Voyage au cœur des plus beaux monuments de l’islam et du christianisme

Truffée d'images exceptionnelles, la série documentaire “Monuments sacrés” retrace en quatre épisodes l'histoire des plus beaux lieux saints des grandes religions. Extraits commentés des deux premiers films, avec les réalisateurs Bruno Ulmer et Bruno Victor-Pujebet.

Par Pierre Ancery

Publié le 15 décembre 2018 à 19h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h10

Espaces hors du temps, les mosquées, églises, temples ou synagogues dégagent une beauté, une solennité et un mystère qui émeuvent. En révélant les secrets d’édifices religieux parmi les plus sublimes de l’histoire de l’architecture, la série documentaire d’Arte Monuments sacrés, raconte merveilleusement bien une histoire de la foi et du génie des bâtisseurs. Les quatre films diffusés les 15, 22, 29 décembre et 5 janvier, abordent successivement l’islam, le christianisme, l’hindouisme et le bouddhisme, et enfin le judaïsme. Ils frappent tous par la beauté sensuelle de leurs images, qui échappent par miracle à l’effet carte postale polluant nombre de documentaires du genre. Nous sommes allés à la rencontre de Bruno Ulmer qui signe le premier volet, Mosquées, art et espace (15 décembre), et de Bruno Victor-Pujebet le second, Eglises, la quête de lumière (22 décembre), pour leur demander de commenter chacun deux extraits de leur documentaire. Propos de deux réalisateurs visiblement fascinés par l’objet de leur film.

La mosquée-cathédrale de Cordoue (Espagne)

Bruno Ulmer : « Conçue au VIIIe siècle par la dynastie des Omeyyades, la mosquée de Cordoue est une réminiscence du tout premier monument de l'islam, le Dôme du Rocher à Jérusalem, qui est montré au début du film. L'idée, pour ces souverains musulmans qui venaient d'être vaincus par les Abbassides, était alors de redonner corps à ce souvenir du Dôme, symbole de la gloire des Omeyyades : la mosquée de Cordoue est une image en miroir de ce bâtiment inaugural.

On voit apparaître dans cet extrait l'élément fondamental de toute mosquée, le mihrab, qui indique au croyants la direction de la prière – cette dernière étant le plus important des cinq piliers de l'islam. Comme les Omeyyades étaient des Syriens, la direction ici n'est pas tout à fait celle de La Mecque : elle indique Damas. Fait notable, lorsque les musulmans sont arrivés en Espagne et ont pris possession du lieu, construit à l'origine par les Wisigoths chrétiens, ils ont divisé le sol en deux espaces de prière. L'un chrétien, l'autre musulman. Et quand au XIIIe siècle les chrétiens ont reconquis l'Andalousie, ils ont conservé à l'édifice le statut de mosquée-cathédrale, ce qui est rarissime.

Ce qui frappe en y entrant, c'est l'extraordinaire mise en scène imaginée par les Omeyyades. Par un effet de perspective, les arcs des piliers tendent tous vers le mihrab, formant un chemin vers la lumière, c'est-à-dire vers Dieu. Et le mihrab, qui est construit en profondeur et est surmonté d'une coupole absolument magnifique, ressemble à une porte qui s’ouvre, une porte vers le divin. J’ai vécu comme un privilège incroyable le fait de pouvoir filmer ça. »

La mosquée du Chah à Ispahan (Iran)

Bruno Ulmer : « La mosquée du Chah Abbas s'insère dans un vaste ensemble architectural au centre duquel figure une immense place, le Meidan. Pour le roi safavide Chah Abbas Ier, qui décide de sa construction au XVIIe siècle, il s'agit de remettre le sacré au cœur de la ville d'Ispahan, alors capitale du pays. Le Meidan est conçu comme une utopie urbanistique. Mais aussi comme une façon d'en mettre plein la vue aux Ottomans en faisant plus grand, plus beau qu'eux. Au niveau architectural, ce moment est le marqueur fort d'une rupture : les monuments musulmans, qui jusque-là étaient encore assez proches des bâtiments chrétiens, vont se détacher de ce modèle.

La mosquée est incroyable. Grâce à certaines avancées structurelles comme la coupole à double coque, les Perses donnent naissance à un vrai et nouveau style, reconnaissable aussi à cette couleur bleue, qui a aujourd'hui une valeur presque identitaire en Iran, et qui renvoie symboliquement au ciel, à l'image du paradis.

