Trois combattantes de Marseille
Toutes les photos sont de Xavier Lours.

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Les combattantes des quartiers Nord de Marseille

Depuis trois ans, un gymnase du 13e arrondissement de la cité phocéenne accueille des cours de MMA, dispensés par une femme pour des femmes.

Ce soir-là, elles sont douze. Certaines sont voilées, parfois de la tête aux pieds, d’autres sont en t-shirt et laissent apparaître leurs nombrils. Nous sommes aux pieds des tours du quartier de Frais-Vallon, dans le 13e arrondissement de Marseille. Dans ce gymnase municipal un peu défraîchi, Samantha Jean-François donne son cours de Mixed Martial Arts (MMA) hebdomadaire. Un art martial dont les compétitions sont interdites en France, car jugé trop violent. Mais Samantha balaie tout ça d’un revers de la main. Elle voit dans cette discipline beaucoup de persévérance, de stratégie et de force. Et elle a décidé d’apprendre tout ça aux filles du quartier.

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L'entrée du gymnase, quartier de Frais-Vallon.

Samantha est une jeune Réunionnaise, filiforme et tout en muscles. À 32 ans, elle a déjà exercé trois métiers. Gendarme, gestionnaire administrative, et enfin coach sportive. Son histoire avec le MMA commence sur son île natale. C'est là-bas qu'elle découvre cet art martial complet qui associe lutte au corps à corps et boxe. La jeune femme devient très vite excellente dans les disciplines qui composent le MMA et se construit une carrière hors-norme. En 2015 elle décroche le titre mondial de K-1 et de grappling, puis remporte plusieurs compétitions de MMA. La dernière en date, c’était en Ukraine, il y a 5 mois.

Viennent ensuite les envies d'ailleurs. Elle déménage à Marseille en 2013. « J’avais besoin de quitter mon île, d’aller voir ailleurs» justifie-t-elle. Après quelques mois comme coach sportive dans la région, elle décide de créer sa propre structure de MMA à destination des femmes des quartiers nord de Marseille. Car si les compétitions sont interdites, les cours eux, sont autorisés et connaissent un certain succès auprès du public.

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En 2016, Samantha Jean-François visite des salles municipales dans les 13e et 14e arrondissements de la cité phocéenne. Les fameux quartiers Nord de la ville. C’est ici, un peu par hasard, qu’elle décide de construire une nouvelle étape de sa vie. Le fruit d’une rencontre amoureuse. Finalement, elle pose ses sacs de frappe et ses altères à Frais-Vallon, aux pieds des tours du 13e arrondissement. Un quartier plus connu pour son trafic de stups que pour ses structures sportives, mais Samantha y croit et fait rouvrir un vieux gymnase du quartier oublié par la ville. Lumière jaune crue, murs verdâtres, vestiaires à l’abandon… rien n’arrête la Réunionnaise. « Personne ne voulait du lieu, il était totalement insalubre, mais j’ai demandé à la mairie de refaire les sanitaires, le toit qui menaçait de tomber et aujourd’hui, tout le monde veut y donner des cours! », s’amuse la jeune femme.

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Les cours de MMA ont enfin pu commencer. Deux soirs par semaine, ils sont réservés aux filles. Du jamais vu dans ce quartier. Très vite, elle comprend que son cours devient un refuge pour les femmes victimes de violences. Des femmes qui viennent voir si, elles aussi, peuvent apprendre à enfin rendre les coups qu’elles reçoivent. Ou juste, à se défendre.

Et les violences faites aux femmes, Samantha connaît. C’est à la Réunion, dans son entourage proche, qu’elle y est confrontée dès son adolescence. Sa tante se faisait frapper par son mari. Samantha l’a vite compris. Elle a assisté aux scènes, en a parlé à sa tante, puis a essayé de la convaincre de quitter son tortionnaire, sans jamais y parvenir. De cette expérience est née une envie d’aider les autres femmes à s’en sortir.

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Samantha Jean-François.

C'est le cas de Sonia. Nous rencontrons la jeune blonde peroxydée de 38 ans dans la petite salle qui sert de vestiaire. Ça sent la vieille chaussette et la sueur. Assise sur une pile de poids, la jeune femme nous raconte son histoire. C’est en emmenant sa fille aux cours de judo dispensés par le compagnon de Samantha que Sonia découvre le MMA. Les deux femmes se rencontrent et Sonia entame ses premières séances d'arts martiaux mixtes. « Pour moi ça a été un déclencheur, raconte la jeune femme. Samantha m’a forcée un jour à crever l’abcès. »

« Mais je ne suis pas une femme battue hein, tient à préciser Sonia. Non, une femme battue, c’est tous les jours qu’elle se prend une gifle, moi c’était pas tous les jours »

