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« L’histoire de mon ADN suit le sillage des navires négriers »

Chroniqueur au « Monde Afrique », Francis Kpatindé a fait un test génétique dont les résultats le relient au Bénin, mais aussi au Portugal, à la Jamaïque et au Suriname.

Publié le 11 décembre 2018 à 10h08, modifié le 12 décembre 2018 à 10h40 Temps de Lecture 3 min.

Le journaliste Francis Kpatindé.

Chronique. J’ai fait un test ADN. Par curiosité, pour essayer de répondre à quelques questions sur mon identité et, je l’avoue, pour sacrifier à un rituel. En dépit des réserves qu’ils peuvent susciter, les tests ADN connaissent du succès, notamment auprès de ceux à qui la science offre l’opportunité, pour un coût accessible, d’en savoir plus sur eux-mêmes, leurs ancêtres, les « cousins » lointains disséminés dans le monde, tout comme sur les grandes migrations, qu’elles aient été coercitives, comme la traite esclavagiste, ou volontaires.

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Pour un peu moins de 100 dollars, je me suis fait rapporter de New York un kit de la firme Ancestry DNA, considérée comme l’un des plus importants laboratoires génétiques américains, avec une banque de données de plus de 10 millions d’inscrits, selon des statistiques publiées en septembre. L’exercice, plutôt aisé, s’est déroulé dans le secret des commodités d’un restaurant parisien : un peu de salive dans un tube de prélèvement dont le bouchon, une fois vissé à fond, libère un stabilisateur de couleur bleue. Bien secouer le tube pour fixer le mélange et retour – sous pli prépayé – à l’envoyeur, une fois l’inscription en ligne terminée. Pour accroître le degré de confidentialité, je me suis inscrit sous une fausse identité et avec une adresse électronique de circonstance.

L’ignominieuse odyssée du peuple noir

Le verdict est tombé cinq semaines plus tard. A première vue, pas de surprise renversante, du moins sur un point : je suis bel et bien originaire, et dans une proportion rassurante (78 %), de l’endroit où je situais de façon empirique mes « racines » ; un ensemble lâche regroupant un peu plus que le Bénin et le Togo actuels. Pour le reste, je tire 20 % de mes origines d’une aire géographique correspondant aujourd’hui à la somme du Ghana et de la Côte d’Ivoire, et à 1 % du Nigeria. L’ultime pourcentage me vient du Portugal, résultat probable d’une correspondance génétique lointaine que ma mère, Agouda – Brésilienne du Bénin, pour faire simple –, partage avec Francisco Félix de Souza (1754-1849), très redouté marchand d’esclaves brésilien d’origine portugaise, héros du récit picaresque de Bruce Chatwin, Le Vice-Roi de Ouidah.

L’histoire de « mon » ADN emprunte les chemins de l’ignominieuse odyssée du peuple noir et le sillage des navires négriers convoyant le « bois d’ébène » vers les Amériques. De 1800 à 1900, on en trouve une forte présence dans la plupart des îles caribéennes, tout comme au Suriname, en Amérique du Sud. Au début du XXe siècle, fuyant la crise dans l’industrie sucrière, les ouragans, les inondations et les famines, cet ADN rejoindra la côte est des Etats-Unis et le Panama, où les Américains recrutent des bêtes de somme pour poursuivre les travaux mortifères – plusieurs milliers de morts – du canal qui permettra, dès 1914, de relier l’Atlantique au Pacifique.

Des « cousins » à Manama et Amsterdam

Dans sa base de données, le laboratoire a isolé 51 personnes, certaines avec des identités d’emprunt, ayant possiblement une relation de parenté avec moi à cause de la quantité d’ADN partagée. A travers le système de messagerie protégé de la plateforme, j’ai écrit à ma « cousine » la plus proche. Nathalie Cole partage avec moi 34 centimorgans (cM) sur trois segments d’ADN, ce qui en fait une arrière-arrière-arrière-cousine, le centimorgan étant l’unité utilisée en génétique pour évaluer la distance entre deux gènes liés sur un même chromosome. Elle affirme avoir été surprise des résultats lui attribuant un lignage relevant d’un concentré d’Afrique : Bénin-Togo, Ghana-Côte d’Ivoire, Nigeria, Cameroun-Congo et Mali. Née à Londres de parents jamaïcains, elle y a grandi et n’a jamais mis les pieds en Afrique. Elle vit et travaille depuis peu comme professeure d’anglais à Manama, capitale de l’archipel de Bahreïn, au Moyen-Orient.

D’Amsterdam, où il vit et enseigne l’histoire africaine, Gwayne Elshot aura été plus rapide que moi. Nous partageons 27 cM sur deux segments d’ADN. Nous avons rapidement échangé nos numéros de téléphone et poursuivi la discussion en visioconférence sur FaceTime avec mes deux garçons, tout aussi émus et excités que lui. Le jeune homme de 26 ans est originaire du Suriname. Sans y avoir jamais mis les pieds, il connaît assez bien l’histoire du Bénin, ses anciens royaumes, son panthéon religieux, ses recettes culinaires, les mêmes, dit-il, qu’au Suriname. Il m’a montré une photo de son père, dont la ressemblance avec l’auteur de ces lignes est pour le moins confondante, aux dires des autres participants à la conférence. Gwayne et moi sommes convenus de nous rencontrer prochainement à Paris ou Amsterdam et d’aller ensemble, l’an prochain, au Bénin.

Francis Kpatindé, ancien rédacteur en chef du Monde Afrique, est journaliste et enseignant à Sciences Po Paris, où il dirige un cours sur « le contrôle des élections en Afrique au sud du Sahara ».

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