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Les réfugiés burundais, victimes sans fin d’une crise oubliée

Nourriture, éducation, sécurité… Plus que les autres exilés, les personnes qui ont fui le Burundi manquent de tout, comme dans le camp de Nakivale, en Ouganda.

Par Armel Gilbert Bukeyeneza (Nakivale, envoyé spécial)

Publié le 03 décembre 2018 à 17h32, modifié le 03 décembre 2018 à 17h32

Temps de Lecture 5 min.

Dans le camp de réfugiés de Nakivale, en Ouganda, en mai 2009.

Au milieu de la savane, une jungle d’habitations. Cabanes en dur et abris de fortune dessinent à perte de vue l’un des plus grands et plus vieux camps de réfugiés d’Ouganda : Nakivale. Un nom qui résonne avec tous les conflits de cette zone.

Avec plus de 100 000 exilés venus du Burundi, de République démocratique du Congo (RDC), d’Erythrée, d’Ethiopie, du Rwanda, de Somalie et des deux Soudans, le district d’Isingiro, dans le sud-ouest du pays, sait ce qu’est un réfugié. Pourtant, sous ce terme se cachent de très grandes disparités, de nombreux degrés dans la misère. Et ici comme ailleurs, les moins bien lotis sont les Burundais. Récemment, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) rappelait que « la crise burundaise est la plus sous-financée au monde ».

« C’est une crise dont on n’entend pas parler et à laquelle on accorde peu d’attention », s’est même émue Helena Christensen, photographe, mannequin et sympathisante du HCR, depuis le camp de Mahama, au Rwanda, mi-novembre. Pourtant, ils sont 366 000 Burundais éparpillés dans les pays de la sous-région (Ouganda, Kenya, Tanzanie, Rwanda et RDC) depuis 1993 et le début du conflit. Aujourd’hui, nombre d’entre eux sont en mal d’une ration alimentaire quotidienne, victimes sans fin d’une crise qui s’éternise.

Les maîtres et les asservis

A Nakivale, les Burundais mesurent chaque jour l’oubli dont ils font l’objet, même si le premier abord est trompeur : on se croirait dans un village, avec ses échoppes, ses bars, ses restaurants, son parking qui connecte le camp avec la ville la plus proche, Mbarara.

Par un soir de novembre, dans la vallée coincée sous le quartier Kabazana, largement peuplé de Burundais et de Rwandais, des chants montent d’une église catholique, mais ce ne sont pas des cantiques. Et pour cause, l’église a été transformée en école par Hope International School, qui veut apprendre à lire et compter à 130 petits Burundais qui n’ont pas pu se payer une vraie école et arrivent le ventre vide le matin.

« L’éducation est très chère ici », explique l’enseignant de Hope International School, debout dans les décombres des salles de classe emportées par la dernière intempérie : « Comme les Burundais sont les plus pauvres de tous les réfugiés, nous nous sommes organisés, avec l’appui de l’Eglise catholique, pour improviser des classes et permettre aux enfants de suivre des cours. Nous leur demandons une très petite somme, 13 000 shillings ougandais par trimestre [environ 3 euros], pour assurer le minimum des besoins. Mais même ça, c’est compliqué. Il n’y a pas de matériel didactique. Nous travaillons dans une précarité totale. »

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A côté de Hope International School, il y a la crèche islamique et les écoles primaires des Congolais ou des Ethiopiens. Toutes sont entre les mains de particuliers qui font de l’enseignement un commerce comme un autre. A Nakivale, le business est roi. Il y a les riches et les pauvres, les maîtres et les asservis, comme « ces Banyamulenge [un groupe rwandophone originaire de l’est de la RDC] qui doivent faire la vaisselle pour les Somaliens contre quelques pièces de monnaie », rappelle un guide du lieu.

Dans l’affaire, les Burundais ont hérité du mauvais rôle. « Le gouvernement ougandais a donné des terres à ceux qui sont arrivés il y a longtemps, au début de la crise. Les Rwandais, les Somaliens, les Congolais et les Erythréens ont eu le temps de faire fortune dans l’agriculture avant que l’Ouganda ne change ses règles. Désormais, on ne donne qu’une toute petite parcelle, juste pour se construire une petite maison. Les Burundais sont arrivés au mauvais moment », explique-t-on au sein du groupe de l’université Makerere installé là pour offrir une assistance juridique.

Peur des infiltrés

Dans ce contexte difficile, Zainabu, veuve, a vite fait son choix : ses deux filles et son fils n’iront pas à l’école. « Envoyer un enfant me coûterait au moins 100 000 shillings. Je ne peux trouver une telle somme nulle part », se désole celle qui a perdu une partie de ses capacités physiques lors d’une attaque à Bujumbura, en 2015 : des balles lui ont broyé la jambe gauche, la main droite et un sein. Bien décidée à monter quand même un petit business de crêpes qu’elle prépare elle-même pour nourrir ses trois enfants, Zainabu ne veut pas non plus entendre parler des écoles du HCR, gratuites. « Là, tu n’es même pas sûre que ton enfant se présentera en classe ou fera l’école buissonnière, car il y a tellement de monde que les enseignants ne peuvent pas assurer un suivi personnel », déplore-t-elle.

Une critique d’ailleurs partagée par Catherine Wiesner, coordinatrice régionale de l’agence de l’ONU, qui reconnaît que « les écoles dans les camps de réfugiés en Ouganda sont surpeuplées » : « C’est vrai pour les réfugiés de Nakivale, mais la situation est similaire pour tous les groupes de réfugiés du pays. A Kyangwali, nous avons parfois 19 enseignants pour 4 000 étudiants. Le HCR travaille avec le gouvernement ougandais pour construire plus d’écoles et recruter davantage d’enseignants qualifiés. » Mais l’argent manque. Le HCR n’a pour l’heure reçu que 42 % des 415 millions de dollars nécessaires (près de 370 millions d’euros) pour le million de réfugiés accueillis par l’Ouganda.

Oubliée, fauchée, traumatisée, Zainabu, qui dit avoir été blessée par les services de sécurité du gouvernement lors des manifestations de 2015 contre le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, ne désespère pas de retourner au Burundi. En attendant, la sécurité du camp de Nakivale l’inquiète un peu, il y aurait des infiltrés. Zainabu n’est pas tranquille, Eric non plus. Il raconte : « J’ai tenté d’aller au Burundi pour chercher un document de voyage. Et j’ai été arrêté là-bas par quelqu’un en tenue policière pour qui j’avais construit une maison dans le camp et qui disait être réfugié. Nous ne savons plus qui est qui ici. »

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Au-delà des mauvaises conditions de vie et du peu d’attention, l’infiltration est, d’après plusieurs témoignages sur place, l’une des plus grandes menaces qui pèsent sur la tête des Burundais de Nakivale. C’est d’autant plus grave que leur exil pourrait bien durer encore, car le dialogue censé mettre fin à la crise vient de se terminer en queue de poisson. L’opposition s’est présentée aux discussions à Arusha, en Tanzanie. Mais elle était seule.

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