Pierre Niney, Muriel Robin, Yvan Attal, Francis Huster… racontés par le fondateur du Cours Florent

Dans l’école qu’il a créée en 1967, il a vu passer tout le nec plus ultra du théâtre et cinéma français. François Florent a été le professeur des plus grands acteurs et a, à ce titre, plus d'une anecdote à leur sujet. Rencontre.
Souvenirs et confidences de François Florent fondateur et professeur du Cours Florent
Studio Harcourt

« Mes rapports avec mes anciens élèves ne sont pas des rapports d’agent. » Il s’interrompt, boit une gorgée de café, puis répète cette phrase, deux ou trois fois d’affilée, fier de sa trouvaille. Voilà plus de deux heures que nous discutons, et cette formule pourrait en effet tout résumer. Tous les élèves qu’il a vu passer dans son cours ne l’ont jamais vraiment quitté. Il les recroise régulièrement, dîne ou déjeune avec eux, va les applaudir au théâtre ou regarde leurs derniers films. Il leur écrit aussi beaucoup, des lettres plus que des sms. Et puis surtout, il s’en souvient, de chacun d’eux, de ce qu’ils étaient et de ce qu’ils ont fait. Il les a réunis, pour une galerie de portraits, dans un beau livre paru aux éditions du Chêne, en collaboration avec le Studio Harcourt. Au fil des pages et des sublimes photos en noir et blanc, on comprend que, malgré toutes ces années, François Florent se considère toujours comme leur professeur. Il continue à leur prodiguer quelques conseils, des remontrances même, comme à Guillaume Gallienne à qui il dit tout le temps : « mais ne parle donc pas autant. » Avec Jacques Weber aussi, pourtant âgé de 69 ans, il ne peut s’empêcher de se comporter comme un magister, plus que comme un ami. Ce grand comédien – « un ouragan qui fait du 47 en pointure » – a toujours été, selon lui, un fainéant qui ne se donnait même pas la peine d’apprendre les répliques. « Il a une voix. Il a un physique. Tout était facile pour lui, et ça l’a amené à une grande paresse. Jacques Weber est toujours dans cette nonchalance, à tel point qu’il a refusé d’entrer à la Comédie Française. Aujourd’hui, il le regrette. Il aimerait un jour y jouer le Roi Lear », s’amuse François Florent, quand il nous reçoit dans son somptueux appartement niché dans le XVIIIe arrondissement parisien.

Quasi-étendu sur son sofa, il s’épanche en confidences et s’égare en petites rumeurs. Sa conversation est délicieuse tant elle est riche en anecdotes. Il connaît tous les secrets du théâtre et du cinéma français, et en fréquente tout le gotha. François Florent semble même en être le taulier. Il a tout de même fondé et dirigé la plus grande institution d’art dramatique hexagonal, dont l’aura à l’international n’est plus à prouver. « Avec ses appentis, ses recoins, ses resserres, ses escaliers affaissés, ses cambuses et ses mansardes, avec ses volières et ses fenêtres ouvertes sur le grand large, tout à fait la maison de M.Hulot dans Mon oncle… Mon Cours Florent, aux bonnes fondations certes, aura été une bicoque biscornue […] », écrit-il dans son livre. Cette rocambolesque aventure a commencé en janvier 1967, dans le Studio Lambert, rue de Saules, qu’il louait pour quelques kopecks. François Florent y créait son propre cours, sur injonction de quelques-uns de ses élèves des conservatoires des XVIIIe et XXe arrondissements, qui lui réclamaient plus de leçons.

La légende veut que son premier disciple ait été Francis Huster… Ce qui n’est pas tout à fait vrai. François Florent l’a connu quelques années plus tôt, au lycée Carnot. Lui avait vingt-six ans, Huster seize, mais déjà l’aplomb des grands. Dans la salle n°2, il était arrivé, lunettes cerclées or fixées sur le nez, pour « voir où [il en était] par rapport aux autres », en toute modestie. Le lendemain, il était revenu et avait tendu à son professeur une carte de visite où était gravé en lettres gothiques : « Francis Huster, artiste dramatique. »

Du plus loin qu’il se souvienne, le premier élève du Studio Lambert n’était donc pas Huster, mais un certain Michel Bodinat, « un garçon qui venait d’un endroit très rural et qui avait d’énormes problèmes dentaires, mais qui n’a pas eu la carrière qu’il méritait. » Bien entendu, François Florent en a croisé des aspirants comédiens déchus et déçus. Thierry Mugler, pas encore couturier, s’était inscrit avec des rêves d’acteur plein la tête : « Mais il était quand même à côté de ses pompes. Il avait monté Le Père Noël est une ordure à l’école. Et alors, il avait missionné des machinistes, des éclairagistes. Il avait déjà ce goût du grand spectacle », raconte son ancien maître.

