Gilets jaunes : 10 romans annonciateurs de la crise

De Nicolas Mathieu à Virginie Despentes ou Yannick Haenel, “Télérama” a sélectionné dix romans récents permettant d’éclairer les causes et les enjeux du mouvement social des Gilets jaunes.

Par Romain Jeanticou

Publié le 13 décembre 2018 à 19h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h11

Le mouvement des Gilets jaunes a fait surgir sur nos écrans des visages et des corps qui en étaient en grande partie exclus. Un bout de France, pourtant majoritaire, largement invisibilisé par les médias et la culture. Le roman français, cependant, leur a consacré ces dernières années de belles pages dans des récits sociaux proches parfois de l’actualité, toujours de la réalité. Ecrivains et écrivaines se sont attelé et s’attachent encore à observer les mécanismes de la violence sociale, à sonder le malaise des territoires français, à exprimer la colère et la détresse de leur population et à imaginer l’issue souvent tragique qu’elles pourraient trouver. En voici dix dont les histoires d’abandon, de domination ou d’insurrection font largement écho à la situation que traverse actuellement le pays.

François Beaune – “Omar et Greg”

Plus que de liberté et d’égalité, il est question dans Omar et Greg de fraternité. Pas tout à fait un roman mais pas du tout un essai, le dernier livre de François Beaune donne la parole à deux ex-cadres du Front national aux parcours singuliers, imprévisibles : l’un musulman, l’autre homosexuel, tous deux anciens militants à gauche dans leurs quartiers populaires respectifs. Le récit de deux vies qui interrogent les déterminismes sociaux et culturels ainsi que notre capacité à vivre ensemble.

François Bégaudeau – “En guerre”

Mille et une batailles se jouent dans les pages des livres de François Bégaudeau. Les personnages de celui-ci livrent la leur contre les multinationales, les patrons, les politiques, les terroristes. Autant de duels déséquilibrés que l’écrivain et scénariste décrit de sa langue caustique et son ton plein d’ironie. L’ordre, pourtant, est toujours là pour éteindre les braises : ce ne sont pas des batailles qu’il faut mener, mais bien la guerre.

Arno Bertina – “Des châteaux qui brûlent”

La trame est simple et percutante : les salariés d’un abattoir en liquidation judiciaire séquestrent un secrétaire d’Etat venu leur rendre visite. L’exploration de ce conflit social explosif, de ses enjeux et ses rouages, est pourtant minutieuse et singulière. L’insurrection est racontée du point de vue des salariés bien sûr, mais aussi de l’homme politique, du patron, des médias, des CRS, et dessine les incertitudes et les contradictions de chacun. Elle montre surtout la puissance du collectif lorsqu’il est animé d’une pulsion de survie.

Marion Brunet – “L'Eté circulaire”

Deux sœurs adolescentes dont les parents peinent à joindre les deux bouts errent entre fatigue et ennui dans une ville pavillonnaire du Midi, jusqu’au drame qui fera basculer leur été avant leur vie. Un roman noir politique sur les communautés périurbaines de « petits Blancs » exclus de la mondialisation et refermés sur eux-mêmes jusqu’à la xénophobie.  

Virginie Despentes – Trilogie “Vernon Subutex”

Le décor de la série à succès de Virgine Despentes est plus urbain et cosmopolite : c’est à Paris que Vernon Subutex et sa bande baladent leurs désillusions. Les personnages sont variés, leurs histoires disparates – SDF, producteur bourgeois, étudiante musulmane, petit vendeur facho… – et c’est en les faisant se rencontrer et interragir que l’auteure parvient à sonder avec précision et empathie les fossés qui creusent notre société. Une fresque sociale dense, humaine et captivante.

Yannick Haenel – “Les Renards pâles”

Le sixième roman de Yannick Haenel est plus ancien (2013), mais son récit de la révolte des laissés pour compte de la société de consommation fait trop écho à la situation actuelle pour ne pas l’inclure dans notre liste. L'écrivain fait coïncider poésie et politique dans un récit envoûtant qui mène un marginal à une bande d’incendiaires libertaires et le lecteur à la beauté effroyable du chaos. Et embrasse au passage les thèmes brûlants du moment : injustice, immigration, insurrection.

David Lopez – “Fief”

L’action de Fief se situe entre campagne et banlieue, mais surtout dans les mots de ses personnages. Une langue orale, créative, syncopée, celle de Jonas et sa bande. Elle exprime tout autant leurs désirs de gloire que la mollesse de leur quotidien, à fumer des joints et draguer des filles. Mais à quoi bon avoir de l’énergie quand on n’a pas de perspectives ? Leur Fief, c’est cette zone périurbaine, ce territoire entre-deux, lieu de leur servitude volontaire. 

Nicolas Mathieu – “Leurs enfants après eux”

Le prix Goncourt 2018 suit quatre étés durant des vies « sans échappatoire » dans une vallée de l’Est à l’agonie depuis l’arrêt des hauts fourneaux. Nicolas Mathieu, lui-même issu de la petite classe moyenne à la lisière, raconte la vie à la périphérie, le déclassement, l’ennui, le jeu des hiérarchies. Le désir brûlant d’autre chose. Un roman choral sur la France majoritaire, celle des Gilets jaunes, plein de mélancolie et de colère.

Nathalie Quintane – “Un œil en moins”

Quelque chose a eu lieu, en France, en 2016, et Nathalie Quintane s’acharne à en prendre date. Nuit debout, ce n’était pas les Gilets jaunes, bien sûr – un autre espace public, une autre classe sociale, un autre discours. Mais il y eut ensuite Notre-Dame-des-Landes, la loi travail, la question des migrants. Pour ne pas laisser au pouvoir la conclusion de cette année politique riche, l’auteure décortique les dérives et les absurdités d’un système prêt à tout pour éteindre les révoltes. 

Hélène Zimmer – “Fairy Tale”

Un premier roman comme un portrait d’une jeune Française voûtée par l’accumulation des statuts précaires – femme, mère, vendeuse. Les scènes abruptes et les dialogues crus traduisent la violence omniprésente dans le quotidien de Coralie et son compagnon Loïc, chômeur, qu’elle soit sociale, professionnelle, conjugale ou familiale. La vie de Coralie lui échappe, pourtant elle semble l’avoir choisie : son histoire est celle d’un emprisonnement faussement consenti.

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