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Interview

Téléthon 2018 : «On peut industrialiser le traitement d'une maladie très rare»

Fragilisé par la baisse des dons cette année alors que des avancées notables sont à mettre à son crédit, l'événement caritatif dont la 32e édition débute vendredi soir dans toute la France se voit perturbé par le mouvement des gilets jaunes.
par Eric Favereau
publié le 5 décembre 2018 à 16h18
(mis à jour le 5 décembre 2018 à 16h38)

C'est la tuile. L'année dernière, ce fut la mort de Johnny qui monopolisa les esprits et les foules aux dépens des mille et une actions prévues par le Téléthon. Cette année, en raison des manifestations des gilets jaunes, les organisateurs de l'édition 2018 ont dû changer en catastrophe le lieu de leur podium central, qui devait être ce samedi place de la Concorde à Paris, et tout rapatrier dans les studios de France Télévisions. «Contrairement à ce que l'on croit, rien n'est gagné, le Téléthon est un événement fragile, nous disait récemment Laurence Tiennot-Herment, sa présidente. Et l'on a toujours cette peur qu'un événement extérieur ne le fragilise encore plus.»

Cette année, la crainte est là, bien réelle, que le mouvement des gilets jaunes éclipse tout le reste, affaiblissant les initiatives locales. Et cela est d’autant plus inquiétant que les dons aux associations en France sont en forte baisse en 2018, entre la mise en place du prélèvement à la source, la réforme de la CSG et la suppression de l’ISF.

Le Téléthon cru 2018, qui débute ce vendredi soir, se veut pourtant comme une embellie qui se poursuit. Avec un objectif clair : la guérison. Pour certaines maladies rares, cela commence à devenir une réalité. «Ce n'est pas vraiment le moment de baisser les bras», insiste la présidente.

Entretien avec Serge Braun, directeur scientifique du Téléthon depuis 2005.

Il y a un an, vous présentiez des résultats d’un essai de thérapie génique sur la myopathie moléculaire. Sur le chien, les résultats étaient spectaculaires, et vous deviez commencer un essai sur l’enfant. Où en est-on ?

Cela se confirme. Lors de ce Téléthon, nous allons montrer une vidéo de l’amélioration, là aussi spectaculaire, chez un enfant qui peut de nouveau marcher après un an de traitement. C’est une myopathie rare, qui touche un garçon sur 50 000, soit moins d’une dizaine par an en France, mais les effets sont lourds, tous les muscles sont rapidement atteints, avec une faiblesse généralisée. L’enfant doit vite être trachéotomisé. Et un sur deux meurt avant l’âge de 2 ans. Il n’existait, alors, aucun traitement. Le changement est énorme. Sept enfants ont été traités et l’amélioration est manifeste chez chacun d’entre eux, mais on le fait progressivement. Cela montre, en tout cas, que ce modèle de thérapie génique fonctionne.

Vous continuez donc dans cette optique…

Oui, car nous entrons de plus en plus dans la logique des médicaments. Des hypothèses sont devenues des preuves, et maintenant ces médicaments doivent pouvoir entrer dans le système de santé. Je prends un autre exemple, avec une forme particulière de maladie des «bébés-bulles» [dépourvus de défenses immunitaires, ndlr] qui montre bien ces nouvelles formes d'entente. L'un des géants de l'industrie pharmaceutique, l'anglais GSK, a conclu avec notre petite sœur italienne, la Fondazione Telethon, un partenariat stratégique inédit. GSK a acquis auprès d'elle une licence exclusive pour la commercialisation d'un traitement par thérapie génique de ce que l'on appelle le déficit en adénosine désaminase (ADA-SCID). Cette maladie touche 350 patients à travers le monde. Elle ne constitue pas en soit un marché industriel, mais grâce à cela, un tabou a été levé : on peut industrialiser le traitement d'une maladie très rare, de surcroît par thérapie génique que les industriels se contentaient jusqu'à présent d'observer sans trop chercher à s'y investir.

Y a-t-il d’autres essais en cours ?

Il y a des médicaments qui sont utilisés sur certains cancers alors qu’ils étaient appliqués au départ sur les maladies rares. Ainsi une maladie du foie, dite de Crigler-Najjar, peut être mortelle. Une patiente vient de recevoir un traitement. D’origine génétique, cette maladie se caractérise par l’accumulation anormale de bilirubine, une substance pigmentée jaune fabriquée par le foie, dans tous les tissus de l’organisme et dans le cerveau. Lorsque l’enzyme chargée de l’éliminer ne fonctionne pas, la bilirubine s’accumule, provoquant une jaunisse intense et chronique. Si elle n’est pas traitée rapidement, cette accumulation peut générer d’importants dommages neurologiques et devenir mortelle. Véritable espoir pour les malades, cet essai européen va inclure 17 patients. Nous avons engagé près de 12 millions d’euros dans les phases de recherche et développement qui ont permis d’aboutir à cet essai.

Vous évoquez aussi des avancées sur l’amyotrophie spinale infantile ?

Oui, avec un médicament qui va être mis sur le marché. Il va permettre à des enfants de vivre presque normalement, avec un simple traitement tous les quatre mois. Là encore, c’est le même parcours : après que le Généthon a mis ce traitement sur les rails, c’est le laboratoire AveXis, aujourd’hui racheté par Norvatis, qui a déposé une demande d’autorisation de mise sur le marché auprès des autorités de santé américaine, européenne et japonaise de son produit de thérapie génique. Et le 3 décembre, Novartis a pu annoncer que la FDA américaine a validé le dépôt du dossier et va réaliser un examen prioritaire du produit sous le nom de Zolgensma.

Mais n’est-ce pas une toute petite goutte d’eau par rapport aux 8 000 maladies rares, qui touchent globalement une personne sur vingt ?

Non, l’espoir se concrétise, on a chaque année une trentaine d’essais actifs. Et dans les années qui viennent, on va assister à une forte montée en puissance.

Au point que maintenant, vous parlez même de guérison…

Cela devient un terme justifié. Les thérapeutiques commencent à faire leurs preuves, ouvrent des perspectives pour beaucoup d’autres maladies, y compris vers des maladies fréquentes comme les cancers. On récolte les fruits d’un travail de près de trente ans.

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