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Arts : Mucha, un artiste à l’âge de l’industrie

Le musée du Luxembourg à Paris présente une centaine de pièces – affiches, peintures, photos – à cette figure de l’Art nouveau.

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Publié le 05 décembre 2018 à 16h54, modifié le 05 décembre 2018 à 16h54

Temps de Lecture 8 min.

Papier à cigarettes « Job », 1896 ‒ lithographie en couleur, 66,7 x 46,4 cm ‒ Fondation Mucha, Prague.

Alphonse Mucha (1860-1939) est l’un des imagiers les plus célèbres de son temps. Plusieurs de ses affiches sont devenues des icônes et, pour une fois, le terme est juste puisque l’artiste se réclamait de l’art byzantin. Son exposition au musée du Luxembourg à Paris a donc le succès attendu. Elle dispose une centaine de pièces dans une scénographie à arcades genre basilique : ses affiches des plus connues au moins illustres, ses peintures à ambition mystico-humaniste et son cycle L’Epopée slave qui l’a occupé plus de vingt ans, jusqu’à son achèvement en 1928. Cet ensemble monumental de scènes historiques et religieuses difficilement déplaçable est présenté sous forme de film. S’ajoutent des photographies de lui-même, de ses amis et de ses modèles dans l’atelier.

  • L’Exposition universelle de Paris ouvre ses portes en 1900 : Alphonse Mucha, considéré alors comme le « plus grand artiste décoratif du monde », est déjà une figure de proue du mouvement Art nouveau.

    Salon des Cent : exposition de l’œuvre de Mucha, 1897 ‒ lithographie en couleur, 66,2 x 46 cm ‒ Fondation Mucha, Prague

    L’Exposition universelle de Paris ouvre ses portes en 1900 : Alphonse Mucha, considéré alors comme le « plus grand artiste décoratif du monde », est déjà une figure de proue du mouvement Art nouveau. MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

  • Doté d’une solide formation académique, il a su développer un style très personnel fondé sur des formes sinueuses, des motifs floraux, des lignes ornementales et une gamme subtile de tons sourds ou de teintes pastel.

    Boîte pour les gaufrettes vanille Lefèvre-Utile, vers 1900 ‒ boîte en fer blanc, recouverte d’une étiquette lithographiée, 19,3 x 18,3 x 17,5 cm ‒ Fondation Mucha, Prague

    Doté d’une solide formation académique, il a su développer un style très personnel fondé sur des formes sinueuses, des motifs floraux, des lignes ornementales et une gamme subtile de tons sourds ou de teintes pastel. MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

  • « Mon art, si je peux l’appeler ainsi, s’est cristallisé. Il était en vogue. Il s’est répandu dans les usines et les ateliers sous le nom de “style Mucha” », affirmait-il.

    Papier à cigarettes « Job », 1896 ‒ lithographie en couleur, 66,7 x 46,4 cm ‒ Fondation Mucha, Prague

    « Mon art, si je peux l’appeler ainsi, s’est cristallisé. Il était en vogue. Il s’est répandu dans les usines et les ateliers sous le nom de “style Mucha” », affirmait-il. MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

  • Grâce au développement de la lithographie en couleur, l’affiche occupe à Paris une place centrale dans la culture visuelle. En 1896, il signe avec l’imprimeur parisien F. Champenois un contrat d’exclusivité qui lui assure alors une sécurité financière.

    « Le Zodiaque », 1896 ‒ lithographie en couleur, 65,7 x 48,2 cm ‒ Fondation Mucha, Prague

    Grâce au développement de la lithographie en couleur, l’affiche occupe à Paris une place centrale dans la culture visuelle. En 1896, il signe avec l’imprimeur parisien F. Champenois un contrat d’exclusivité qui lui assure alors une sécurité financière. MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

  • Variant à l’infini un répertoire de figures féminines entremêlées de fleurs et de volutes graphiques, le style « Mucha » lui confère une très grande notoriété et lui assure l’amitié d’artistes comme Paul Gauguin ou Auguste Rodin.