Comme à Cordoue, l'entrée dans la mosquée passe par une véritable mise en scène. On le voit dans l’extrait : pour aller de la place à la mosquée, il faut passer par une chicane, une espèce de couloir détourné. En sortant de ce passage, qui fonctionne comme une sorte de sas, on arrive tout à coup dans cette superbe cour. L'effet, saisissant, est comparable au fait de quitter une forêt et de déboucher soudain sur un lac. D'ailleurs, lorsque les bassins sont remplis, les murs de la mosquée se reflètent dans l'eau. »

Le Mont-Saint-Michel (France)

Bruno Victor-Pujebet : « Ce qui rend cet endroit unique au monde, c'est qu’il s'est agrégé au fil des siècles pour devenir un mille-feuille architectural, un mélange de styles et d'époques. Comme pour beaucoup de lieux sacrés, en particulier chrétiens, tout ici a été construit autour de la lumière. Au Moyen Age, comme les gens ne savaient ni lire ni écrire, il fallait, à travers elle, leur donner à ressentir la présence de Dieu. Dans l'extrait, par exemple, on voit le réfectoire des moines qui baigne dans une lumière apaisante parce que les baies vitrées sont construites légèrement de biais. Cet effet était voulu par les architectes et devait coïncider avec la lecture à voix haute des Ecritures pendant les repas, la lumière douce entrant en osmose avec la parole de Dieu.

Le plus extraordinaire avec le Mont-Saint-Michel, c'est la façon dont son architecture pyramidale traduit le sentiment d’élévation vers le divin. Quel que soit l'endroit de la baie d'où on le contemple, il donne l'impression de monter vers les cieux. Lors du tournage, on a essayé de rendre cette sensation. Nous avons utilisé des drones avec des caméras à longue focale, qui permettent de saisir les détails de l’architecture : on a par exemple pu filmer l’archange qui figure au sommet en tournant tout autour, ce qui n'avait jamais été fait auparavant… Nous avons voulu capturer l’impression de majesté qui se dégage des lieux, mais aussi donner un sentiment de mouvement, comme si on se promenait sur place. Évidemment, il y a aujourd’hui un tel afflux de touristes qu’il est difficile de ressentir l’atmosphère spirituelle imaginée par les bâtisseurs. »

Le baptistère Saint-Jean de Florence (Italie)

Bruno Victor-Pujebet : « C'est dans le baptistère Saint-Jean sur la piazza del Duomo que, pendant des siècles, les Florentins ont été baptisés. Si on cherche dans les registres de baptême, on retrouve par exemple le nom du navigateur Amerigo Vespucci, qui a donné son patronyme à l’Amérique !

Quand on entre à l'intérieur, il y a une charge émotionnelle très forte. On lève la tête et on voit cette forme octogonale très particulière, et tout autour cette mosaïque en or de style byzantin, au centre de laquelle figure le Christ, vers lequel le regard est tout de suite amené. On retrouve là encore la notion d'élévation vers Dieu. Il faut bien voir que pour les pèlerins de jadis, qui vivaient dans un monde totalement horizontal, c'était un choc d'arriver là, dans ces monuments d'une verticalité aussi forte. C'est ça qui est prodigieux : c'est une architecture faite avant tout pour être ressentie L'octogone, qu'on retrouve également dans la cathédrale voisine de Santa Maria del Fiore, renvoie à la notion de huitième jour, qui désigne l'éternité. Ce qui est la philosophie même de la chrétienté.

Il faut aussi parler de la porte en bronze du baptistère, construite par le peintre-sculpteur Lorenzo Ghiberti et représentant des personnages de l'Ancien Testament. Comme pour le retable de Séville, qui apparaît également dans le film, on a voulu filmer de près ce luxe de détails, cette beauté incroyable des visages représentés. Cette porte est si grandiose que Michel-Ange l’a d'ailleurs surnommée “la porte du Paradis” ».

Le premier épisode, « Mosquées, art et espace », est diffusé sur Arte samedi 15 décembre à 20h50 et le second, « Églises, l'art de la lumière », est diffusé samedi 22 décembre à la même heure. La série Monuments sacrés paraîtra en coffret 4 DVD (Arte Éditions) le 8 janvier 2019.

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