Réchauffement climatique : "Sur une planète de cancres, la France fait à peine mieux que la moyenne"

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Réchauffement climatique : "Sur une planète de cancres, la France fait à peine mieux que la moyenne"

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Emmanuel Macron recevant le titre de "champion de la Terre" en septembre 2018 à New York. L'ONU promeut chaque année plusieurs personnalités pour leur leadership dans la cause environnementale.
Emmanuel Macron recevant le titre de "champion de la Terre" en septembre 2018 à New York. L'ONU promeut chaque année plusieurs personnalités pour leur leadership dans la cause environnementale.
© AFP - Philippe Wojazer

Repères. La France a joué un rôle moteur ces dernières années pour rallier les pays du monde vers une réduction globale des émissions de gaz à effet de serre. Mais, loin de la scène diplomatique, Paris ne respecte pas ses engagements et ne se donne pas les moyens de les atteindre sur le long-terme.

La France est-elle une bonne élève en matière de lutte contre le réchauffement climatique ? Oui si l'on se réfère à l'activisme diplomatique dont Paris a su faire preuve pour organiser la COP21 et parvenir au premier accord mondial universel sur le sujet en 2015. Mais, trois ans après, la réponse n'est plus la même. Si la France conserve ses engagements lointains (pour 2030, pour 2050...), elle ne se donne pas les moyens de les atteindre : entre le revirement sur la taxe carbone après le mouvement des "gilets jaunes", l'élévation des plafonds d'émissions de CO2 et des financements qui vont encore trop au nucléaire aux dépens des énergies renouvelables, les critiques sont nombreuses et dressent un tableau bien moins positif. Pour l'instant, la transition écologique est bien mal embarquée.

Les engagements insuffisants et non tenus de l'accord de Paris

"Vous l'avez fait ! Et vous l'avez fait à Paris" : déclaration du président de la République François Hollande lors de la clôture de la COP21 le 12 décembre 2015.

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L'accord de Paris est le premier texte universel fixant des objectifs de réduction de gaz à effet de serre. Un tour de force diplomatique dont l'histoire retiendra qu'il a eu lieu en France, même si depuis, les Etats-Unis de Donald Trump ont annoncé leur retrait. Texte universel car il a compté pendant un temps la signature des 195 pays représentés aux Nations unies. Sur ce plan au moins, la France a joué un rôle éminent, réussissant là où tous les autres avaient échoué auparavant. Mais l'accord fut possible car il n'imposait pas de réduction aux Etats, comme ce fut le cas à Kyoto en 1997 : à Paris, chacun donnait son objectif et personne n'avait à y redire. C'est ainsi que le texte fut signé.

Une réussite diplomatique certes mais qui, dès le début, n'était pas à la hauteur du défi climatique. Pour arriver à limiter le réchauffement à 2 degrés, voire à 1,5 degré, comme la déclaration finale le proclamait, il aurait fallu des engagements bien plus ambitieux. 

Concernant la France, "les engagements pris lors de la COP21 sont largement insuffisants, comme pour la plupart des pays du monde", précise Célia Gautier, responsable climat et énergie à la Fondation pour la nature et l'homme (ex Fondation Nicolas Hulot), "la France s'est engagée à réduire ses rejets de gaz à effet de serre de 40% d'ici 2030 par rapport à 1990. Or, pour limiter le réchauffement de la planète à +2 degrés, il faudrait réduire ces émissions de 50 voire 55%".

"L'objectif est non seulement insuffisant, mais on constate en plus qu'il n'est même pas en passe d'être respecté !" regrette Célia Gautier. En novembre 2018 en effet, le gouvernement a publié un décret relevant les plafonds d'émissions de CO2 pour la période 2019-2023. Avec ces nouveaux chiffres, les émissions en France vont diminuer deux fois moins vite que prévu : 4,2 % de baisse au lieu des 9,7 % prévus. "Les objectifs qui avaient été annoncés en 2015 ne peuvent pas être atteints car, dans plusieurs secteurs, les mesures adéquates n'ont pas été prises à temps pour réduire nos émissions. Nos engagements à plus long terme sont maintenus, notamment ceux qui ont été pris dans le cadre de l'accord de Paris pour 2030", assurait le ministère de la Transition écologique et solidaire.

Le champion de la Terre qui n'en faisait pas suffisamment 

Pourtant, la France bénéficie (jusqu'à quand ?) d'une excellente image de marque sur le sujet à l'étranger. En septembre 2018, Emmanuel Macron a même été sacré "champion de la Terre" par l'ONU. A New York, le Président français a été récompensé parmi six autres lauréats pour son "leadership politique" dans la lutte contre le réchauffement climatique, pour son action en faveur du développement de l'Alliance solaire internationale notamment. Ce programme, dont l'Inde est l'autre fondateur important, vise à développer l'énergie solaire dans les pays les plus ensoleillés : New Delhi s'est engagé à réduire de 35% ses émissions de CO2 d'ici 2035 grâce à cette énergie.

Sur la scène de cet événement diplomatique, Emmanuel Macron avait posé avec un slogan passé à la postérité : "Make our planet great again", "rendre sa grandeur à la planète". Une pique adressée à Donald Trump le 1er juin 2017 lors de l'annonce par ce dernier du retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris. Pour gagner la Maison blanche, le président américain avait fait campagne sur un slogan légèrement différent : "Make America great again".

