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«Ce que le macronisme doit au hollandisme»

François Hollande et Emmanuel Macron, lors de la passation des pouvoirs à l'Élysée le 14 mai 2017. AFP/ ALAIN JOCARD

FIGAROVOX/TRIBUNE - Alors que monte la grogne des Gilets jaunes, François Hollande a beau jeu de prendre ses distances avec son successeur : d'après l'économiste David Cayla, il a en réalité mené une politique semblable à celle d'Emmanuel Macron en faisant de la fiscalité son seul instrument de politiques publiques.


David Cayla est économiste, maître de conférences à l'université d'Angers. Il est l'auteur, avec Coralie Delaume, de La Fin de l'Union européenne (Michalon, 2017). Dans son dernier ouvrage, L'économie du réel(De Boeck supérieur, 2018), il critique le simplisme des modèles de la science économique contemporaine et propose une approche de l'économie plus proche de celle des autres sciences humaines.


Il est de retour! À force d'enchaîner les réunions publiques et les passages médiatiques, il fallait bien qu'à un moment ou un autre sa docte parole se fraye un chemin jusqu'à nos oreilles matinales. Ce fut le cas ce lundi matin sur France Inter où il était reçu par Nicolas Demorant et Léa Salamé qui semblaient ravis de pouvoir en faire l'opposant responsable au macronisme déclinant.

Le François Hollande nouveau aime jouer de la posture et se poser en sauveur ; il exhibe les cicatrices de sa vie politique tel un vieux combattant tanné par un mandat présidentiel. N'a-t-il pas choisi Macron comme conseiller puis comme ministre, lui demande-t-on? Ce n'était qu'un collaborateur obéissant à ses directives, répond-il. Le vieux sage en profite pour appeler son successeur à plus d'écoute, distillant des conseils en forme de reproches pour mieux surfer sur l'impopularité présidentielle. Ragaillardi par sa tournée-spectacle dans les librairies de France et de Navarre, le nouvel Ex n'a jamais renoncé à la vie politique et entend bien se placer aux avant-postes du champ de ruine que sont devenus son parti et son camp politique.

L'écologie par les prix

L'époque est à l'écologie? Hollande s'affirme comme un grand protecteur de l'environnement et affirme qu'à l'Élysée il faisait lui-même le tour des bureaux pour éteindre les lumières. Lorsqu'on lui rappelle qu'il est à l'origine de la taxe carbone contre laquelle se révoltent les «gilets jaunes» il assume sans détour, expliquant tout de même que le calendrier de la hausse fiscale aurait été plus graduel s'il avait pu rester aux affaires.

Car François Hollande est un fervent croyant de l'écologie par les prix. Le «prix du carbone», qu'il appelle de ses vœux, est censé être la solution parfaite aux problèmes environnementaux. Fidèle aux apôtres de l'économie «mainstream», de Jean Tirole au récent prix Nobel d'économie William Nordhaus, il croit aux super-pouvoirs de la fiscalité. Mettre un prix au carbone, c'est le rendre moins attractif et pousser le marché à s'ajuster de lui-même vers la sobriété écologique, estime-t-il. Mais cela ne va-t-il pas porter atteinte au pouvoir d'achat des Français? Qu'à cela ne tienne! Il suffit de redistribuer aux Français les plus modestes les profits de la taxe et le tour est joué!

Amputé de la possibilité d'engager des politiques budgétaire, industrielle, commerciale ou monétaire, les politiques n'ont plus que des solutions fiscales.

L'idéologie du marché est de nous faire croire que tout problème économique peut facilement se résumer à une question de prix. Le prix est censé déterminer l'offre et la demande aussi sûrement que les quantités de CO2 déterminent le climat. C'est la croyance fondamentale du hollandisme: augmenter le prix du gasoil par une fiscalité écologique, c'est donc nécessairement agir pour la réduction des émissions des gaz à effet de serre. Et tant pis si le prix du carbone existe depuis 2005 pour les industriels européens et que les résultats n'ont guère été probants! L'expérience a montré que non seulement le marché du carbone était incapable d'atteindre un niveau incitatif pour pousser vraiment les entreprises à engager de véritables changements de pratiques, mais aussi que la volatilité des prix était telle qu'elle favorisait davantage la spéculation que l'investissement de long terme.

Les limites du fiscalisme politique

Le hollandisme est un fiscalisme. Une fascination pour la solution fiscale assez symptomatique de la part d'un ex-chef d'État qui a eu largement l'occasion de s'apercevoir, en cinq ans de présidence, que pratiquement tous les leviers économiques lui échappaient. Amputé de la possibilité d'engager des politiques budgétaire, industrielle, commerciale ou monétaire - celles-ci ont été décidées une fois pour toutes par les traités européens - les responsables politiques français en sont réduits à engager toute leur énergie créative dans des solutions fiscales. Ils finissent par se persuader que l'incitation par les prix entraîne mécaniquement des comportements vertueux. Une politique de l'emploi? On fait un crédit d'impôt pour l'emploi. Une politique de recherche? On fait un crédit d'impôt recherche. Une politique de santé publique? On augmente les taxes sur le tabac et l'alcool. Développer l'attractivité de la France? On baisse la fiscalité sur les investissements des entreprises.

