Le président français Emmanuel Macron et son homologue américain Donald Trump le 24 septembre 2018 à New York

Gardez-moi de mes "amis". Emmanuel Macron et son homologue américain Donald Trump, le 24 septembre 2018 à New York.

afp.com/ludovic MARIN

C'est l'increvable scénario de l'effet boomerang, du prof rudement chapitré, de l'arroseur arrosé. Fût-ce au gaz lacrymo. Pour avoir revendiqué, au risque de l'arrogance, la dignité de figure de proue planétaire du combat contre les populismes, le chef de l'Etat français essuie depuis dix jours une rafale de leçons de maintien de l'ordre, voire de maintien tout court. Certaines prévisibles, sinon attendues ; d'autres franchement exotiques. Tour du monde rapide et subjectif.

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ANALYSE >> Qui peut croire à un leadership français?

A tout seigneur de l'intox tout honneur. Le 4 décembre, Donald Trump décoche via Twitter une flèche ironique, inspirée par les premières concessions de l'exécutif. "Je suis ravi, lit-on, que mon ami Emmanuel Macron et les manifestants soient parvenus à la conclusion que j'ai formulée voilà deux ans." Allusion au retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris sur le climat. Lequel accord serait "fondamentalement mauvais" en ce qu'il "provoque la hausse des prix de l'énergie". CQFD.

"Waterloo vert"

Dans la foulée, le locataire de la Maison-Blanche relaie auprès de ses 56 millions d'abonnés le tweet d'une étoile montante de l'"alt-right", cette mouvance xénophobe et sexiste de l'ultra-droite américaine. Il y est question des "émeutes provoquées dans cette France socialiste par des taxes d'extrême-gauche sur les carburants". Les multiples porte-voix de la fachosphère d'Outre-Atlantique s'acharnent sur le marcheur au pas hésitant, incarnation d'un mondialisme exécré ; et qui, de plus, prétend hâter l'émergence d'une armée européenne ou sauver un accord nucléaire iranien à l'agonie. En première ligne, bien sûr, le site Breitbart News de Steve Bannon, ex-conseiller à la stratégie de Trump. Macron, y apprend-on, "fonce vers son Waterloo vert" et trouvera, "avec un peu de chance", le salut dans l'exil.

Le président français Emmanuel Macron et son homologue russe Vladimir Poutine lors d'une conférence de presse au Château de Versailles, le 29 mai 2017

Entendons-nous bien... Le président français et son homologue russe Vladimir Poutine lors d'une conférence de presse au Château de Versailles, le 29 mai 2017.

© / afp.com/CHRISTOPHE ARCHAMBAULT

Jaune orangé sur la place Rouge

La Guerre froide, du moins dans sa version propagandiste, a de beaux restes. C'est qu'à Moscou, plusieurs médias aux ordres attribuent l'éruption jaune aux manigances des services yankees, quitte à l'assimiler aux "révolutions orange" qui ébranlèrent tour à tour la Géorgie et l'Ukraine, anciennes principautés soviétiques. "L'affaiblissement de Macron, assène ainsi Rossiiskaïa Gazeta, et son éventuelle démission, servent les intérêts de Trump." Nul doute que les fidèles de Vladimir Poutine voient sans déplaisir pâlir l'étoile du successeur de François Hollande, dont les prétentions de médiateur universel irritent. Pour preuve, la couverture intense et complaisante de la jacquerie des gilets par Russia Today et Sputnik, relais du Kremlin.

Tout en "retenue"

Le trophée du culot revient pourtant, haut la main, à la République islamique d'Iran. En la personne du porte-parole du ministère des Affaires étrangères. "Le gouvernement français, a déclaré Bahram Qassemi lors d'une conférence de presse, ne peut pas persister dans la violence contre son peuple (...). Nous lui recommandons de faire preuve de retenue". Venant d'un pouvoir qui, entre autres, écrasa dans le sang le "Mouvement vert", insurrection civique déclenchée en 2009 par la réélection frauduleuse du sortant Mahmoud Ahmadinejad, l'objurgation ne manque pas de piquant. Au passage, la référence à la "retenue" n'a rien d'anodin. Au tout début de cette année, Emmanuel Macron avait, à la faveur d'un échange téléphonique avec le président Hassan Rohani, invité celui-ci à faire preuve de modération face aux émeutes sociales survenues dans une centaine de villes du pays.

Emmanuel Macron discute avec son homologue iranien Hassan Rohani, à New-York, lors d'une rencontre en marge d'une Assemblée générale de l'Onu, le 18 septembre 2017

Avec modération. Le chef de l'Etat français en compagnie du président iranien Hassan Rohani, en septembre 2017 à New-York, en marge de l'assemblée générale de l'Onu.

© / afp.com/LUDOVIC MARIN

Le petit-lait de Salvini

En Europe, la palme ne saurait échapper à l'Italien Matteo Salvini, ministre de l'Intérieur, vice-président du Conseil et chef de file d'une Ligue à droite de la droite. Bête noire désignée du successeur de François Hollande, le premier flic de la Botte savoure sa revanche. "Macron, claironne-t-il, n'est plus un problème pour moi ou pour l'Europe. Il est un problème pour les Français".

D'autres réactions reflètent les obsessions locales. Le reis turc Recep Tayyip Erdogan voit dans le déchaînement du 1er novembre un festival d' "actes terroristes", s'étonnant de l'absence -toute relative au demeurant- de la presse internationale. En Egypte, le quotidien Al-Masri al-Youm, proche du maréchal-président Abdelfattah al-Sissi, impute quant à lui ces équipées barbares soit à "une organisation secrète des Frères musulmans", confrérie qu'abhorre le régime, soit aux djihadistes de Daech.

Remember Ben Ali

En Afrique subsaharienne, cet automne brûlant suscite inquiétude et perplexité dans les palais présidentiels, mais aiguise le sens de la dérision de maints internautes. C'est ainsi qu'un usager malien de la messagerie WhatsApp somme les parties d'engager le dialogue, menaçant si besoin d' "intervenir militairement" chez les stratèges du dispositif sahélien Barkhane...

Un ultime détour par la Tunisie. Au pays de la Révolution de jasmin, on n'a pas oublié qu'en 2011, Michèle Alliot-Marie, alors patronne du Quai d'Orsay, avait suggéré de mettre l'expertise française en matière de maintien de l'ordre au service de Zine el-Abidine Ben Ali, dictateur aux abois. Quelques esprits forts préconisent désormais sur les réseaux de rendre la politesse à l'Hexagone. La vengeance est un plat qui se mange froid, tiède ou chaud. Mais toujours épicé.

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