Le sentiment d’insécurité des communautés juives d’Europe n’en finit pas de grandir. C’est la conclusion, préoccupante, d’une enquête très large menée par l’Agence européenne des droits fondamentaux, rendue publique par la Commission de Bruxelles, lundi 10 décembre.
L’agence communautaire a collecté et analysé 16 300 réponses à un questionnaire en ligne, provenant de 12 pays membres (France, Belgique, Autriche, Allemagne, Danemark, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Espagne, Suède, Royaume-Uni), concentrant 96 % des personnes de confession juive dans l’Union. Le sondage ne se veut pas représentatif mais résume les opinions d’un échantillon d’une largeur inédite.
À en croire cette enquête, 85 % des juifs européens assurent désormais que leur première préoccupation politique et sociale nationale est l’antisémitisme. Ce chiffre monte même à 95 % pour les près de 3 900 juifs français qui ont répondu au questionnaire, le taux le plus élevé de tous les pays consultés.
Parmi ces derniers, 93 % considèrent que le problème s’est aggravé ces dernières années, là encore le chiffre le plus élevé de tout le Vieux Continent devant la Pologne. 80 % des juifs français considèrent que le problème de l’antisémitisme est « un gros problème » dans les média. Et 91 % trouvent que l’expression de l’antisémitisme dans les rues et espaces publics est un « très gros probleme ».
Un contraste avec la réalité des agressions
Ces chiffres inquiétants pour la France sont à mettre en contraste avec la réalité des agressions. 22 % des juifs français déclarent avoir été temoin d’une agression orale ou physique contre un coreligionnaire ces douze derniers mois, contre 32 % des Polonais ou 29 % des Allemands. Pourtant, 60 % des Français craignent d’etre agressés dans les 12 prochains mois, soit le taux le plus elevé de l’étude.
Quelque 89 % des juifs européens pointent l’Internet et les réseaux sociaux comme principaux vecteurs de cet antisémitisme, près du tiers assurent avoir été harcelés au moins une fois durant l’année écoulée.
Bruxelles a mis la pression sur les plates-formes numériques pour qu’elles retirent au plus vite leurs contenus haineux ou terroriste. Sans grand succès.
La Commission a multiplié les initiatives ces dernières années, mettant notamment la pression sur les plates-formes numériques pour qu’elles retirent au plus vite les contenus à caractère haineux ou terroriste – elle a récemment proposé que ces derniers contenus soient retirés sous une heure, sous peine de sanctions.
On ne peut que constater l’évidence : ces efforts n’ont eu, pour l’instant, que peu d’effet, et c’est surtout aux États membres de prendre le relais. « L’antisémitisme est une bête noire, qui ne disparaîtra pas de l’Union et qu’il faut mettre dans une cage », estime Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission.
En Hongrie, la campagne anti-Soros du gouvernement Orban
À propos de la Hongrie et de la récente campagne anti-Soros du gouvernement de Viktor Orban, M. Timmermans a dénoncé lundi 10 décembre « l’antisémitisme insidieux » qu’elle véhiculait. « M. Orban crie sur tous les toits qu’il veut lutter contre l’antisémitisme, je le prends au mot : il doit veiller à ce qu’aucune campagne dans son pays ne vise les juifs », a ajouté le responsable néerlandais, récemment désigné comme chef de file des socialistes pour les élections européennes de mai 2019.
Selon un récent sondage de CNN, 42 % des Hongrois estiment que les juifs ont « trop d’influence » dans le monde des affaires et des finances au niveau mondial, et 19 % reconnaissent avoir une opinion défavorable des juifs. Selon l’étude de la commission, 74 % des juifs hongrois considèrent que l’antisémitisme dans la vie politique est un problème, même s’ils disent moins craindre les agressions physiques ou verbales que la moyenne du reste des juifs européens.
Jeudi 6 novembre, les ministres de l’intérieur de l’Union ont, de leur côté, adopté une déclaration sur l’antisémitisme et la nécessité d’une meilleure coordination pour protéger les communautés juives. Le texte constatait également que la situation de celles-ci « ne s’est pas améliorée » et que la haine antijuive reste « très répandue » dans l’Union.
Formations sur l’Holocauste
Il invite donc les pays membres à mieux sanctionner les auteurs de propos, de violences, voire de crimes antisémites. Les capitales sont aussi invitées à développer des formations appropriées sur l’Holocauste pour les enseignants mais aussi les personnels en charge de la sécurité et de la justice.
Lundi, M. Timmermans a aussi voulu répondre à certains discours appelant à une mobilisation des communautés juives contre les musulmans, dans une sorte de réplique à des actes antisémites. « Faire cela va à l’encontre de nos principes et va créer des problèmes pour ces deux communautés », a indiqué le premier vice-président de la Commission.
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