François Florent

Studio Harcourt

Sur le divan

La liste des bons élèves est, heureusement, bien plus longue. Il a adoré Marina Hands qui l’a subjugué dès la première seconde : « Elle était cette jeune fille séduisante qui portait en elle toutes les contradictions de la femme. Je pensais qu’elle ferait une carrière plus éblouissante. » Il se souvient aussi de Muriel Robin qu’il imaginait entrer un jour à la Comédie Française : « Elle a été très vite happée par tout ce qu’elle a fait, alors qu’elle aurait pu jouer les rôles de soubrette dans les grands classiques. Je suis ravie qu’elle retrouve des personnages dramatiques à la télévision. » À l’écouter, ses étudiants modèles sont obligatoirement passés sur les bancs du Français. Pierre Niney, par exemple, qu’il décrit comme un garçon académique, avec un physique extraordinaire, qui savait être à la fois subversif et extrêmement sage. Il est aussi très fier que l’un de ses anciens protégés, Éric Ruf, « touche-à-tout de génie », soit aujourd’hui à la tête de la maison de Molière. Il entretient également un lien privilégié avec Guillaume Gallienne, dont il a bien connu la famille. « J’ai été invité chez eux, dans une grande propriété à Sarlat. En regardant sa famille, j’ai toujours pensé que Gallienne n’était pas vraiment le fils de son père », murmure-t-il, dans un jeu de psychanalyse qu’il semble apprécier.

Plus qu’un professeur, François Florent a toujours été un découvreur de talents, décelant le potentiel d’une personnalité au premier coup d’œil. Comme Pierre Deladonchamps, qui est arrivé au Cours Florent par hasard, en donnant la réplique à un ami qui se présentait au concours d’admission. Ce jour-là, c’est lui, plutôt que le postulant, qui fut repéré. Il se souvient également de l’audition d’Yvan Attal qui se cassa la jambe au cours de sa scène, mais qui fut accepté tant il était doué : « j’entends encore le bruit de la fracture », explique François Florent, en riant.

L’homme orchestre

Dans cette ribambelle de Florentins, tous aussi talentueux les uns que les autres, il faut le dire, il n’hésite pas longtemps pour ne citer qu’un nom, un seul : Dominique Blanc. Il se remémore la première fois qu’elle est montée sur le plateau, pour réciter un poème de Prévert : « je n’avais jamais entendu une telle musique. C’est celle que j’entends encore aujourd’hui quand je la vois sur scène, jouer Agrippine par exemple. J’entends encore Prévert. » Il se rappelle également la dernière répétition avant qu’elle aille présenter le concours du Conservatoire, et de ce regard de connivence qu’elle lui avait lancé, avant de refermer la porte qui devait sceller son avenir. Il ne pourra jamais l’oublier. « Si j’ai aimé ce travail, c’est que j’ai respiré la même joie et la même difficulté en scène que mes élèves. Comme un chef d’orchestre avec ses musiciens », conclut François Florent après cette dernière anecdote.

À l’occasion de la sortie du livre Au Cours Florent, il a convié tous les anciens, le temps d’une soirée au Studio Harcourt, le 19 novembre dernier. Muriel Robin, Michel Fau, Isabelle Nanty, Emmanuelle Devos, Guillaume de Tonquédec, Sandrine Kimberlain, Édouard Baer et quelques autres ont répondu à l’invitation et se sont réunis autour de lui, comme une grande famille reconstituée. François Florent travaille déjà sur un second volet qui, selon lui, est impensable sans la participation de la plus mystérieuse de ses élèves, Isabelle Adjani. Il a beaucoup à dire sur l’actrice de L’Été meurtrier qu’il dépeint comme une étudiante extrêmement sage, assidue et pas du tout sophistiquée. « Je pensais qu’elle aurait une carrière à la Madeleine Renaud. Je croyais qu’elle serait une travailleuse, qui irait de rôle en rôle, de film en film », soupire-t-il. Tous les vieux professeurs ont des regrets.

À lire : Au Cours Florent, de François Florent, photographies du Studio Harcourt, aux éditions du Chêne, 240 pages, 29,90 euros