L'angoisse d'un avocat de policiers: "Ils pensent qu'ils risquent d'être en devoir de sortir leur arme létale"

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L'angoisse d'un avocat de policiers: "Ils pensent qu'ils risquent d'être en devoir de sortir leur arme létale"

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A Tours le 1e décembre 2018 Gilets Jaunes et forces de l'ordre se font face
A Tours le 1e décembre 2018 Gilets Jaunes et forces de l'ordre se font face
© AFP - GUILLAUME SOUVAN

L'Élysée dit craindre, samedi, une manifestation des gilets jaunes d'une grande violence à Paris. Me Laurent-Franck Liénart, "l'avocat des flics", témoigne sur France Inter de la grande fébrilité qui règne chez les forces de l'ordre. Et leur rappelle qu'ils "portent une grande responsabilité".

Me Laurent-Franck Liénart, vous défendez très régulièrement des policiers soupçonnés de violences. Depuis samedi dernier, vous êtes en contact avec des nombreux membres des forces de l'ordre. Que vous disent-ils ?

Ils me disent qu'ils ont été confrontés à une situation inédite en termes de violence de l'affrontement, et ils ne s'y attendaient pas du tout. Ils s'attendaient à une manifestation compliquée, mais pas du tout à ce que l'on vienne casser du flic. Là, on est venu casser du flic, vraiment, voire tuer du flic. À plusieurs moments, ils se sont sentis en état de légitime défense, ils ont pensé ouvrir le feu sur les manifestants.

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Dans un message que vous leur adressez sur Facebook, vous écrivez "Je sais combien vous êtes seuls face à eux". Qu'est ce que ça signifie ?

Quand on est dix ou quinze dans une colonne, et que l'on voit une déferlante de plusieurs centaines de personnes extrêmement violentes, je vous assure que c'est un grand moment de solitude pour celui qui est sous le casque. Sous le casque, il y a un homme, avec sa formation et ses compétences, mais aussi avec sa fragilité et sa fatigue. Le policier est véritablement seul, il n'a comme soutien que le camarade qui est à côté.

La haine et la violence ont-elles vraiment passé un cran samedi dernier ?

Elles ont passé plusieurs crans ! On parle beaucoup de refus d'obtempérer, mais aujourd'hui, un conducteur s'affranchit du policier qui est en face de lui et le percute volontairement. Cela fait plusieurs années que l'on dit que les verrous ont sauté, on tire sur les policiers, on percute les policiers. Samedi c'était redoutable, le déchaînement, l'affrontement étaient effrayants. C'est inédit !

Le sens de votre message sur Facebook, c'est de les appeler au calme, eux aussi ?

Ils ont une grande responsabilité, parce qu'ils portent une arme létale. Quand on porte un arme létale et qu'on pense s'en servir, il faut savoir ce que l'on fait. Jusqu'à présent, ils ont montré des capacités professionnelles et une retenue qui sont exemplaires, et il va falloir qu'ils continuent ainsi. S'ils m'en parlent, s'ils me disent "On a pensé tirer", c'est que ça les travaille vraiment, c'est qu'ils pensent qu'à un moment ils risquent d'être en devoir de sortir leur arme létale et de donner la mort. Et je leur dis attention ! Donner la mort, c'est un geste extrêmement grave, et c'est un geste encore plus grave dans le contexte social dans lequel nous sommes. Un tir sur un manifestant aujourd'hui aurait des conséquences que nous ne maîtrisons pas.

On a aussi vu, depuis samedi, des images choquantes de policiers qui, eux-mêmes, voulaient se venger, en découdre. Il commence à y avoir des plaintes pour des violences policières. Il y a des manifestations de lycéens avec des blessés.  Les bavures ont commencé ?

Le terme bavure est un terme journalistique. Je suis juriste, je parle d'usage de la force légitime ou pas. Effectivement, ce que nous avons vu en vidéo semble être de l'usage de la force illégitime. Je dis "semble", pas du tout pour minimiser la responsabilité des policiers. Simplement, je n'ai pas le dossier, et quand je ne suis pas dans une affaire, je n'aime pas en parler. On a vu que les policiers avaient des gestes de violence qui étaient durs, mais s'arrêter et être chirurgical quand on est crevé et que, pendant huit heures, on a vécu un cauchemar, que des gens vous ont poignardé, lancé des pavés sur la figure, ont essayé par tous les moyens de porter atteinte à votre intégrité physique, rester chirurgical, c'est compliqué. 

Y a-t-il des craintes, parmi les policiers, que les gens viennent avec des armes samedi ?  

Ils craignent l'apparition d'armes à feu. Ils y ont déjà été confrontés à plusieurs reprises, dans le cadre des émeutes de Villiers-le-Bel ou de Beaumont-sur-Oise récemment. Mais là, ils craignent le déploiement de ces armes à feu sur les Champs-Élysées, ce qui serait inédit. Ils ont déjà été confrontés à des armes samedi dernier, ils ont reçu des coups de couteau pendant les manifestations, on a déjà tenté de les tuer. Et puis une hache, un cocktail Molotov, une batte de base-ball, ce sont des armes qui peuvent tuer. 

Malgré les images de violence, le soutien de l'opinion reste massif à l'égard des gilets jaunes, et beaucoup de gens comprennent les violences. Comment le recevez-vous ?

C'est extrêmement difficile à entendre, c'est inaudible... Je défends des hommes et des femmes qui sont parents, qui sont des gens bien, qui se lèvent le matin pour aider les autres, que vous pourriez avoir comme voisin, et que vous seriez content d'avoir comme voisin, parce que ce sont des gens qui ont de très grandes qualités personnelles et humaines. Je ne comprends pas qu'on puisse se réjouir de taper sur ces gens-là.

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