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Salah Badi, le milicien libyen qui se compare à George Washington

Seuls les combats, et pas l’ONU ou le gouvernement d’union nationale, feront pression sur les partis en Libye pour qu’ils mettent fin à leur guerre, a déclaré le chef de milice à MEE
Salah Badi, ancien parlementaire libyen et chef de milice, est une personnalité clivante (MEE/Francesca Mannochi)

TRIPOLI – Un commandant de milice libyenne, sanctionné le 19 novembre par le Trésor américain, s’est comparé à George Washington et a défendu les combats qui lui ont valu son inscription sur la liste noire des sanctions américaines.

Salah Badi, ancien officier de l’armée autrefois emprisonné pour dissidence, fut un héros lors du soulèvement de 2011 contre le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Il avait notamment mené une milice de Misrata à la victoire. Il a ensuite remporté un siège aux élections législatives du pays en 2012.

George Washington était un gars de la milice… et il a fondé les États-Unis après la guerre civile. Les États-Unis, qui dirigent le monde libre, ont été créés par un milicien. Je suis comme lui

- Salah Badi, chef des brigades al-Samoud

Mais ces dernières années, après avoir démissionné de son poste et pris les armes en tant que chef de milice, il est devenu un personnage clivant. Certains le voient comme une force défendant le pays, d’autres comme un pillard prêt à prendre les armes quand il n’obtient pas ce qu’il veut.

Dans le cadre de la coalition Aube de la Libye, Badi a combattu le colonel Khalifa Haftar, retraité de l’ère Kadhafi, lors de l’opération Dignité contre ce que ce dernier qualifiait de milices islamistes. La coalition s’est emparée de Tripoli et le principal aéroport a été détruit lors des combats.

Depuis 2015, Badi est basé en Turquie, mais il est rentré à Tripoli fin août pour soutenir une opération lancée à l’origine par la septième brigade de Tarhounah, une milice armée de Tarhounah, ville du sud-est de la Libye, afin de reprendre la capitale à une coalition d’autres milices accusées de corruption.

« Nous appelons chaque homme libre à se lever pour sauver la capitale corrompue. Ceux qui restent n’ont plus que deux options : se rendre ou affronter leur châtiment », a-t-il déclaré dans une vidéo largement diffusée après son retour.

« Nous nous dresserons contre ceux qui humilient les habitants de la capitale. Les corrompus sont nos ennemis. »

Le 19 novembre, le Trésor américain a sanctionné Badi, l’accusant de saper la sécurité libyenne en attaquant des groupes alignés sur le Gouvernement d’union nationale (GNA) soutenu par l’ONU.

Dans un communiqué, le Trésor américain a déclaré que les forces de la milice de Badi – les brigades al-Samoud – avaient utilisé des roquettes Grad extrêmement destructrices dans des zones densément peuplées lors d’affrontements qui ont duré un mois à Tripoli en septembre.

Des miliciens libyens fidèles au Gouvernement d’union nationale se battent, à Tripoli, en septembre 2018 (AFP)

Dans un entretien accordé à Middle East Eye ce mois-ci, Badi a toutefois rejeté les sanctions et défendu les actions de son groupe en septembre. Il s’agissait selon lui d’un effort plus vaste visant à empêcher Haftar d’acquérir davantage de pouvoir.

Alors que les deux milices cherchaient à évincer la coalition qui s’était emparée de la capitale, Tarhounah prévoyait de forcer Haftar à travailler avec le gouvernement civil par la suite. « Mais Haftar a une autre idée en tête : il prépare un coup d’État », a déclaré Badi à MEE.

La milice de Haftar avait donc pour objectif « de maintenir la septième brigade de Tarhounah éloignée du grand Tripoli ».

Les sanctions américaines contre Badi sont intervenues alors que le Comité des sanctions contre la Libye du Conseil de sécurité de l’ONU a imposé ses propres sanctions financières au chef de la milice. La liste sur laquelle figure désormais Badi oblige tous les membres des Nations unies à imposer un gel des avoirs et une interdiction de voyager.

Selon Badi, sa présence sur la liste indique clairement « que l’ONU est une sirène médiatique qui essaie de disculper des criminels et de déformer d’autres chiffres ».

« Je ne fais pas confiance à l’ONU ou à ses actions. À cause de ce gouvernement soutenu par l’ONU, la Libye se dégrade chaque jour économiquement, politiquement, tout craint »

- Salah Badi, chef des brigades al-Samoud

Pourtant, bien que Badi se décrive comme un défenseur du pays contre les milices, il est lui-même le chef d’une milice et a été accusé de nombreuses destructions dans cet État déchiré par la guerre. MEE lui a demandé comment il était possible de concilier les deux.

« Je suis un patriote », a-t-il répondu. « George Washington était un gars de la milice et j’ai raconté cela aux Américains que j’ai rencontrés. Et il a fondé les États-Unis après la guerre civile. Les États-Unis, qui dirigent le monde libre, ont été créés par un milicien. Je suis comme lui. »

Et se battre, a-t-il déclaré à MEE, est le seul moyen de résoudre les problèmes de la Libye.

« Je ne fais pas confiance à l’ONU ou à ses actions. À cause de ce gouvernement soutenu par l’ONU, la Libye se dégrade chaque jour économiquement, politiquement, tout craint », a-t-il déclaré. « Haftar tient l’Est et l’ONU a pris l’Ouest par l’intermédiaire du gouvernement qu’elle soutient, qui a pénétré de force à Tripoli par bateau. »

Badi a déclaré qu’il ne considérait pas le dirigeant du GNA, Fayez al-Sarraj, comme un dirigeant doté d’une crédibilité ou d’un pouvoir quelconque.

« Sarraj agit uniquement comme le maire de Tripoli », a déclaré Badi à MEE (AFP)

« Sarraj agit uniquement comme le maire de Tripoli car ses décisions ne peuvent pas toucher d’autres régions. La partie orientale de la Libye, le Sud et d’autres parties occidentales de la Libye n’obéissent pas à ses décisions », a-t-il déclaré.

« Sarraj et les autres n’ont pas lutté pour la liberté contre Kadhafi, même lorsque la révolution avait commencé », a déclaré Badi.

Badi a souligné ses propres qualifications. Alors qu’il était pilote à l’Académie de l’armée de l’air libyenne, il était chargé des affaires étudiantes. Selon son récit, c’est pendant cette période qu’il a préparé un coup d’État contre Kadhafi. Son nom a été mis sur une liste de personnes interdites de sortie du pays.

« Moi, j’étais un opposant à Kadhafi et j’ai été poursuivi trois fois, j’ai été inculpé deux fois [et] condamné à 25 ans de prison et à une peine de mort », a-t-il clamé.

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« La peine de mort a toutefois été abandonnée, parce qu’à l’époque, le mouvement ‘’Libye de demain’’ du fils de Kadhafi, Saïf al-Islam, avait promis de gracier de nombreuses personnalités de l’opposition, dont lui-même. »

D’après lui, ni l’ONU, ni le président du GNA ne seront en mesure d’éliminer les milices qui ont pris le contrôle des institutions gouvernementales et alimenté la violence dans le pays.

Les affrontements à Tripoli en septembre, a-t-il déclaré, ont montré que les combats sont efficaces. Certaines des institutions, par exemple auparavant contrôlées par des milices, ont été libérées.

« Seule la guerre peut parvenir à cela. Nous leur avons donné une opportunité et l’ONU n’a pas joué son rôle, alors je pense que la guerre est une manière de faire pression sur eux. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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