Au grand jeu des relations internationales, il est des Etats qui n’hésitent pas à tordre les règles… voire à tricher. Depuis son premier essai nucléaire de bombe H, en janvier 2016, la Corée du Nord est sous le coup d’importantes sanctions internationales : interdiction pour ses bateaux de s’arrêter dans les ports d’autres pays, interdiction d’exporter du textile, du charbon et de l’acier, limitation de son approvisionnement en pétrole…
Un embargo strict, que Pyongyang contourne pourtant aisément, révèle une enquête du Wall Street Journal publiée à la fin de novembre. Le quotidien américain s’appuie sur des rapports de l’Organisation des Nations unies (ONU) et des témoignages de nombreux officiels américains, mais aussi japonais et australiens, pour dévoiler les techniques – sans cesse renouvelées – de la Corée du Nord pour transporter via la mer des millions de dollars de pétrole et de charbon au nez et à la barbe de la communauté internationale.
Bateaux « déguisés », sociétés-écrans, pavillons de complaisance, falsification de documents, rendez-vous en pleine mer… tour d’horizon des ruses de Pyongyang.
Coups de peinture et Etats complaisants
Pour échapper aux sanctions, la Corée du Nord peut compter sur des paradis fiscaux qui, outre une imposition très basse – voire inexistante –, cultivent une certaine opacité s’agissant des titulaires des comptes et des sociétés immatriculés sur place.
Les possesseurs et les armateurs des bateaux nord-coréens immatriculent ainsi leurs sociétés dans divers paradis fiscaux et ajoutent une couche supplémentaire de complexité en achetant des pavillons de complaisance. En échange d’une rétribution, certains Etats, à l’image du Panama, du Togo ou des plus confidentielles Palaos (un archipel de 500 îles situé non loin des Philippines), proposent ainsi d’enregistrer les bateaux chez eux contre une rétribution.
Un millefeuille de nationalités qui n’est pas exactement du goût de l’ONU. Depuis peu, l’organisation internationale fait pression sur ces pays afin qu’ils recherchent les bateaux nord-coréens qui battent leur pavillon et qu’ils leur retirent leur agrément. Un jeu du chat et de la souris s’engage alors avec la Corée du Nord, qui file d’un paradis fiscal à un autre. Le Wall Street Journal cite ainsi le cas d’un bateau possédé par une société créée à Hongkong en 2016 et passé successivement du pavillon de Zanzibar à celui des îles Fidji, pour finir par endosser celui du Panama. Le tout en moins de deux ans.
Dans certains cas, les opérateurs de bateaux ne s’embêtent même plus à utiliser des pavillons de complaisance : ils remplissent seulement de faux papiers et repeignent les coques des bateaux pour modifier leur nom et leur immatriculation, afin de se faire passer pour d’autres, destinés, eux, à un commerce moins sulfureux. Le Chon-Ma-San, un tanker (navire-citerne) nord-coréen « black-listé » en février par les Etat-Unis pour avoir importé du pétrole, s’est ainsi refait une virginité en changeant les « 3 » de son numéro d’immatriculation, peint sur la coque, en « 8 », selon un panel de l’ONU. Résultat de ce relooking express : le voilà aujourd’hui similaire au Shenyuan 2, un bateau battant pavillon bélizien.
Rencontres au large
Mais changer de pavillon ne suffit pas toujours à échapper à la vigilance des autorités portuaires. Les tankers de Pyongyang donnent donc rendez-vous en pleine mer aux autres bateaux, pour les décharger de leur précieuse cargaison. Coque contre coque, ils effectuent ces transbordements grâce à des tuyaux – lorsqu’ils échangent des matières liquides, comme le pétrole –, voire grâce à des grues intégrées aux bateaux pour les matières solides (charbon, cuivre…).
Selon un diplomate au conseil de sécurité de l’ONU interrogé par le Wall Street Journal, une vingtaine de navires-citernes ont ainsi effectué au moins 148 livraisons de pétrole en Corée du Nord entre janvier et la mi-août en utilisant cette technique. Un petit manège qui a permis à Pyongyang de maintenir les prix du pétrole relativement stables au sein de ses frontières, malgré une plus grande sévérité des sanctions. Selon les calculs du quotidien américain, la Corée du Nord pourrait ainsi avoir importé cette année 5 fois son quota autorisé de pétrole (qui s’élève à 500 000 barils), si ces tankers étaient remplis lors des voyages.
Dernière technique, utilisée pour exporter du charbon produit en masse en Corée du Nord (le transbordement de matières solides grâce aux grues étant assez dangereux) : jouer avec sa balise GPS. Les bateaux nord-coréens se rendent, la cale vide, non loin d’un port chinois et y restent de longues journées sans y rentrer. Ils manipulent ensuite la ligne de flottaison de leur bateau, une ligne qui sépare normalement la partie immergée de la coque d’un navire de celle qui est émergée dans l’eau, faisant croire que le bateau est plus lourd parce qu’ils ont chargé de la marchandise en Chine. Ils éteignent ensuite leur transpondeur, qui communique les coordonnées GPS du bateau, retournent en Corée du Nord la cale toujours vide, puis remplissent le bateau de charbon, reviennent au niveau du port chinois et rallument leur transpondeur. Reste à faire des faux papiers, indiquant que la cargaison est chinoise, et les voilà fin prêts à vendre leur charbon à d’autres pays d’Asie du Sud-Est.
Dans ces cas-là, seules les images prises depuis les airs permettent de repérer les bateaux nord-coréens dans des mers bien lointaines de leur dernière position GPS connue. C’est pour cela que cinq Etats, dont les Etats-Unis, le Japon et l’Australie, ont mis en place une patrouille aérienne commune. Mais la zone à couvrir est très vaste – plus de 1,8 million de kilomètres carrés – et le trafic maritime est très actif. « C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin », déplore le général australien de la patrouille aérienne commune Mel Hupfeld, interrogé par le Wall Street Journal. Malgré la coopération internationale, le trafic nord-coréen a donc encore de beaux jours devant lui.
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