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Au Mozambique, des tests high-tech pour dépister le VIH chez les bébés

Sida, les nouvelles armes de l’Afrique (5). Le dépistage précoce du nourrisson est un enjeu majeur pour nombre de pays du continent : sans traitement, la moitié des enfants contaminés meurent avant l’âge de 2 ans.

Par  (Matola, Mozambique, envoyé spécial)

Publié le 04 décembre 2018 à 18h51, modifié le 04 décembre 2018 à 18h51

Temps de Lecture 5 min.

Dans un centre de santé du disctrict de Manhica, au nord de Maputo, la capitale du Mozambique en 2016.

Courbée en deux, Anatalia M. pose son bébé sur son dos et l’enroule dans une capulana, le pagne multicolore que les femmes utilisent au Mozambique pour porter leur enfant. L’infirmière attrape le pied du tout-petit et lui pique l’orteil en un éclair. Elle empoigne ce qui ressemble à une petite cartouche d’imprimante pour y déposer une goutte de sang du bébé, et l’insère dans une machine de la taille d’une friteuse. Cinquante-six minutes plus tard exactement, un double bip retentissant annonce la fin de l’analyse. Le résultat est imprimé automatiquement : Igor, un mois, est séronégatif, et sa mère, séropositive, pousse un énorme soupir de soulagement.

Présentation de notre série Les nouvelles armes de l’Afrique

Depuis 2016, l’introduction de cette nouvelle technique de dépistage révolutionne la prise en charge des nourrissons potentiellement porteurs du VIH. Le « POC » (pour point of care), permet de réduire à rien le temps qu’il fallait jusque-là pour déterminer le statut sérologique d’un bébé né d’une mère séropositive, et accélérer d’autant sa mise sous traitement. D’abord testées au Mozambique et au Malawi, ces plateformes de diagnostic précoces sont désormais implantées dans huit autres pays d’Afrique subsaharienne avec le financement de l’agence internationale Unitaid en partenariat avec l’Initiative Clinton pour l’accès à la santé (CHAI) et l’Unicef : Cameroun, Ethiopie, Kenya, Ouganda, République démocratique du Congo, Sénégal, Tanzanie et Zimbabwe.

Résultat faussé

Au Mozambique, l’arrivée du POC est salutaire : 9 800 enfants sont morts du sida en 2017, et seulement la moitié des enfants exposés au VIH ont fait l’objet d’un test de dépistage, selon les dernières données de l’Onusida. En Afrique australe, l’ancienne colonie portugaise fait figure de mauvais élève : 59 % des séropositifs seulement connaissent leur statut, 54 % sont sous traitement et 75 % ont une charge virale indétectable, ce qui les rend non contaminants. On est loin de l’objectif des « trois 90 % » pour 2020 fixé par l’Organisation mondiale de la santé.

A Matola, la ville la plus peuplée du pays qui jouxte la capitale, Maputo, le centre de santé décrépit contraste avec l’installation high-tech du POC. Chargée de superviser le déploiement des machines dans la province, Nelice Mate, du ministère de la santé, explique fièrement : « Les données sont transmises tous les soirs à un serveur auquel j’ai accès directement depuis mon smartphone », détaille-t-elle en faisant défiler des tableaux sur son téléphone. Près de 400 tests ont été réalisés dans ce centre en novembre et 2 500 à travers tout le pays. « Ça me permet aussi de contrôler en temps réel l’utilisation des machines et de réceptionner les rapports d’erreur. » Au démarrage, certaines infirmières étaient dubitatives et quelques-unes « pensent encore que c’est de la sorcellerie », ajoute-elle, amusée.

Jusque-là, le dépistage du VIH chez les enfants de moins de 18 mois avait tout du jeu de devinette. Ce qui était inquiétant dans un pays comme le Mozambique, où le risque de transmission « verticale » du VIH de la mère à l’enfant avoisine les 30 % et peut survenir au cours de la grossesse, lors de l’accouchement ou durant l’allaitement. « A la naissance, la présence d’anticorps de la mère dans le sang du nouveau-né fausse le résultat donné par les tests rapides et peut laisser croire à une contamination » alors que l’enfant n’est pas forcément porteur du virus, explique Mireille Tribié, spécialiste du VIH au bureau mozambicain de l’Unicef.

