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Défense

Dans l’antre du nouveau sous-marin nucléaire français Barracuda

Dans son usine de Cherbourg, Naval Group met la dernière main au Suffren, le premier sous-marin nucléaire d’attaque de nouvelle génération de la Marine nationale. Un véritable défi industriel. Visite guidée.

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Le Suffren, premier sous-marin nucléaire d'attaque de la famille Barracuda

Le Suffren, premier sous-marin nucléaire d'attaque de la famille Barracuda. Livraison prévue en 2020

Naval Group

Il est là, au milieu de l’immense nef Laubeuf, cathédrale de verre et d’acier au cœur du site de Naval Group à Cherbourg. Le Suffren, premier exemplaire de la nouvelle série de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) français Barracuda, déploie sa silhouette noire et ses 5.100 tonnes au centre d’une impressionnante forêt d’échafaudages. Après plusieurs années de portes closes, la Direction générale de l’armement et Naval Group ont accepté d’ouvrir les portes de l’usine à une poignée de journalistes. La visite se fait sous haute surveillance : photos interdites, smartphone relégué dans une enveloppe scellée, agents de sécurité aux aguets. Les tubes lance-torpilles et les flancs du sous-marin, sur lesquelles sont intégrées des antennes latérales, ont même été protégées des regards indiscrets par des bâches en plastique. "Une photo est vite partie à Moscou ou à Pékin", sourit un familier des lieux.

Paranoïaques, Naval Group et la DGA ? On le serait à moins. Le chantier est aussi exceptionnel que stratégique. Le Suffren, qui sera livré mi-2020 à la Marine nationale, représente 8 millions d’heures de travail, contre 50.000 heures pour un avion de ligne. Le programme occupe 2.000 salariés dans huit sites français de Naval Group, plus 500 personnes chez les sous-traitants. Le défi ? Enorme : dans l’impressionnante structure noire de 99 mètres de long, les ingénieurs, techniciens et ouvriers doivent intégrer une chaufferie nucléaire, une zone vie pour 63 marins, des équipements de plusieurs centaines de tonnes reliés par 160 km de câble et 20 km de tuyaux. Ce puzzle géant de 750.000 pièces (100.000 pour un avion de ligne), une fois assemblé, doit être indétectable par l’ennemi et capable de missions de 70 jours en autonomie complète. "Un engin de ce type est plus compliqué à assembler que l’Etoile noire de Star Wars", rigole Alain Morvan, le directeur du site.

Traque de sous-marins russes

Pour mener à bien le développement, Naval Group a largement misé sur le numérique : des salles de réalité virtuelle, dans lesquelles les opérateurs sont immergés dans la maquette en 3D du navire, permettent de vérifier que les opérations de montage sont bien réalisables. Les outils numériques aident également à gérer l’insertion des énormes blocs d’équipements, dits "berceaux", dans les tronçons du sous-marin. "Il faut arriver à une précision de l’ordre du centimètre", pointe Vincent Martinot-Lagarde, directeur du programme Barracuda chez Naval Group.

Si la France a tant investi dans ce programme (9,1 milliards d’euros, selon la DGA, soit 1,5 milliard par engin), c’est que les sous-marins nucléaires d’attaque sont des outils essentiels. Complémentaires des quatre sous-marins nucléaires d’attaque (SNLE) de la classe le Triomphant, dont la mission est d’emporter le missile balistique M51 de la dissuasion française, les SNA sont de véritables couteaux suisses des mers. Ils escortent et protègent le porte-avions Charles de Gaulle. Mènent des missions de renseignement en Méditerranée orientale. Traquent le sous-marin russe dans les eaux de l’Atlantique. Ils peuvent également être utilisés pour sécuriser les sorties et entrées des SNLE dans la rade de Brest, des sous-marins russes ayant été observés à plusieurs reprises à proximité des côtes françaises.

Club des six

L’avantage du sous-marin nucléaire, c’est son autonomie : contrairement à ses congénères à propulsion diesel, les SNA et SNLE ont une autonomie quasi-illimitée grâce à leur propulsion nucléaire. "Le temps de mission n’est limité que par les vivres à bord, et le degré de fatigue de l’équipage", résume le capitaine de vaisseau Bertrand Dumoulin, ancien pacha du SNA Perle et du SNLE le Terrible. Seuls six pays disposent de sous-marins nucléaires d’attaque : les Etats-Unis, la Russie, la France, la Chine, le Royaume-Uni et l’Inde. D’autres en rêvent, et pas seulement en se rasant. Le Brésil, qui assemble actuellement quatre Scorpène (à propulsion conventionnelle) de Naval Group dans son usine de Itaguai, près de Rio de Janeiro, compte ainsi développer son premier SNA dans la foulée. Il prend en charge la conception de la chaufferie nucléaire, la France n’exportant pas cette technologie sensible.

