Tuomas Muraja, journalist, one of the person who was testing the basic income program.

Tuomas Muraja prépare un livre sur son expérience de deux années comme bénéficiaire du revenu de base.

Meeri Koutaniemi pour l'Express

Noël avant l'heure. Il y a deux ans, quelque 2 000 chômeurs finlandais ont été stupéfaits de découvrir, dans leurs boîtes aux lettres, un courrier les informant qu'ils toucheraient 560 euros par mois jusqu'en décembre 2018. Et ce, sans conditions. "Au début, je ne pouvais pas croire à ma chance", se souvient Mira Jaskari. "C'était comme si j'avais gagné au loto", se remémore pour sa part Tuomas Muraja. "J'ai bêtement cru que les impôts me réclamaient de l'argent", raconte Mika Ruusunen. Ce n'était pas une plaisanterie de l'administration, mais le lancement du premier test au monde, à une échelle nationale, d'un revenu de base.

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L'expérience finlandaise se rapproche plus du revenu de solidarité active (RSA) français que du revenu universel de subsistance défendu par le candidat Benoît Hamon, lors de la présidentielle, en 2017. Cette somme forfaitaire remplace l'allocation de fin de droit de ces personnes sans emploi qui, âgées de 25 à 58 ans, ont été tirées au sort pour voir si cela facilite leur reprise d'activité. "L'expérimentation proposée à l'origine était plus large, explique Minna Ylikännö, chercheuse à Kela, l'agence gouvernementale en charge de la sécurité sociale. Elle devait également concerner des petits revenus, des personnes au foyer, mais aussi des jeunes de moins de 25 ans. "Les fonds alloués se limitant à 20 millions d'euros, les ambitions initiales ont été revues à la baisse."

FINLANDE sans abris NE PAS UTILISER

Mira Jaskari a bénéficié du revenu de base pendant deux ans.

© / Meeri Koutaniemi pour l'Express

Contrairement à l'allocation chômage, ce revenu de base peut se cumuler sans variation avec un emploi rémunéré. "J'ai signé un contrat d'informaticien mi-décembre, juste avant de recevoir la lettre de Kela, s'excuse presque Mika Ruusunen. Ce bonus m'a essentiellement permis de rembourser un prêt." Il a simplifié la vie de Mira Jaskari. "Je n'aurais pas pu accepter un emploi à mi-temps sans ce revenu de base, car il était dans une autre ville et n'aurait pas suffi à payer mes factures, explique cette habitante d'Helsinki, cheveux bleus et piercing dans le nez. J'ai malheureusement dû le lâcher, à cause d'une dépression."

Ce revenu garanti a tellement facilité la vie de Tuomas Muraja, aux revenus aléatoires, qu'il redoute la fin de l'expérience. "Je vais à nouveau devoir remplir des formulaires pour toucher des aides", craint ce journaliste, qui va d'ailleurs publier un livre sur le sujet. Muraja loue la "liberté" qu'apporte le revenu de base. "On n'a plus le stress de ce que l'on pourrait perdre si l'on retrouve une activité, souligne-t-il. Contrairement à ce que d'aucuns disent, cela ne renforce pas la passivité des chômeurs. Grâce à ce dispositif, la douzaine de participants que j'ai interrogés ont plus facilement accepté un emploi ou réussi à se lancer à leur compte."

Opposition des grands partis et des syndicats

Pour autant, l'expérimentation ne sera pas prolongée l'an prochain. Elle ne devrait pas connaître non plus de seconde vie après les législatives du 14 avril 2019. Ni le Parti du centre ni le Parti de la coalition nationale, qui se partagent le pouvoir, ne veulent finalement la mise en place d'un revenu universel. Pis, ils ont diminué les droits des chômeurs pendant la même période. Quant au Parti social-démocrate (PSD), le favori des sondages, il défend plutôt l'idée d'un accompagnement personnalisé, incitatif, sans réduction des allocations.

FINLANDE sans abris NE PAS UTILISER

Minna Ylikanno, chercheuse à Kela, l'agence de la sécurité sociale finlandaise.

© / Meeri Koutaniemi pour l'Express

Ces grands partis, comme les syndicats, estiment que la généralisation d'un revenu de base à l'ensemble de la population plomberait le pays. "Cela ferait plonger de 5% le déficit budgétaire finlandais", estime Ilkka Kaukoranta, économiste à l'Organisation centrale des syndicats, proche du PSD. Le Medef local, EK, pense de même. "Cela coûterait 11 milliards d'euros, c'est irréaliste pour un pays de 5,5 millions de personnes, fait valoir Vesa Rantahalvari, du syndicat patronal, chargé de la politique sociale. D'autant que nous avons un taux de chômage trop élevé, au-dessus de 7%, et une population active trop basse (72%). La Finlande compte 250 000 chômeurs, mais 100 000 emplois à pourvoir."

La collecte des données et des témoignages des 2 000 participants ne fait que débuter. Minna Ylikännö est dans l'équipe chargée de leur analyse. Les premières conclusions devraient être dévoilées avant les élections. Elle a conscience que l'exemple finlandais sera observé de près. "Beaucoup de gens ont le sentiment que cela devient de plus en plus cher d'avoir une vie décente et qu'il faut se résoudre à toujours plus de sacrifices, note-t-elle. Inévitablement, le revenu de base reviendra dans la discussion." En Finlande, comme à l'étranger.

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