    « Femme à la marguerite », 1900 ‒ tissu, velours imprimé, 60 x 78,5 cm ‒ Fondation Mucha, Prague

    Variant à l’infini un répertoire de figures féminines entremêlées de fleurs et de volutes graphiques, le style « Mucha » lui confère une très grande notoriété et lui assure l’amitié d’artistes comme Paul Gauguin ou Auguste Rodin. MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

  • En marge de ses affiches, c’est également au tournant du siècle qu’il commence à concevoir un projet au long cours : dépeindre l’histoire et la civilisation des peuples tchèque et slave, renouant ainsi avec sa terre natale et ses origines.

    « Nuit sainte », vers 1900 ‒ pastel sur papier, 60 x 45,5 cm ‒ Fondation Mucha, Prague

    En marge de ses affiches, c’est également au tournant du siècle qu’il commence à concevoir un projet au long cours : dépeindre l’histoire et la civilisation des peuples tchèque et slave, renouant ainsi avec sa terre natale et ses origines. MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

  • Pour l’« Epopée slave », projet ambitieux réalisé entre 1911 et 1928, Alphonse Mucha choisit vingt grands épisodes qui ont jalonné l’histoire de ces peuples. Il y aborde tous les angles : politique et religieux, philosophique et culturel (une projection numérique, d’une durée de 10 minutes, du cycle est proposée au public dans l’exposition).

    Etude pour l’« Epopée slave » (cycle n° 6) : « Couronnement du tsar serbe Stepan Dusan comme empereur romain d’Orient », vers 1923-24 ‒ stylo, encre et aquarelle sur papier, 44 x 39 cm ‒ Fondation Mucha, Prague

    Pour l’« Epopée slave », projet ambitieux réalisé entre 1911 et 1928, Alphonse Mucha choisit vingt grands épisodes qui ont jalonné l’histoire de ces peuples. Il y aborde tous les angles : politique et religieux, philosophique et culturel (une projection numérique, d’une durée de 10 minutes, du cycle est proposée au public dans l’exposition). MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

  • Sa vie et ses activités artistiques sont par la suite guidées par son patriotisme qu’il ressent alors comme « une véritable force spirituelle ».

    Etude pour « Femme dans le désert », vers 1923 ‒ huile sur toile, 49,5 x 50 cm ‒ Fondation Mucha, Prague

    Sa vie et ses activités artistiques sont par la suite guidées par son patriotisme qu’il ressent alors comme « une véritable force spirituelle ». MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

  • « La mission de l’art est d’exprimer les valeurs esthétiques de chaque nation conformément à la beauté de son âme. La mission de l’artiste est d’enseigner au peuple à aimer cette beauté », confiait-il.

    Cathédrale Saint Vitus, « St Wenceslas (duc de Bohème), agenouillé près de la grand-mère Lumidla », 1931 ‒ encre, aquarelle sur papier, 92 x 139,5 cm ‒ Fondation Mucha, Prague

    « La mission de l’art est d’exprimer les valeurs esthétiques de chaque nation conformément à la beauté de son âme. La mission de l’artiste est d’enseigner au peuple à aimer cette beauté », confiait-il. MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

  • En retraçant la carrière de Mucha, l’exposition au Musée du Luxembourg tente de restituer le portrait d’un artiste visionnaire aux talents multiples.

    « Noël en Amérique », 1919 ‒ huile sur toile, 83 x 79 cm ‒ Fondation Mucha, Prague

    En retraçant la carrière de Mucha, l’exposition au Musée du Luxembourg tente de restituer le portrait d’un artiste visionnaire aux talents multiples. MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

110

Mais la première décennie de sa carrière est absente. Mucha, fils d’un huissier morave, se fait remarquer pour ses dessins dès la fin des années 1870. Il travaille chez un décorateur de théâtre à Vienne de 1879 à 1881 et regarde alors de près les tableaux d’histoire de Hans Makart (1840-1884), dont il s’est souvenu dans son Epopée slave. A partir de 1882, son savoir faire est assez connu pour qu’il vive de portraits et de commandes décoratives dans des châteaux.

Il ne vient à Paris qu’en 1887, élève à l’Académie Julian puis à l’Académie Colarossi, où enseignent des gloires académiques, dont Raphaël Collin (1850-1916). Or ce dernier préfigure dans plusieurs de ses œuvres le style de Mucha. De cela, les visiteurs du Luxembourg ne sauront rien. La première œuvre qu’ils découvrent est l’affiche pour Sarah Bernhardt dans le rôle de Gismonda, dessinée en décembre 1894, parue le 1er janvier 1895 et aussitôt célèbre, comme si Mucha était né ce jour-là.