Le macronisme poursuit le sillon tracé par son ex-patron élyséen: une politique écologique? On augmente la fiscalité sur le gasoil. Une politique sociale? On baisse la taxe d'habitation. Une politique d'attractivité? On supprime l'ISF… Et tout est à l'avenant. Le macronisme est la maladie sénile d'un hollandisme dégénéré: une pensée qui croit que non seulement l'économie, mais aussi toute grande question politique, sociale, écologique ou autre peut se résoudre en jouant des manettes fiscales. La révolte des «Gilets jaunes», pense-t-on en haut lieu, sera matée par une prime à la reconversion et une taxe flottante sur les carburants. La macronie risque de payer cher cette illusion.

La gouvernance par les nombres

Dans un récent ouvrage particulièrement stimulant, le juriste Alain Supiot a analysé les fondements de cette nouvelle pensée politique dont il fait le titre de son livre: La gouvernance par les nombres. Pour Supiot, l'idéologie portée par la mise en œuvre d'un système où le marché fonctionne comme un mécanisme incitatif a fini par créer chez nos dirigeants un nouvel «imaginaire cybernétique» fondé sur la croyance qu'il est possible de «programmer» les individus en jouant sur les incitations. Dans cette conception du monde, une loi n'est pas bonne ou mauvaise en vertu d'un principe transcendant (est-elle juste?) conforme à un idéal social?) mais par rapport à ses effets sur les comportements ; un système juridique est évalué non pas en fonction de l'idéal qu'il promet mais en fonction de son efficacité par rapport aux systèmes juridiques concurrents dans la compétition mondiale.

La société n'est pas réductible aux intérêts économiques.

Il faut donc que la France s'ouvre à la mondialisation et soit «compétitive». Toutes les autres valeurs sont subordonnées à cet impératif. Comparons-nous à l'Allemagne si «performante», négocions des traités de libre-échange avec la terre entière, acceptons le dumping social du travail détaché… et déplorons ensuite la montée des populismes et la révolte de ceux qui décidément ne comprennent vraiment rien à l'économie. Ce projet qui se soumet sans fard aux «lois» de l'économie est celui d'un monde plat et froid, sans espace social, sans véritable projet démocratique et, en fin de compte, dépourvu de toute humanité. Il est parfaitement résumé par Alain Supiot: «Le projet de la globalisation est celui d'un Marché Total, peuplé de parties contractantes n'ayant entre elles que des relations fondées sur le calcul d'intérêt.»

Indispensable retour aux projets politiques

Qu'on l'appelle «néolibéralisme» ou «technocratie», la gouvernance actuelle de la France sous la supervision des traités européens ne peut conduire qu'à l'impasse. Le peuple a besoin d'un projet politique qui ne peut se réduire à des mesures fiscales. La société n'est pas réductible aux intérêts économiques. La dignité ne s'achète pas par une mesure fiscale, fût-elle «calibrée», éco-responsable et socialement juste.

Plus largement, l'État ne parviendra pas à transformer le système productif et à accompagner une véritable transition énergétique par de simples mesures incitatives. On veut croire qu'être plus écologique c'est changer les comportements: prendre une douche plutôt qu'un bain, éteindre les lumières, baisser le chauffage, investir dans une voiture électrique, prendre moins l'avion… Chacun est invité à sauver la planète en agissant sur son comportement personnel et en développant une forme de consommation citoyenne. Mais l'écologie n'est pas plus réductible aux comportements que la société n'est réductible aux individus. Le mouvement des «Gilets jaunes» devrait pourtant dessiller les plus récalcitrants à l'évidence: prendre sa voiture n'est pas une affaire de choix personnel mais de structures collectives. Alors qu'on ferme les petites lignes ferroviaires au nom de la rentabilité et de la concurrence et que, faute de moyens financiers, les collectivités territoriales sont contraintes de revoir à la baisse leurs offres de transports publiques, les discours qui stigmatisent les classes moyennes et populaires sont non seulement inefficaces mais surtout injustes. Plus encore à l'heure où l'État abandonne aux forces du marché l'ensemble de ses politiques publiques.

«Ce que le macronisme doit au hollandisme»

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23 commentaires
  • kouni54

    le

    Ce que le macronisme doit au bollandisme ? Les socialistes planqués chez LREM !

  • Nouchka

    le

    Mais arrêtez c'est Bruxelles et Berlin avec tous leurs technocrates que nous payons. SARKOZY a commencé
    HOLLANDE a continue en asphyxiant le peuple
    MACRON nous écrase financièrement Tout ces 3 ont exécuté les ordres de Merkel Pognon, pognon ou fric fric, nous savons que c'est ces hauts technocrates qui imposent. Aucun de ces trois présidents n'ont su protéger les interêts de la France. Ils sont toujours déscendus de l'avion froc baissé. Il est là le drame alors peut-être que le prochain président sera une femme avec une belle paire de …...

  • Albert

    le

    Très bonne analyse, mais pourquoi s'arrêter à Hollande ? Sarkozy a commencé le délire fiscal à la fin de son mandat...

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