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Gilets jaunes : quand des députés LREM cèdent à la théorie du complot

Des militants et députés de LREM ont relayé dans la nuit de mercredi une rumeur grossière selon laquelle le site giletsjaunes.com aurait été créé aux Etats-Unis, au lendemain de l'élection de Macron, par des proches de Steve Bannon
par Cédric Mathiot
publié le 6 décembre 2018 à 1h57

Question posée par Tib le 06/12/2018

Bonjour,

Votre question renvoie à la rumeur qui a enflammé une partie de la twittosphère macroniste dans la nuit de mercredi, rumeur selon laquelle le site giletsjaunes.com aurait été déposé aux Etats-Unis… juste une semaine après l'élection d'Emmanuel Macron, par des partisans de Steve Bannon, ex-conseiller de Donald Trump et maître à penser de l'altright américaine.

Sur quoi se base la rumeur? Sur une capture d’écran d’un site permettant de faire des recherches sur les noms de domaine, semblant indiquer que le site giletsjaunes.com a été créé à Denver (USA) le 15 mai 2017, soit quelques jours après l’arrivée de Macron au pouvoir. Pour certains, un indice ou une preuve que le mouvement qui secoue le pouvoir aujourd’hui n’est pas si spontané, et a même pu être manipulé de l’étranger.

Sur les réseaux, quelques militants isolés ont formulé cette étonnante hypothèse dans la journée de mercredi, mais c’est le compte militant Team Macron, qui a véritablement lancé la rumeur peu avant minuit.

Certains députés LREM ont immédiatement embrayé, comme la députée de l’Isère Émilie Chalas.

Aurore Bergé a également relayé le tweet de Coralie Dubost, autre députée du mouvement.

Sauf que la date du 15 mai 2017 que l’on voit effectivement, ne correspond pas forcément à la première création du nom de domaine, mais à sa date d’enregistrement sur NameBright, une société gérant la réservation des noms de domaine, offrant une protection privée pour éviter que des personnes découvrent à qui appartient un nom de domaine (une pratique courante).

Ainsi, l'adresse qui figure (à Denver, Colorado) est celle de NameBright, l'entreprise qui gère et vend les noms de domaines. L'entreprise a récupéré le nom de domaine, alors abandonné, le 15 mai 2017 pour le mettre en vente. On peut en effet vérifier que le nom de domaine était par exemple en vente en janvier et septembre 2018.

Un changement intervient le 23 novembre 2018 selon l’historique du nom de domaine. Selon toute vraisemblance, le nom de domaine a été acheté à cette date, donc après le début du mouvement des gilets jaunes. Certains éléments laissent penser que l’acquéreur est français et non américain : on retrouve en effet dans le code source de la page giletsjaunes.com, un lien vers "restezconnectes.fr", site francophone d’astuces pour créer son propre site Internet. L’acquéreur a visiblement essayé de faire quelque chose du site… sans y parvenir, puisque le site est inactif à ce jour.

Bref, on est très loin d’un site crée par un américain au lendemain de l’élection de Macron. Quant à l’affirmation qu’il pourrait s’agit de partisan de Steve Bannon, on est là dans le fantasme total.

Le site giletsjaunes.com était actif… en 2015

Par ailleurs, quelques recherches faciles (avec l'outil waybackmachine, qui permet de consulter les archives des sites) confirment que le site en question, giletsjaunes.com, n'a pas été créé en mai 2017, puisqu'il existait bien avant. On en retrouve par exemple trace en 2015.

Derrière ce site se trouvait déjà, coïncidence amusante, une contestation contre le gouvernement. Il s’agissait alors de protester contre la réforme des rythmes scolaires. Comme on le voit sur ces archives du fameux site datant de 2015, un collectif se faisant déjà appeler les gilets jaunes demandait l’abrogation du décret Peillon (du nom du ministre de l’éducation d’alors).

On trouve aussi des traces du mouvement sur Facebook.

Un article du monde daté de septembre 2014 décrivait par ailleurs les gilets jaunes de l'époque, avec des mots qu'on pourrait utiliser aujourd'hui pour qualifier le mouvement actuel:

«Ce mouvement, qui se présente comme «apolitique» et «asyndical», même s'il dispose de relais auprès des maires, n'a jamais fait dans la demi-mesure. Il a promis, avec le retour à la semaine de quatre jours et demi, un « cataclysme pour septembre 2014 » et même «la mort de l'éducation nationale ». Il a appelé le gouvernement à «arrêter le massacre ». Lui a promis, avant l'été, une «rentrée mouvementée» avec occupation d'écoles et boycott des mercredis de classe.

Plus loin, les journalistes ajoutaient :

«Il y a une forme de jusqu'au-boutisme teinté de désespoir dans les appels lancés par les Gilets jaunes, partisans du retour à la semaine de quatre jours.»

Le même article précisait que le mouvement des gilets jaunes avait même été créé en février 2013, par une femme trentenaire. Après quelques années de combat, il a fini par décliner. Le site, giletsjaunes.com, a cessé son activité, avant donc d’être récupéré en mai 2017 par une société de gestion de noms de domaine, qui l’a rapidement mis en vente.

Pas de quoi, en tout cas, imaginer un complot international visant Emmanuel Macron.

L’équipe du compte Team Macron et les quelques députés LREM ayant relayé la rumeur ont tous supprimé son tweet dans la nuit, après avoir été largement moqués par des internautes qui veillaient.

Cordialement

Pour aller plus loin :

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