Lignes sinueuses

Si ces éléments de biographie et de contexte ont été omis afin de le faire passer pour un génie qui aurait tout trouvé en lui-même, on doit rappeler que procéder ainsi n’est pas d’une grande rigueur. Il ne l’est pas plus de ne rien montrer de l’Art Nouveau, qui commence vers 1890 et dont Beardsley, Van Rysselberghe, les Britanniques du mouvement Arts & Crafts, les Catalans – dont Gaudi – et bien d’autres (Horta, Guimard etc.) sont les inventeurs. Il aurait fallu quelques dessins d’architecture de Bruxelles ou Barcelone ou quelques gravures de Beardsley pour indiquer qu’un mouvement international, nommé Art Nouveau en France, se diffuse depuis une demi-douzaine d’années en Europe quand Mucha s’y inscrit à son tour. Avec dextérité, il en reprend à son compte les lignes sinueuses, la prolifération des motifs végétaux et floraux, les plis et les chevelures en longues boucles qui sont, en 1894, déjà des figures de style répandues.

Mucha a une griffe : son style : une jeune femme un peu déshabillée mais pas trop, la ligne sinueuse et l’abondance ornementale

Il les applique à la principale vedette théâtrale du moment, Sarah Bernhardt, qui comprend combien il est avantageux pour elle de devenir l’égérie d’un courant moderne et déjà influent. En 1894, elle a 50 ans et des rivales qui ont la moitié de son âge. Les affiches de Mucha la rajeunissent : parce qu’elle y a l’air d’une jeune fille et parce que leur style est jeune en lui-même. En échange, la gloire mûre du théâtre français promeut son affichiste au rang de nouvelle gloire parisienne. Leur collaboration est l’une des plus précoces liaisons de la publicité et de l’art dans les sociétés modernes à la fin du XIX° siècle : un deal bien exécuté.

Sur ce point, Mucha est intéressant : comme précurseur de l’industrie de l’image telle qu’elle se développe au XXsiècle. Il a une griffe : son style, qui se reconnaît d’autant plus vite qu’il se fonde sur des principes visuels simples : une jeune femme un peu déshabillée mais pas trop, la ligne sinueuse et l’abondance ornementale.

A partir de 1895, il l’applique à tous produits et clients : la compagnie PLM, des maisons de champagne, le papier à cigarette JOB, des parfums, de gentilles allégories des arts en lithographie, les affiches et menus des pavillons d’Autriche et de Bosnie de l’Exposition Universelle de 1900. Il publie des modèles de motifs décoratifs afin de faciliter la diffusion de sa griffe. Il dessine des bijoux et produit un savon qui porte son nom, le Savon Mucha Violette. Il fait du business.

Concorde et sagesse

Et il l’enseigne aux Etats-Unis, où il est introduit par Adèle de Rothschild. A partir de 1904, il séjourne souvent à New York, Chicago et Philadelphie où il donne des cours d’ornement, peint des portraits et trouve un milliardaire pour financer L’Epopée slave. Celui-ci, Charles Richard Crane, héritier d’une fortune faite dans la mécanique, se veut homme politique : il appuie les revendications nationales en Europe centrale, est ambassadeur en Chine, finance la campagne du président Woodrow Wilson et, après 1918, devient le défenseur ardent de l’indépendance des nations arabes – ardent jusqu’à l’antisémitisme. Entre-temps, il permet donc à Mucha de réaliser son cycle slave. Sans doute l’artiste n’a-t-il alors pas clairement conscience des convictions de son mécène. Du moins veut-on le croire.

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Dans l’entre-deux-guerres, son style n’opère plus. La publicité a de nouveaux stylistes, qui proscrivent la courbe et les couleurs tendres. Lui se réfugie dans le rôle de grand artiste national tchécoslovaque tout en prônant la concorde et la sagesse entre les peuples. Arrêté par la Gestapo dès son entrée à Prague en mars 1939 en raison de son appartenance ancienne et proclamée à la franc-maçonnerie, il meurt peu après avoir été relâché.

Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, Paris 6e. Tél. : 01-40-13-62-00. Tous les jours de 10 h 30 à 19 heures, vendredi jusqu’à 22 heures. Entrée de 9 € à 13 €. Jusqu’au 27 janvier 2019.

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