Récit

En Espagne, une consultation pour couper court à la monarchie

A travers le pays, des volontaires organisent un référendum symbolique, pour ou contre le régime monarchique, dont la légitimité est remise en cause.
par François Musseau, correspondant à Madrid
publié le 5 décembre 2018 à 20h26

«Nous sommes chaque fois davantage, et au final personne ne pourra nous arrêter.» Nacho Del Barrio, la quarantaine, s'est rendu dimanche avec sa petite famille aux abords du marché de la Cebada, dans le quartier madrilène de la Latina. Des volontaires y ont installé des tables, des bulletins de vote et une urne de fortune en carton pour un référendum symbolique : «Monarchie ou république ? Penses-tu qu'il faille changer notre régime politique actuel ?»

Evidence. L'initiative a été lancée le 29 novembre et va se poursuivre jusqu'à la fin décembre. Elle mobilise la moitié des universités publiques espagnoles et des quartiers de plusieurs villes du pays. Elle intervient alors que l'Espagne va commémorer ce jeudi le 40e anniversaire de la Constitution. Electeurs du parti de la gauche radicale Podemos, tous les deux fonctionnaires régionaux, Nacho et sa compagne n'ont pas hésité : «Nous soutenons cette initiative de référendum consultatif : on nous a imposé et vendu la monarchie comme une évidence. Il est temps que nous, Espagnols, décidions si nous sommes d'accord ou pas. Nous, on veut une république, pas un régime héréditaire d'un autre âge.»

Autour de lui, les autres votants pensent peu ou prou la même chose. Tel Angel, volontaire de cette consultation officieuse qui ne semble nullement préoccuper les forces de l'ordre : «Ce mouvement avait commencé il y a deux ans, mais cette fois-ci, on est mieux organisés, plus nombreux, plus présents.»

Outre la Latina, une demi-douzaine de quartiers de Madrid sont à la manœuvre pour organiser et muscler un mouvement populaire qui remette en cause la monarchie et oblige les gouvernants à se positionner sur cette question.

Fécondation. Pour l'heure, les socialistes au pouvoir optent pour le silence et le statu quo. Mais Podemos, troisième formation parlementaire, s'est engagé dans cette demande. Son chef de file, Pablo Iglesias, a officiellement demandé à la Chambre des députés de travailler sur «la modification de la figure du chef de l'Etat», et qu'on accède à celle-ci «via des élections, et non via la fécondation», autrement dit de façon héréditaire. Actuellement, le chef de l'Etat est le monarque bourbon Felipe VI. Il règne depuis juin 2014 et l'abdication de son père, Juan Carlos, éclaboussé par une série de scandales de corruption et de mœurs.

A l'approche des cérémonies du 40e anniversaire présidées par Felipe VI, l'initiative pro-république gagne du terrain. Podemos parle d'inclure un millier de communes dans cette consultation symbolique. Le coup d'envoi a été donné par l'université autonome de Madrid où se sont prononcées 7 000 personnes, penchant à 83 % en faveur de la république. «En soi, le résultat n'avait pas d'importance, note Lucia Nistal, une porte-parole du mouvement. L'essentiel est de constater comment cette onde se répand rapidement. Je crois que c'est le bon moment : il coïncide avec une logique générationnelle.»

Selon le journal en ligne Contexto, 80 % des Espagnols n'ont pas voté lors du référendum d'approbation de la Constitution en 1978, qui consacrait la fin de la dictature franquiste et, avec habileté, mettait dans le même sac la restauration de la démocratie et l'établissement d'une monarchie constitutionnelle. Aujourd'hui, 60 % des Espagnols considèrent qu'il est «nécessaire» de se prononcer sur le type de régime politique.

Légitimité. Mais les autorités ne montrent pas beaucoup d'intérêt pour cette question. Depuis 2015, le Centre d'investigations sociologiques (un organisme public de référence) ne fait plus d'enquêtes sur la perception de la monarchie et l'envie d'un changement de régime. «Cela montre une crainte des élites, souligne David Jiménez, ancien directeur du journal El Mundo. Or, à l'inverse, même si le sentiment républicain est croissant auprès de la jeunesse [53 % des moins de 35 ans, selon Contexto, ndlr], la monarchie aurait tout intérêt à se légitimer via un référendum officiel afin de garantir sa continuité sur le long terme.»

Pour l'heure, l'institution monarchique souffre d'une grave crise de légitimité. Certes, Felipe VI, que d'aucuns comparent à l'austère monarque du XVIIIe siècle Carlos III, bénéficie d'une bonne image. Mais son beau-frère Iñaki Urdangarin purge une peine de prison pour avoir détourné des fonds publics. Quant à son père, le roi émérite Juan Carlos, il a été accusé l'été dernier d'avoir touché des commissions sur des contrats en Arabie Saoudite et d'avoir dupé le fisc.

La semaine dernière, le leader de Podemos, Pablo Iglesias, lançait aux députés nationaux : «Oui, la monarchie a joué un certain rôle positif pour notre démocratie. Mais, aujourd'hui, est-elle réellement utile ?»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus