Chronique «Miroir d'outre-Rhin»

En Allemagne, les gilets jaunes ou les habits neufs de l'extrême droite

Miroir d'outre-Rhindossier
Chronique sur la vie, la vraie, vue d’Allemagne. Ce voisin qu’on croit connaître très bien mais qu’on comprend si mal. Au programme de cette semaine, le faible écho populaire que rencontre le mouvement des «gelbe Westen».
par Johanna Luyssen, correspondante à Berlin
publié le 5 décembre 2018 à 6h02

Cela reste un sondage, mais tout de même. Selon une enquête en ligne publiée lundi par Die Welt/Civey, à la question «Pensez-vous que des protestations à la manière des gilets jaunes français soient possibles en Allemagne ?», 43,8% des sondés ont répondu «plutôt pas». Il est vrai que, hormis quelques manifestations le week-end dernier dans le pays, dont une à Berlin rassemblant environ un millier de personnes, l'Allemagne ne s'est «plutôt pas» engouffrée dans le mouvement des gilets jaunes – «gelbe Westen» dans la langue de Brecht.

Mais pourquoi ? On ironisera en disant que c'est par manque de ronds-points (aux dernières nouvelles, le pays en compte 17 658, contre… 63 212 pour la France). Cette cruelle carence expliquerait peut-être l'action coup de poing de ces six gilets jaunes (et un chien), à Munich le 25 novembre. Ces derniers ont tenté de bloquer, à défaut de rond-point donc, un passage piéton, dans une chorégraphie très Monty Pythonesque.

Pourtant, en Allemagne aussi, les raisons de la colère sont là. Dans ce pays plus peuplé que la France (82 millions d'habitants), les inégalités sociales sont criantes. En outre, l'Allemagne fait face depuis quelques semaines à une hausse conséquente du prix du carburant, ainsi qu'à de controversées interdictions de rouler pour les vieux diesels dans certaines villes. Indispensable afin d'augmenter la qualité de l'air dans le pays, cette dernière mesure suscite une angoisse sourde chez beaucoup d'usagers. Ajoutons que les prix de l'immobilier explosent, surtout dans les grandes villes. Et que 7,5 millions personnes carburent aux «minijobs», ces emplois d'appoint plafonnés à 450 euros par mois. Ainsi, l'Allemagne peut-elle s'enorgueillir d'un taux de chômage très bas (4,8%) ; mais il s'accompagne d'une hausse de l'emploi atypique (CDD, temps partiels). Comme l'écrivait dans Libération l'économiste Bruno Amable au printemps, le système social allemand «semble aussi fait pour permettre la persistance d'une pauvreté acceptable dont il peut être difficile de sortir».

Homogénéité politique

Bref, cette Allemagne qui peine à boucler les fins de mois aurait elle aussi pu exprimer sa colère face à la hausse des prix du carburant. Mais cela n’est pas arrivé. Et la question de l’essence a bien vite été reléguée au second plan, recouverte par celle, autrement plus bankable en Allemagne, de l’immigration, avec en guest-star la nouvelle bête noire de l’extrême droite allemande : le pacte de l’ONU sur les migrations, qui doit être adopté à Marrakech les 10 et 11 décembre. Bref, samedi à Berlin, un traditionnel agrégat composé principalement de militants du mouvement islamophobe Pegida et du parti d’extrême droite AfD ont vêtu leurs plus beaux gilets jaunes pour réclamer, très classiquement, le refus du pacte de l’ONU sur les migrations ainsi que le départ de la chancelière.

Cela dit, cette homogénéité politique est peut-être l'une des raisons qui empêche le grand public de se joindre aux protestations, selon le web-activiste de gauche Frank Stollberg, qui scrute depuis Dresde la scène d'extrême droite en Allemagne. «Derrière les gilets jaunes, on trouve des activistes d'extrême droite bien connus. Il n'existe pas une variété de profils comme on peut le voir en France», explique-t-il.

Sinon, à gauche, le soutien au mouvement français est timide. Certes, la co-fondatrice du mouvement citoyen Aufstehen et co-présidente du groupe Die Linke (gauche) au Bundestag, Sahra Wagenknecht, a exprimé sa sympathie pour le mouvement français. Mais en ajoutant, non sans lucidité : «Bien sûr, j'aimerais que nous ayons aussi, en Allemagne, de fortes protestations contre un gouvernement qui considère les lobbys économiques comme plus importants que les citoyens lambda. Mais la France est différente. La France est toujours beaucoup plus spontanée.»

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