Il est donc primordial de faire un dépistage précoce à partir de 4 semaines, sachant que le pic de mortalité des enfants contaminés se situe dans les deux à trois premiers mois de leur vie et que la moitié des enfants laissés sans traitement meurent avant leurs 2 ans. Avant les POC, il fallait attendre les résultats jusqu’à quatre mois tant les laboratoires étaient submergés. « Et les mères ne reviennent pas forcément les chercher, surtout dans les zones rurales, donc on perd beaucoup de patients », regrette Nelice Mate. Avec le POC, c’est différent puisque les enfants testés positifs sont immédiatement mis sous traitement. « D’après les études menées par le ministère de la santé, la mortalité a déjà baissé de 43 % à 15 % avec cette technique en presque deux ans, c’est incroyable ! », se félicite Mireille Tribié.

« Aucun pouvoir sur leur sexualité »

Dans la salle de consultation, Aida V. vient d’apprendre que sa fille de 9 mois, Yunety, est séropositive. Elle-même a découvert son statut au moment de l’accouchement. Testée un mois après sa naissance, Yunety était pourtant séronégative. Elle a donc certainement contracté le virus lors de l’allaitement, bien que sa mère prétende lui avoir donné un « sirop de prophylaxie » censé empêcher la contamination. Car, au Mozambique, pour protéger leur enfant à très court terme de maladies plus graves que le VIH – comme les diarrhées aiguës ou les infections pulmonaires –, on conseille aux mères séropositives d’allaiter quand même leur enfant jusqu’à ses 6 mois. Les anticorps que contient le lait maternel, même contaminé, restent efficaces.

L’infirmière soupire. « Ce n’est pas du tout ce qu’elle nous a dit… Elle affirmait ce matin ne pas connaître son statut, et qu’elle et son bébé n’avaient jamais été testés ! » Et d’ajouter : « Malheureusement, les mères mentent très souvent, même au personnel médical. Elles ont peur de la réaction de leur entourage et doivent souvent se cacher pour prendre leurs antirétroviraux. » D’ailleurs, avant de quitter la salle, Aida a tenu à expliquer que son conjoint était séronégatif. « Ma mère a le sida depuis dix ans, et je vis avec elle, c’est peut-être ça », tente-t-elle.

La stigmatisation est encore l’un des plus gros freins à la lutte contre le sida au Mozambique. L’épidémie est alimentée par les pratiques sexuelles à risques généralement des hommes, qui multiplient les partenaires, souvent plus jeunes qu’eux. « Ici, la femme n’a aucun pouvoir de décision sur sa sexualité. Elle ne peut obliger son partenaire à porter un préservatif par exemple », décrypte Nelice Mate.

« Acheter du crédit »

La grave crise économique que traverse le pays depuis 2016, où l’inflation a grimpé à 100 %, a eu pour effet d’augmenter la pratique du sexe tarifé, estime l’infirmière : « Les femmes sont parfois prêtes à s’infliger des relations avec un homme juste pour acheter du crédit et pouvoir manger. » Et, de l’avis de plusieurs organisations qui interviennent dans la lutte contre la pandémie, les efforts de prévention sont loin d’être au niveau. La prise en charge des patients largement portée par les ONG a pour effet de démobiliser les autorités locales, qui affectent une certaine désinvolture.

Et les coupes budgétaires dans le secteur de la santé compliquent le déploiement des POC, faute de personnel qualifié pour les utiliser. D’ici à la fin de l’année, 130 machines auront été mises en service sur tout le territoire, mais il faudrait en installer dans chacun des 1 400 centres de santé pour couvrir un pays grand comme une fois et demi la France.

En attendant, ces unités high-tech, installées en priorité dans les centres urbains comme Matola, contribuent au désengorgement des structures de santé classiques, où les délais ont pu être aussi réduits, et ont permis de tester d’une manière fiable et rapide des dizaines de milliers de bébés depuis 2016. « Pour nous c’est une grande satisfaction de savoir que plus aucun petit n’est en attente de résultat ! », se félicite Nelice Mate.

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.

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