Nous sommes des victimes du terrorisme. Nous avons perdu un enfant frappé par la mitraille des fusils automatiques, ou bien nous nous sommes retrouvés sous le feu, au mauvais endroit au mauvais moment et en avons été durablement marqués.
Les attentats nous ont saisis avec nos différences: ils ne nous ont pas conféré une expertise particulière, n'ont pas effacé nos opinions politiques antérieures, n'ont pas rendu nos expériences identiques. Certains d'entre nous vivent à Paris, d'autres en région. Certains sont jeunes, d'autres moins. Certains sont actifs, d'autres retraités. Nos points de vue sur la fiscalité des carburants, l'impôt sur la fortune, la fréquence optimale des référendums ou plus généralement la pertinence ou l'injustice de la politique du gouvernement actuel sont probablement divers. Ils n'ont pas plus d'intérêt que ceux de n'importe quel citoyen, et nous ne portons donc aucun jugement sur le bien-fondé des revendications des "gilets jaunes".
Cependant, nous éprouvons aujourd'hui le besoin de prendre la parole ensemble, en tant que victimes du terrorisme, face aux événements qui secouent notre pays depuis plusieurs semaines.
Nous voulons avant tout lancer un cri d'alarme et de détresse, parce que nous souffrons toujours de nos traumatismes: le spectacle diffusé en boucle des violences commises dans notre pays, particulièrement à Paris lors des deux derniers samedis, nous affecte particulièrement. Bien sûr, il n'est pas question pour nous de mettre sur le même plan des débordements survenus à l'occasion de manifestations et des actes terroristes. Mais c'est un fait: ces détonations, ces sirènes, ces flammes, ce sang versé sont pour nous autant de coups de couteau qui rouvrent nos cicatrices.
Ayant été frappés par le terrorisme djihadiste, nous sommes particulièrement conscients des exactions dont se sont rendu coupables les adeptes de l'islamisme radical à travers le monde. Les Talibans afghans ont détruit les bouddhas de Bamiyan, AQMI a brûlé une partie des manuscrits de Tombouctou, l'organisation Etat islamique a saccagé Palmyre. Le vandalisme dont quelques uns se sont rendus coupables en dégradant des sculptures à l'intérieur de l'Arc-de-Triomphe n'a pas le caractère organisé et systématique de ces destructions.Il n'empêche que nous n'avions jamais imaginé voir de tels gestes imbéciles dans la France du XXIe siècle.
Nous savons ce que nous devons aux forces de l'ordre, et nous savons quel lourd tribut leurs agents ont payé au terrorisme ces dernières années. La violence physique et verbale à laquelle sont soumis les policiers et les gendarmes qui font un travail difficile, ingrat et nécessaire nous est intolérable.
Nous savons aussi que nous avons besoin d'une presse libre et responsable. Les médias ne sont pas parfaits (et ils ne sont pas tous pareils) mais ils sont indispensables. Nous n'avons pas oublié les portraits de journalistes enlevés et assassinés pour avoir eu le courage de faire leur métier. Nous avons à ce titre été horrifiés par les scènes de lynchage dont certains ont été victimes alors qu'ils couvraient des manifestations.
Ayant compris que l'objectif des djihadistes était de fracturer irrémédiablement la société française en dressant les non-musulmans contre les musulmans, nous avons lutté pour la défense des valeurs laïques, républicaines et démocratiques et en particulier pour la fraternité. Nous étions, en partie, rassurés par les nombreux témoignages d'unité et de résilience donnés par notre peuple. Les Français se sont montrés capables de se rassembler après chaque attentat. Ils n'ont pas cédé, dans leur majorité, à la tentation de l'amalgame entre terrorisme et Islam. Et aujourd'hui, après tant de preuves d'attachement à des valeurs collectives fondamentales, nous serions subitement devenus incapables de trancher des questions politiques sans affrontements physiques entre des Français et d'autres Français? Cette démonstration masochiste fait l'objet de diverses récupérations politiques à l'étranger, au détriment des positions diplomatiques de notre pays: aux Etats-Unis, les affrontement dans les rues de Paris sont présentés par le camp ultra-conservateur, et par Donald Trump lui-même, comme une validation de ses positions contre l'immigration, contre l'accord de Paris sur le climat, et contre le "globalisme". RT, média russe très proche de Vladimir Poutine nous apprend sur Twitter que, depuis l'Iran des Ayatollahs, "Téhéran appelle Paris à cesser la "violence contre son peuple". Le régime syrien oppose quant à lui à la télévision qu'il contrôle des images des Champs-Elysées qui brûlent et des rues calmes de Damas. Dans le monde entier, mais aussi en France et jusque dans les prisons où ils sont enfermés, les djihadistes se réjouissent ouvertement de ces déchirures.
Le sommeil de la raison engendre des monstres, écrivait Goya sur une de ses gravures. Il faut que chacun prenne ses responsabilités, revienne à la raison, et que notre pays trouve une voie pacifique d'expression et de résolution des conflits. Si nous ne réussissons pas cela, alors nous risquons d'entamer un chemin sans retour vers des divisions irréparables et d'offrir une victoire à ceux qui cherchent à semer la terreur en France.
Les signataires de cette tribune sont:
Emmanuel Domenach
Philippe Duperron
Aurelia Gilbert
Dominique Kielemoes
José Munoz
Nadine Ribet-Reinhart
Georges Salines
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