Mais des paroles aux actes, il y a un cap. Un mois avant d'être choisi par les Nations unies comme "champion de la Terre", Emmanuel Macron avait perdu son ministre de la Transition écologique. "Je ne veux plus me mentir", avait déclaré Nicolas Hulot, regrettant que le gouvernement ne fasse pas une priorité de la lutte contre le réchauffement.

Quelques mois plus tard, l'ex ministre redevenu simple citoyen était invité de l'Emission politique sur France 2 et livrait son analyse : "A partir du moment où je restais [au gouvernement] (...), je cautionnais une forme de mystification, je donnais le sentiment qu'on était à la hauteur des enjeux. Et on ne l'était pas. (...) On n'avait pas le même diagnostic sur les menaces qui pèsent sur la planète et l'humanité. A partir de là, on ne propose pas le même traitement. Si on vous dit que vous avez une bronchite ou un cancer généralisé, ça n'est pas la même chose".

La transition écologique mal engagée

La France n'est-elle alors qu'une championne sur le papier ? "D'abord, il faut bien voir que notre planète compte une majorité de pays qui sont des cancres dans ce domaine", répond Célia Gautier. 

"La France est sans doute un peu au dessus de la moyenne mondiale mais elle n'est pas une bonne élève. D'autant que notre pays porte une responsabilité plus importante que beaucoup d'autres car la France est un pays développé qui a émis des gaz à effet de serre depuis le début de l'ère industrielle. Quelques pays en développement font bien plus d'efforts comparativement à leurs moyens, alors qu'ils ont une responsabilité moindre".              
Célia Gautier, responsable climat et énergie à la Fondation pour la nature et l'homme.

Dans le Pacifique, les Iles Marshall ont affiché leur volonté d'être neutres en carbone (ne pas émettre plus de CO2 que la Terre n'est capable d'absorber), le Costa Rica s'est lancé dans une démarche menant vers 100% d'énergies renouvelables. Bien sûr, ces deux pays sont directement menacés par une élévation du niveau des océans et par l'aggravation des phénomènes violents comme les ouragans.

Les émissions de gaz à effet de serre par habitant en Europe
Les émissions de gaz à effet de serre par habitant en Europe
© Visactu -

Mais la France n'est pas exemplaire non plus en Europe : "Notre pays est parmi les derniers en matière de développement des énergies renouvelables", observe Célia Gautier, "ceux qui respectent les objectifs sont peu nombreux : le Portugal, la Suède, la Slovaquie, la Hongrie, la Grèce et la Croatie". La Fondation pour la nature et l'homme pointe ici le nucléaire comme cause principale de ce retard : 

"Le nucléaire empêche les investissements nécessaires d'aller vers les énergies renouvelables et ralentit le développement du solaire et de l'éolien, sachant que le nucléaire est une énergie de plus en plus chère et dangereuse. On ne sait pas quoi faire des déchets, on n'a encore jamais démantelé une centrale et le projet d'EPR est un gouffre financier"

La France n'en fait pas suffisamment non plus pour le développement d'alternatives aux transports traditionnels : développement du train, des transports en commun, de la voiture électrique. D'après le think tank I4ce, qui dépend de la Caisse des dépôts, il manque chaque année entre 10 et 20 milliards d'euros d'investissements publics dans la rénovation des bâtiments, dans le développement de transports propres et dans l'accompagnement social de la transition.

La loi sur la transition énergétique adoptée en 2015 fixe l'objectif de réduire de 50% la consommation d'énergies d'ici 2050 "mais il reste encore 7 millions de logements qui sont des passoires énergétiques en 2018", constate Célia Gautier, qui regrette aussi que la fiscalité écologique pèse trop sur les classes populaires. "Les Français veulent un partage équitable de l’effort et des recettes. Ils ont aussi une soif de justice sociale et d’équilibre fiscal", affirmait Nicolas Hulot sur France 2 en novembre.

Le gouvernement recule sur la taxe carbone après le mouvement des "gilets jaunes" : analyse de Véronique Rebeyrotte et interview du député LREM Matthieu Orphelin (journal de 12h30 du 6 décembre 2018)

9 min

Dans le viseur de la Fondation pour la nature et l'homme figurent enfin les traités commerciaux négociés entre l'UE et de nombreux pays du monde en ce moment. "Le premier d'entre eux est le CETA avec le Canada, qui devrait passer au Parlement français en 2019", précise Célia Gautier, "une trentaine est en préparation et doit régler nos relations avec une soixantaine de pays. Or, ces traités sont 'climaticides' et sont contradictoires avec les engagements que nous avons pris lors de la COP21. Rejeter le CETA serait une façon de gripper ce mécanisme et de faire en sorte que les autres ne suivent pas".

ECOUTEZ LE PODCAST DE RADIO FRANCE "AGIR POUR MA PLANÈTE" :

A l'occasion de la COP24, retrouvez toutes les émissions et les chroniques sur le changement climatique, par les antennes de Radio France. Quel est l'impact du réchauffement climatique sur l'environnement ? Quels dangers, quelles solutions ? A retrouver sur iTunes, sur Deezer ou en fil RSS .