastique et autres composés issus de leur combustion), bouteilles, bouchons, emballages alimentaires, sacs, couvercles et pailles ne viennent s'échouer sur les plages. « Il est impératif d'intervenir avant que ce plastique ne se dégrade en une soupe qui ne pourrait être traitée qu'en tamisant l'eau des océans contaminés. Une tâche insurmontable », avertit Yvan Bourgnon. De plus, ces microparticules peuvent prendre des centaines, voire des milliers d'années, à se décomposer dans la nature. Pour éviter ce travail de titan, le mieux est encore d'agir plus en amont pour éviter un tel déversement.

Aujourd'hui, seulement 9 % des 9 milliards de tonnes de plastique que le monde a déjà produit ont été recyclés et 12 % incinérés. Le solde, 79 %, se balade dans la nature dans les décharges ou enfoui dans le sol.

Avec le risque de se retrouver un jour ou l'autre dans l'océan ou de contaminer des zones terrestres entières. « Entre5 et 13 millions de tonnes de déchets plastiques se déversent chaque année dans les océans », relève l'Agence internationale de l'énergie (AIE) dans une étude sur l'avenir de la pétrochimie parue en octobre dernier. « En l'absence de mesures draconiennes, ce déversement dans la mer et les océans augmentera probablement en raison de la forte croissance de la demande en plastique », dit-elle. « Les déchets marins devraient s'accroître avec l'augmentation de la population et de la consommation par habitant, en particulier dans les zones urbaines et les économies en développement rapide », alerte aussi la Banque mondiale.

Aujourd'hui, les pays en développement consomment à peine 4 kilos par habitant de résines plastiques contre 55 à 80 kilos dans les pays riches. C'est dire le danger potentiel qui menace. « D'ici à 2050, la quantité de plastique dans l'océan devrait dépasser 500 millions de tonnes avec une fourchette estimée entre 320 et 860 millions de tonnes, dépassant de loin des niveaux déjà inacceptables », estime l'AIE.

Vers une nouvelle norme

D'où les initiatives pour modifier nos usages. La navigatrice Ellen MacArthur, via sa fondation, a lancé, le 29 octobre à Bali lors du sommet Our Ocean, une vaste coalition rassemblant entreprises, Etat, universitaires, investisseurs pour créer une « nouvelle norme » pour les emballages plastique. Pourquoi ? Parce que « les emballages plastique comptent pour près de la moitié des déchets plastiques au niveau mondial (47 % en 2015) et beaucoup sont jetés quelques minutes après leur première utilisation », souligne Erik Solheim, ex-directeur du Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue) dans un rapport de son département sorti en juin dernier.

L'objectif de la coalition d'Ellen MacArthur est de réutiliser, de recycler ou de composter la totalité des emballages plastique d'ici à 2025. « Nous avons déjà obtenu l'engagement des entreprises à l'origine de 20 % de la production des emballages plastique », se réjouit la navigatrice.

Quand on navigue seule au milieu des vastes étendues d'eau, loin des côtes, on apprend à ne pas gaspiller

Cheveux courts coupés à la garçonne, visage poupin, avec une pointe d'accent britannique lorsqu'elle s'exprime en français, Ellen MacArthur milite depuis quatre ans pour renforcer l'économie circulaire. « Quand on navigue seule au milieu des vastes étendues d'eau, loin des côtes, on apprend à ne pas gaspiller. L'économie circulaire prend alors tout son sens. Voilà pourquoi je me suis lancée dans cette bataille », confie-t-elle, ravie de compter à ses côtés les géants de l'agroalimentaire que sont Coca-Cola, Pepsi Cola, Unilever, Metro, Walmart, Nestlé, Marks and Spencer, Pernod Ricard, Danone ainsi que L'Oréal, Carrefour, Suez et Veolia.

Des pays et des villes à la pointe

Au niveau national, le Japon, la République de Corée, les Pays-Bas et Singapour ont adopté une législation et des politiques pour lutter contre les déchets marins.

De nombreuses villes améliorent aussi leurs pratiques de gestion des déchets et certaines appliquent des interdictions ou des pénalités sur le plastique, comme au Kenya et au Rwanda. Aux Etats-Unis, San Francisco comme Seattle ont interdit l'usage des sacs plastique, ce qui a entraîné une réduction de 72 % des déchets plastiques sur les plages locales de 2010 à 2017. Dès 2019, la Californie proscrira toute distribution automatique de paille en plastique dans les cafés et restaurants. La Tunisie a son programme national de récupération et de recyclage des emballages. Plus de 150.000 tonnes de détritus plastiques depuis le lancement du programme en 2001 ont été collectées, dit la Banque mondiale.

Dans l'Union européenne, le Parlement européen s'est prononcé le 24 octobre en faveur de l'interdiction prochaine d'objets en plastique à usage unique, comme les cotons-tiges, les couverts, les assiettes, les pailles, les mélangeurs de cocktail, les tiges de ballons gonflables ou encore les touillettes. Les députés européens ont même rajouté à la liste les emballages de fast-food en polystyrène.

La question des pays en développement

En octobre, la Banque européenne d'investissement, l'Agence française de développement (AFD) et la KfW allemande ont mis sur la table 2 milliards d'euros dans le cadre de leur initiative Clean Oceans pour réduire la pollution des océans au cours des cinq ans à venir. « Nous avons une forte demande de financement de projets environnementaux de la part des grands pays émergents, tels que la Chine, le Brésil, l'Indonésie, mais aussi du Pérou, de la Colombie et de la Thaïlande. C'est ce qui a motivé cette initiative à trois », explique Gilles Kleitz, directeur du département transition écologique et ressources naturelles de l'AFD.

« Clean Oceans mettra plus particulièrement l'accent sur les zones riveraines et côtières des pays en développement en Asie, Afrique et Moyen-Orient. 90 % des déchets plastiques pénètrent en effet dans les océans par 10 grands réseaux fluviaux situés en Afrique et en Asie, où l'accès à la collecte régulière des déchets et à l'élimination contrôlée des déchets fait souvent défaut », indique les trois intéressés.

A l'avenir, c'est bien au niveau des pays en développement et des pays émergents que tout va se jouer. Selon les Nations unies, « seize des vingt pays contribuant aux déchets plastiques marins sont des pays à revenu intermédiaire dont la croissance économique a surpassé le développement des infrastructures de gestion des déchets ». Plus de la moitié du plastique dans l'océan, selon l'AIE, provient de sources d'origine terrestre de cinq pays : la Chine, l'Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam. La course contre la montre est bel et bien engagée.

Richard Hiault 

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