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La Réunionnaise, elle, se rappelle surtout des bleus, des yeux tuméfiés, des traces de coups sur les épaules de Sonia. Elle lui propose une séance de « coaching personnalisé ». En tête-à-tête, avec un sac de frappe entre elles deux. Samantha pousse à bout Sonia. Jusqu’à ce qu’elle craque et raconte enfin ce qui la mine depuis des années. Un compagnon violent, de 20 ans son aîné. « Mais je ne suis pas une femme battue hein, tient à préciser Sonia. Non, une femme battue, c’est tous les jours qu’elle se prend une gifle, moi ce n'était pas tous les jours. »

Pourtant, au fur et à mesure de la discussion et des souvenirs qui refont surface, la jeune quadra semble réaliser à nouveau l’enfer de violences qu’elle a vécu. Il y a l’anecdote du flingue sur la tempe, toute une nuit durant. « Je ne savais pas s’il était chargé ou non ». Celle où il l’a étouffée avec un coussin sur le canapé. Celle où il lui lance un cintre en pleine figure qui lui ouvre le crâne. Sonia restera 10 ans avec Alain. Dix années de souffrances mais aussi d’amour fou et passionné. « J’aurais pu mourir pour lui, souffle-t-elle de sa voix rauque. C’était comme dans une secte, c’était mon gourou, j’étais totalement sous emprise. » Puis vient le coup de trop, huit jours d’ITT, la plainte déposée au commissariat. Et les séances de Samantha.

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À gauche, Sonia.

« Je lui suis hyper reconnaissante parce que c’est ça qui m’a fait sortir de ma relation », lâche Sonia dans un souffle. Aujourd’hui, tout serait différent assure la jeune femme. « Je ne me laisserais pas faire. Quand il me plaquait au sol, je ne savais pas comment réagir, aujourd’hui je lui mettrais une branlée. Le sport de combat m’a appris à être beaucoup plus calme, à analyser la situation. Et surtout, je sais que je peux faire mal, moi aussi. »

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« Me dire que ce que j’apprends ici, je peux m’en servir dehors si besoin, ça me donne confiance en moi. Dans ces quartiers, c’est un plus de savoir se défendre, contre les hommes comme les femmes. » – Sabrine, 23 ans

Une fois l’interview terminée, la jeune femme court enfiler ses baskets et sa brassière roses, et se met à taper de toutes ses forces dans les petits sacs de frappe en cuir tenus par sa partenaire. « Uppercut ! Crochet ! Direct ! ». La voix de Samantha résonne dans le gymnase. Tout comme les cris des trois enfants de l’une des filles. Ici, on vient comme on peut.

La présence du photographe contraint certaines à se voiler. Sabrine, 23 ans, porte un djilbeb bleu clair. Depuis 3 ans, la jeune élève infirmière vient se défouler aux cours de Samantha. « Me dire que ce que j’apprend ici, je peux m’en servir dehors si besoin, ça me donne confiance en moi. Dans ces quartiers, c’est un plus de savoir se défendre, contre les hommes comme les femmes », lance la jeune fille en rigolant, quelques gouttes de sueur perlent sur ses tempes.

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Audrey, 30 ans, maman célibataire et commis de cuisine. Elle vient ici depuis septembre, avec ses 3 enfants qui jouent au fond du gymnase pendant le cours.

Samantha, elle, semble quasiment ne pas transpirer. « Allez, c’est dans la tête ! ». Elle hurle aux filles de tenir la position de la chaise contre le mur du fond. Vingt secondes. Elles doivent ensuite traverser le gymnase « en sauts de grenouille ». Les cuisses brûlent, le souffle manque. « C’est là que je travaille leur mental », glisse la jeune femme en souriant. Elle regarde avec bienveillance « ses filles ». « J’essaye de leur faire comprendre que la violence qu’elles vivent chez elle ou dans la rue, n’est pas une fatalité. Elles peuvent lutter, ne pas se laisser faire ». Et Samantha voit la majorité de ces femmes évoluer, se transformer, au fil de l’année. Celles qui au début parlaient peu, s’ouvrent progressivement, grâce à une confiance retrouvée. « Je leur transmet des principes de vie: ne plus tolérer la violence physique, verbale, et exiger une totale égalité avec les hommes. »

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Une fois la glace brisée, comme avec Sonia, Samantha accompagne. Jusqu’au bout. Et joue tous les rôles: la psy, la confidente et l’assistante sociale. « Je fais toutes les démarches avec elles, je les aide à contacter les associations qui vont les épauler, les psychologues, je met le dispositif en place. Ma démarche n’est plus du tout professionnelle mais très personnelle ». Samantha en est fière, elle « fait du social » comme elle le dit. D’ailleurs, ça se ressent jusque sur le tarif des cours. 150 euros l’année voire… rien du tout, pour celles qui ne peuvent pas payer.

Depuis l’an dernier, l’effectif du groupe a légèrement diminué. Elles sont désormais une quarantaine. Mais Samantha s’en fiche, au contraire. « Ça prouve que ça marche pour elles, qu’elles n’ont plus besoin de moi ». Et c’était bien ça, l’objectif de départ. « Qu’elles n’aient plus besoin de personne. »

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