Les Barracuda, deux fois plus gros que les SNA actuels de classe Rubis (livrés de 1983 à 1993), marqueront une rupture pour les capacités de la Marine. "Ils pourront être déployés deux fois plus longtemps, seront deux fois plus rapides et pourront emporter deux fois plus d’armes", détaille Vincent Martinot-Lagarde. Principale nouveauté : les Barracuda pourront embarquer le missile de croisière naval (MdCN), un missile de plus de 1.000 km de portée destiné à frapper des cibles terrestres à distance de sécurité. "Tirer ce missile d’un sous-marin, par essence indétectable, permet de frapper l’ennemi par surprise, explique Bertrand Dumoulin. Nous serons les seuls en Europe à pouvoir tirer ces missiles à la fois depuis des frégates et des sous-marins, ce qui peut permettre de saturer les défenses aériennes adverses." Les Barracuda seront également équipés des nouvelles torpilles lourdes F21, de missiles antinavires Exocet. Ils pourront aussi déployer les mines marines FG29.

Adieu périscopes

Le Barracuda intègre une autre nouveauté, digne des films de James Bond : le DDS (Dry Deck Shelter), un hangar amovible de 43 tonnes fixable sur le dessus du sous-marin. Cette structure est destinée à accueillir les petits sous-marins, dit PSM3G (propulseurs sous-marins de troisième génération), utilisés par les nageurs de combat pour des missions d’infiltration derrière les lignes ennemies. "Sur les SNA actuels, on devait faire passer les commandos par les tubes lance-torpilles, ce qui n’est pas franchement confortable", rappelle Bertrand Dumoulin.

Naval Group a aussi travaillé l’agilité de son sous-marin : grâce à sa barre en X à l’arrière du navire, dite en "croix de Saint-André", l’engin vire 30% plus vite que ses prédécesseurs. La vitesse tactique maximale, c’est-à-dire la vitesse maximale à laquelle le navire est silencieux, a été sensiblement augmentée. "Le niveau exact est classifié", indique Vincent Martinot-Lagarde. Les dernières technologies ont aussi été intégrées. Les traditionnels périscopes ont laissé place à des "mâts optroniques" doté de caméras haute résolution, de systèmes infra-rouge et d’intensification de lumière. Le commandant verra donc la situation tactique depuis des écrans. Autre amélioration : le cœur nucléaire du Barracuda ne nécessitera des opérations de maintenance que tous les dix ans, contre sept ans sur les Rubis.

Trois ans de retard

La Marine attend donc de pied ferme ses six SNA de type Barracuda, qui seront livrés de 2020 à 2029 au rythme d’un tous les dix-huit mois. Le Suffren, premier de série, doit être transféré à l’été 2019 dans un bassin spécial, sous autorité de la DGA, où il sera mis à l’eau. C’est dans cette zone que sera chargé le combustible nucléaire, et réalisée la première "divergence" (démarrage) du réacteur. En attendant, tous les systèmes sont en cours de tests : sonars, communications, sécurité incendie… et cuisines. "Ces derniers jours, nous avons cuit le premier pain à bord", raconte Hervé Glandais, responsable du chantier.

Les marins rongent leur frein depuis un bout de temps : le programme accuse trois ans de retard, des imperfections ayant été constatées sur certains sous-ensembles de la partie nucléaire. "La DGA et Naval Group ont perdu des compétences entre la génération du Terrible, le dernier SNLE mis en service en 2010, et celle du Barracuda, décrypte le député du Finistère Jean-Charles Larsonneur, rapporteur des crédits d’équipements à la commission de la défense de l’Assemblée nationale. Les Britanniques ont rencontré ce problème avec le développement des Astute. Ils l’ont réglé en faisant appel aux Américains. Ces retards sont donc regrettables mais compréhensibles s’agissant d’une nouvelle génération de sous-marins." La date de 2020 sera tenue, assurent Naval Group et la DGA : "Nous avons repris en main une situation qui était en train de dériver de manière un peu dangereuse", résumait le délégué général pour l’armement Joël Barre en février devant les députés de la commission de la défense.

Autonomie stratégique

L’essentiel est sauf : malgré les retards, bugs techniques et surcoûts, la France a réussi à préserver son autonomie stratégique sur l’ensemble de la conception de ses sous-marins nucléaires et de leur armement. Là où le britannique BAE a dû demander l’aide de l’américain General Dynamics pour boucler le développement de ses sous-marins Astute, le Barracuda reste de conception 100% française. Naval Group, maître d’œuvre du système, conçoit également son système de combat SYCOBS (dérivé de celui des SNLE) et ses torpilles. TechnicAtome, ancienne filiale d’Areva nationalisée en 2017, est en charge de la chaufferie nucléaire. Thales est en charge des sonars, Safran Electronics & Defence (ex-Sagem) des mâts optroniques. MBDA développe le missile de croisière naval MdCN et les missiles Exocet qui seront embarqués sur les Barracuda.

Ces sous-marins 100% français ne laissent pas indifférent à l’étranger : les douze sous-marins commandés en 2016 par l’Australie seront des dérivés à propulsion classique du Barracuda. Naval Group envisage également de proposer un dérivé du Barracuda aux Pays-Bas, dans la compétition pour remplacer les vieux sous-marins de classe Walrus.

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